Table ronde - « Quel bilan pour les révolutions arabes en ce printemps 2013 ? »


A l’occasion de la parution de l’ouvrage dirigé par Pascal Chaigneau et Pierre Pascallon, Que devient la sécurité euro-méditerranéenne avec les révolutions arabes ? (L’Harmattan, mars 2013), le Club Participation et Progrès a donné la parole, le 25 mars à l’IREA, aux auteurs ayant contribué à nourrir ce nouvel opus sur les problèmes de sécurité et de défense euro-méditerranéens.


Pascal Chaigneau, Professeur de Science Politique à l’Université de Paris-Descartes, a présenté plus en détails l’ouvrage, qui vise à dépasser le concept de « révolutions arabes » pour offrir une vision transversale des mutations dans le monde arabe. Etayées par des dossiers régionaux et thématiques, ces nouvelles pistes de réflexion demeurent en prise avec l’actualité, comme l’ont souligné les interventions de Fouad Nohra, Maître de conférences à l’Université Paris-Descartes, sur la situation en Syrie, de Michel Raimbaud, Ambassadeur de France, sur l’Algérie, de Michael J. Strauss, Professeur au CEDS, sur l’impact des révoltes arabes sur l’approvisionnement  énergétique en Méditerranée, de Khalid Eljim, Chargé d’études à l’Institut d’études démographiques de l’Université Bordeaux IV, sur la baisse des flux migratoires en Méditerranée, ou encore celle de Mustapha Benchenane sur  « révolutions arabes, islam et démocratie ». [1]

La réflexion a été prolongée par un débat consacré au bilan pour les révolutions arabes en ce printemps 2013.

Table-ronde : Quel bilan pour les révolutions arabes en ce printemps 2013 ?

Jacques Ould Aoudia, chercheur en économie politique du développement et Président de l’ONG franco-marocaine Migration et développement a ouvert la table-ronde en s’inscrivant dans la continuité des propos tenus par l’Amiral Jean Dufour sur les « cicatrices » de Méditerranée, et en constatant que les poussés populaires qu’ont connues les pays arabes depuis janvier 2011 ont permis de mettre fin au monolithisme autoritaire qui prévalait dans ces pays. Les sociétés arabes qui se découvrent diverses, plurielles s’interrogent sur la place respective de la religion et de la raison dans l’organisation de la société, à l’image des débats autour des élections en Tunisie et en Egypte. Jacques Ould Aoudia, prenant du recul et cherchant à « historialiser » cette opposition, a milité en faveur d’un « compromis historique » entre les forces à référent religieux, d’une part et les forces dites laïques, d’autre part, arguant qu’aucune stabilisation des sociétés arabes ne peut s’établir par l’écrasement d’une de ces forces par une autre.  Pour Jacques Ould Aoudia, quatre scénarios peuvent être dessinés : la « digestion » des islamistes (scénario marocain), la « revanche » des mouvances islamiques sur les anciennes élites qui les ont ostracisées  (scénario iranien), le retour des « anciens » (scénario algérien), le déséquilibre permanent (cas tunisien et égyptien). 

Flavien Bourrat, Responsable de programmes sur la zone Maghreb Proche Moyen-Orient IRSEM a récusé lui-aussi la terminologie de « printemps arabes », préférant parler de  « transitions politiques ». Il a établi une distinction entre les « révoltes arabes » : soulèvements populaires ayant conduit à une guerre civile en Libye et en Syrie, changement de pouvoir au Yémen même si permanence de l’ancien système politique, révoltes réprimées à Bahreïn, processus révolutionnaire en Tunisie et Egypte ayant entraîné un changement de pouvoir plutôt que de régime même si des transformations sont en cours. F. Bourrat a insisté sur les similitudes existant entre la Tunisie et l’Egypte : dans les deux cas, il y a eu renversement du pouvoir en place par des soulèvements populaires, une phase de succession porteuse de risques, des oppositions éclatées mais l’émergence de formations islamistes (Ennahda en Tunisie, les Frères musulmans en Egypte) puis la mise en place de structures qui ne remettent pas en cause le régime mais s’appuient sur une nouvelle constitution et des nouvelles élections libres, transparentes et pluralistes – à ceci près, qu’en Tunisie, l’Assemblée constituante a été mise en place avant la réforme de la constitution. Dans sa cartographie des acteurs, F. Bourrat constate que l’acquis le plus durable de ces révoltes arabes est la « volonté de ne pas vouloir revenir au système d’avant » ; mais si la quête de dignité des populations arabes est quelque chose d’irréversible, elle s’accompagne d’une demande de stabilité et de sécurité.  Comme Jacques Ould Aoudia, F. Bourrat remarque que les débats sur la nature du régime, la justice, le culturel dont l’objet d’une polarisation forte. Au niveau des acteurs politiques en Tunisie comme en Egypte, les visions de la liberté civique font débat et provoquent un malaise qui alimente les tensions ; d’où son inquiétude « qu’en périodes de transition difficile, la tension dégénère vers une situation de crise généralisée qui pourrait sceller la fin de cette transformation politique ». F. Bourrat a mentionné un troisième acteur : « l’Etat profond » à savoir l’armée et les appareils de sécurité et de renseignement qui peuvent apparaître plus en retrait, mais qui pourraient devenir, comme en Egypte, une force d’opposition au cas où la situation dégénérerait. Dans les deux pays, même en Tunisie où l’armée  n’en aurait de toute façon pas les moyens, les militaires ne souhaitent pas reprendre le contrôle du pays mais envisagent de le faire en cas de situation extrême. D’où la nécessité, pour F. Bourrat aussi,  de former un consensus que les acteurs politiques doivent appliquer d’autant que la majorité des populations sont favorables à ce compromis et à la mutualisation du pouvoir ; c’est même la clé pour que le processus de transition politique continue.

