Le Centre Méditerranéen de la Communication Audiovisuelle - Questions à Imene BAHROUNE, PDG de la télévision tunisienne


Roland Faure et Jacques Matthey-Doret
Imene BAHROUNE
Présidente-Directrice Générale de l'Etablissement de la Télévision Tunisienne
Journaliste professionnelle depuis 1993, Imene Bahroune a débuté en presse écrite, notamment à l'agence de presse Tunis Afrique Presse. Par la suite, elle a animé des émissions socio-politiques pour Hannibal TV. En janvier 2012, elle est devenue Directrice de la chaîne publique Al Wataniya 2.Nommée à la tête de l'Etablissement de la Télévision Tunisienne le 17 août 2012, elle est la seule personnalité féminine à la tête d'un groupe audiovisuel public dans le monde arabe. Elle a accordé un entretien exclusif au CMCA pour évoquer la situation de son groupe et l'avenir des médias tunisiens.








Depuis la révolution, qu'est-ce qui a changé pour la télévision publique tunisienne ? 
Imene Bahroune : Beaucoup de choses ont changé sur le fond et la forme. Les deux chaînes ont retrouvé leur place dans un paysage très concurrentiel, puisque de très nombreuses chaînes ont vu le jour. N’étant plus un outil de propagande pour le régime et bénéficiant d’une grande liberté d’expression, elles essayent de répondre aux aspirations de téléspectateurs de plus en plus exigeants, qui trouvent désormais leurs informations crédibles et objectives.

Quelles sont les valeurs prônées par votre télévision ? Pensez-vous qu'elles puissent être communes aux deux rives de la Méditerranée ?
I.B. : L’objectif est de servir l’intérêt général par une information fiable. Les chaines essayent de défendre la liberté d’expression et de création chèrement acquise, de véhiculer les valeurs de la Tunisie, un pays musulman et arabe, moderne, démocratique, ouvert sur son environnement international. Un pays de tolérance, de légalité et de justice où chacun peut vivre dans le respect de la différence de l’autre. Les valeurs prônées par les télévisions publiques des deux rives peuvent être communes dans leur majorité.

Depuis votre nomination, quelle stratégie avez-vous mise en place ?
I.B. : Après un recentrage sur les programmes d’information et les programmes politiques imposés par l’actualité du pays, les téléspectateurs ressentent une certaine lassitude; nous avons diversifié les productions de la première chaîne Al Wataniya 1 et redoré l’aspect régional de la chaîne Al Wataniya 2, malgré le peu de moyens. Nous avons amélioré la gestion humaine et financière, entamé un plan de restructuration pour optimiser, mobiliser, développer.

Quel est le financement ?
I.B. : Chaque année, l’Etat attribue un budget et distribue les redevances prises sur les factures d’électricité. Il y a aussi des recettes publicitaires.

Comment est composé le Conseil d'Administration ?
I.B. : Il est composé des PDG de la télévision et de la radio nationale, des représentants de la Présidence, du Gouvernement, du Ministère de la Culture, des Affaires religieuses, du ministère des Finances et de l’Office National des Télécommunications. Une révision de sa composition, conformément aux normes internationales, est à l’étude.

Que prévoit la Loi audiovisuelle en préparation ?
I.B. : Le décret-loi 116 prévoit la mise en place d’une Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle qui régulera le secteur, délivrera les licences des radios et télévisions, et nommera les responsables des médias publics. Elle sera composée de neuf personnalités indépendantes, nommées par décret : - un membre désigné par le Président de la République, après consultation des membres de la HAICA, qui assume les fonctions de président - deux membres désignés sur proposition du Président du pouvoir législatif, dont l’un au moins a une expérience dans le secteur audiovisuel public - un magistrat et un conseiller du tribunal administratif proposés par les organisations professionnelles les plus représentatives des magistrats - deux membres désignés sur proposition des organisations professionnelles les plus représentatives des journalistes - deux membres désignés sur proposition des organisations professionnelles les plus représentatives des professions audiovisuelles non journalistiques - un membre désigné sur proposition des organisations les plus représentatives des propriétaires d’entreprises d’information et de communication.

Est-il prévu d'inscrire la liberté de la Presse dans la Constitution ?
I.B. : Oui, il est convenu d’inscrire la liberté d’expression, de presse et de création sans aucune restriction dans la Constitution.

Quel avenir pour les télévisions publiques en Tunisie et dans le monde arabe, où les télévisions par satellite sont omniprésentes ?
I.B. : Les télévisions publiques réunissent les citoyens de chaque pays autour de valeurs communes, d’identité, d’appartenance; elles peuvent jouer un rôle important dans le paysage audiovisuel ou social. Quant à la télévision publique tunisienne, malgré la très grave crise par laquelle elle passe, elle peut s’en sortir suite à un plan de sauvetage et de restructuration, à condition qu’il y ait une réelle volonté de la part de tous les intervenants.



France Télévisions a apporté une aide technique à la Télévision Tunisienne pour les élections de 2011, comment développer les rapports entre les deux groupes ?
I.B. : Le développement passe par des échanges de programmes, de coproductions, d’expertise dans les nouvelles technologies, par la contribution à la formation de journalistes afin de leur faire bénéficier de l’expérience de leurs collègues français.

Qu'attendez-vous du 1er Sommet des PDG des télévisions de la Méditerranée le 21 juin à Marseille ?
I.B. : J’espère qu’il permettra de renforcer la coopération et les échanges avec les télévisions publiques des deux rives.

Connaissez vous les deux films tunisiens retenus pour le Primed 2013: "Maudit soit le phosphate" (photo) de Samy Tlili et "We are here" d'Abdallah Yahya ?
I.B. : Le documentaire de Samy Tlili a connu une grande réussite parce qu’il a réussi à retracer les événements tragiques du bassin minier de 2008 avec subtilité. De même, le documentaire d’Abdallah Yahya a touché parce qu’il a fait découvrir certains maux qui rongent notre société tels que la misère, l’extrémisme et la violence.

Que signifie pour vous le fait d'être la seule femme du monde arabe à la tête d'une télévision publique ?
I.B. : C’est à la fois un honneur et une très grande responsabilité d’être la seule femme dans le monde arabe à la tête d’une télévision publique. Mais comme vous le savez, la femme tunisienne a toujours été pionnière et elle est considérée comme une référence dans le monde arabo-musulman au niveau des droits et des acquis sans cesse renforcés. J’espère réussir dans ma tâche afin de prouver que la femme est digne des postes de responsabilité, et convaincre ainsi les politiques de compter sur les compétences féminines pour les postes de direction et de responsabilité.

Propos recueillis par le journaliste Jean-François Tealdi.

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