Les premiers résultats du programme Mistrals anticipent des changements radicaux sur le bassin de la Grande Bleue. Un modèle réduit de l'impact climatique planétaire.
Plus d'hommes, plus de pollution, moins d'eau, des sols épuisés, une biodiversité chahutée, une météo en déliquescence… Pour le millier de chercheurs engagés depuis 2010 dans le métaprogramme décennal Mistrals, dont les premiers résultats à mi-parcours ont été présentés à la veille de l'ouverture de la Cop21, les données presque caricaturales de l'évolution du bassin méditerranéen fournissent un regard inespéré sur les impacts de l'évolution climatique. « C'est un modèle réduit de ce qui attend la planète », souligne son coordinateur, Etienne Ruellan, directeur scientifique adjoint à l'Institut national des sciences de l'univers du CNRS.
Un raz-de-marée se profile : en 2030, les rives de la Méditerranée compteront 550 millions d'habitants, soit 90 millions de plus qu'aujourd'hui. Cette démographie galopante concernera surtout les pays du sud et de l'est du bassin, dont les populations se concentreront essentiellement dans les villes. « Dans dix ans, prédit le Plan bleu, dispositif de coopération environnemental des Nations unies en Méditerranée, le littoral d'Afrique du Nord accueillera 25 mégapoles de plus de 1 million d'habitants. » L'ensemble du bassin comptera alors 380 millions d'urbains, quatre fois plus qu'en 1950.
Les touristes seront également plus nombreux : sur moins de 6 % des terres émergées, les côtes méditerranéennes concentrent déjà le tiers des voyageurs du monde. « Leur nombre pourrait plus que doubler d'ici à 2025 et accroître les pressions exercées par l'artificialisation du littoral sur les espaces agricoles et les écosystèmes utiles à l'homme, s'inquiète Etienne Ruellan. La Méditerranée telle que nous la connaissons va disparaître. »
Une collecte sans précédent
Comment anticiper les tensions qui se profilent ? Pour résoudre ce casse-tête, Mistrals (acronyme pour Mediterranean Integrated Studies at Regional and Local Scales) mobilise une centaine d'organismes de recherche dans 26 pays du pourtour de la Grande Bleue. Depuis cinq ans, un bataillon d'instruments d'observation est à la manoeuvre et des milliers de mesures ont été prises dans les profondeurs sous-marines, les eaux de surface, les terres et l'atmosphère pour satisfaire la gourmandise des six modules d'étude du programme. Ressources en eau, pollutions de la mer, de l'air et des sols, perte de la biodiversité, sécurité alimentaire et énergétique, risques naturels… Au moins 20 millions d'euros ont été engagés dans cette collecte de données sans précédent. « Les changements s'accélèrent et le temps presse. Dix ans ne seront pas de trop pour comprendre et anticiper l'habitabilité de la Méditerranée au-delà de la fin du siècle », poursuit Etienne Ruellan.
Les résultats à cinq ans de ce vaste chantier prouvent la vulnérabilité extrême de la région. Au cours des cinquante dernières années, la demande en eau a, par exemple, déjà doublé, mettant 180 millions de Méditerranéens sous le seuil officiel de carence (1.000 mètres cubes par an), et l'avenir climatique du bassin ne présage rien de bon pour rassasier les gorges sèches. Au cours du XXe siècle, le sud-ouest de l'Europe, comprenant la péninsule Ibérique et le sud de la France, s'est déjà réchauffé de 2 °C et les précipitations ont diminué de 20 % dans certaines régions. Ce mouvement s'accélère. « Le nombre de jours de pluie va encore diminuer, l'évaporation va s'intensifier, le débit des fleuves va baisser et des précipitations de plus en plus violentes vont ruisseler en surface sans pénétrer les sols », pronostique Véronique Ducrocq, codirectrice du module HyMex. D'ici peu, le dépouillement des données viendra appuyer sans doute ces sombres prédictions. Plus question alors pour les aménageurs d'esquiver le sujet.
Par Paul Molga - Source de l'article Les Echos
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