A la suite de F. Bourrat, Jean Glavany, Député, Ancien ministre, rapporteur de la mission d’information de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée Nationale sur les révolutions arabes a centré son intervention également sur la Tunisie et l’Egypte, partageant avec l’auditoire son intuition que « si ça marche en Tunisie, ça marchera ailleurs ».  Pour lui, le parallèle entre ces deux pays révèle de grands acquis : la libéralisation de l’expression, de la parole ; le pluralisme politique et la place des réseaux sociaux.  En dehors de ces acquis, l’Egypte et la Tunisie ont en partage la « confusion » générée par une situation économique dramatique (plus grave encore en Egypte), le grand mécontentement populaire et l’instabilité politique, même si sur ce dernier point, J. Glavany a reconnu, le pôle de stabilité représenté par l’armée en Egypte et la mosquée Al-Azhar. En Tunisie, l’UGTT (Union Générale Tunisienne du Travail) et les « anticorps » (organisations de la société civile) empêchent, selon lui, un retour en arrière. J. Glavany soulève également un autre point commun : le « rendez-vous islamique » qu’il invite à regarder avec bienveillance, à l’image du C.D.U. allemand, d’autant que nul ne sait qui de la « tête » ou de la « base » va l’emporter au sein de ces formations islamistes, et si, confrontées à l’exercice du pouvoir, elles-mêmes ne vont pas être amenées à évoluer. Dès lors, J. Glavany a appelé à la prudence dans l’usage du terme « laïcité », étiquette occidentalisée, importée qui connote négativement les forces en présence. Dans les deux pays précédemment cités, J. Glavany conclue que le « rendez-vous économique » sera essentiel et qu’on ne peut exclure dans l’avenir une « révolte de la faim ».

Fort de ce dernier constat, Jean-Louis GUIGOU, délégué général d’IPEMED est intervenu sur les enjeux économique du rapprochement des deux rives de la Méditerranée, rappelant le rôle-pivot de la Méditerranée et encourageant les forces politiques françaises à favoriser le retour à une proximité géographique. Suivant un modèle similaire à celui employé par les industriels allemands dans les PECO, les opérateurs économiques anticipent la « troisième révolution industrielle » (J. Rifkin) et investissent en Afrique du Nord, qui peut devenir la « Ruhr de l’Europe ».  Jean-Louis Guigou conclut qu’après les révolutions arabes, l’économie est un problème central, mais pas insoluble, rappelant notamment le rôle que peut avoir la coopération décentralisée en Méditerranée.

Aissa Kadri, Professeur de sociologie à l’Université de Paris VIII, Directeur du laboratoire Maghreb- Europe a fermé la table-ronde  en constatant que peu de travaux ont été menés sur le terrain sur les mouvements sociaux (et leur composante sociale) à l’œuvre, qui s’inscrivent selon lui dans le mouvement plus global des Indignés.  Aissa Kadri parle même à ce titre d’un « moment générationnel ». Le contre-exemple de ces mouvements sociaux est, selon lui, « l’exception algérienne ». Une place centrale doit et devrait être accordée dans ces analyses aux jeunes qui s’émancipent des mythes nationalistes, aux élites et intelligentsia dans leur articulation avec les mouvements sociaux, aux mouvements associatifs et notamment au rôle de la diaspora, au poids des « variables externes »… autant de facteurs qui témoignent d’une transformation des sociétés civiles. Aissa Kadri appelle d’ailleurs les Etats Européens  à accompagner ces sociétés civiles plutôt que de traiter exclusivement avec leurs homologues du Sud et de l’Est de la Méditerranée.

Compte-rendu par Kelly Robin – Source de l’article IPEMED
[1] Une synthèse de l’ouvrage sera proposée prochainement dans la rubrique Lectures du site d’IPEMED.

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