Quand il s’agit de la participation des femmes à la vie économique, la Jordanie affiche un score peu flatteur, même au regard du reste du monde arabe, en se classant au 139e rang sur 142 pays.
Ce faible taux de participation et cette aversion à prendre part au marché du travail peuvent être imputables à une législation et à des coutumes qui n’encouragent pas les Jordaniennes à intégrer le monde du travail, ainsi qu’à l’impact des discriminations a l’égard des femmes.
Tamador Azaizeh, est titulaire d’une licence en chimie ; elle vit dans un village de la province d’Irbid. Elle explique que l’absence de réseau de transport public et l’éloignement de son domicile par rapport aux sites industriels l’ont empêchée de trouver un emploi convenable.
« Je suis restée au chômage pendant cinq ans. Après mon mariage, je me suis installée dans la ville d’Irbid, où les perspectives d’emploi étaient relativement plus nombreuses. Toutes les candidatures auxquelles j’ai répondu dans mon domaine de spécialité ont été rejetées. Les entreprises préfèrent en général embaucher de jeunes diplômés ou des personnes expérimentées », précise-t-elle.
En poursuivant sa recherche d’emploi, Tamador Azaizeh a réussi à trouver un poste d’enseignante en mathématiques et sciences dans une école privée. Cette fois, la déconvenue fut d’un autre ordre : son salaire était de 150 dinars environ (soit 211 dollars), bien en deçà des 190 dinars (270 dollars) qui correspondent au salaire minimum en Jordanie.
Tamador Azaizeh explique : « Le propriétaire de l’école ne versait même pas le salaire fixé par la loi. L’équation était très claire : il fallait se plier à ses termes ou démissionner. Il y avait d’autres violations au droit du travail : nous étions privées de prestations sociales et de congés, nos droits en tant que travailleuses n’étaient pas respectés. »
Cette pratique est loin d’être une exception, elle est même récurrente dans les écoles privées, si l’on en croit la jeune femme, qui déclare avoir tenté un recours auprès du ministère du Travail et engagé des poursuites à l’encontre de son ancien employeur avec 14 de ses collègues. Elle prend actuellement part à une campagne ayant pour objectif de sensibiliser le grand public aux droits des enseignantes et à la nécessité de leur garantir des conditions de travail satisfaisantes et équitables.
Reem Aslan, consultante pour l’Organisation internationale du travail, reconnaît que les difficultés rencontrées par Tamador Azaizeh sont courantes et que de nombreuses femmes y sont confrontées. Elle ajoute : « Ce qui est le plus à déplorer, c’est que le taux de participation de la population féminine à l’économie jordanienne s’est contracté ces deux dernières années. »
Une étude, publiée par le Conseil supérieur de la population et la Commission nationale pour les femmes, montre en effet que ce taux est passé de 14,9 % en 2009 à 13,2 % en 2013.
Selon Reem Aslan, ce recul est dû à une multiplicité de facteurs, dont le plus important est la faible rémunération salariale (très souvent en deçà du minimum légal), l’absence de transports publics sûrs et efficaces, l’inexistence d’un cadre de travail favorable aux mères, et notamment de crèches, sans oublier le poids de la tradition jordanienne, et la difficulté de concilier responsabilités familiales et professionnelles.
Pour ce qui est de la rémunération, l’étude citée montre un écart de 12,3 % entre le salaire moyen des hommes et celui des femmes en Jordanie, un chiffre qui grimpe à 17 % dans le secteur privé. Pour un homme, le salaire moyen est de 403 dinars jordaniens contre 359 pour une femme.
Ces disparités s’accompagnent d’une inégalité sur le plan des augmentations de salaire et des promotions, souligne Reem Aslan, en ajoutant que les femmes sont privées de certaines prestations sociales, comme les allocations familiales.
Plusieurs initiatives ont vu le jour pour encourager la participation des femmes au marché du travail, dont le mouvement qu’a rejoint Tamador Azaizeh, qui lutte pour l’égalité salariale dans l’enseignement privé, et une campagne baptisée Ma3an Nasel (« Arrivons ensemble à bon port »), qui milite pour que les étudiantes et les enseignantes bénéficient de transports efficaces et sûrs. En effet, selon des sondages réalisés pour ce mouvement, 40 % des femmes hésitent à travailler en raison des problèmes de sécurité dans les transports publics.
Autre initiative, la campagne Sadaqa (amitié en arabe), dont l’objectif est d’offrir un cadre de travail plus accueillant pour les femmes. Ce projet, l’un des plus remarquables qui soient, vise à encourager les femmes à travailler en leur offrant des services de garderie. En effet, une étude sur la non-participation de la population féminine au marché du travail, également publiée par le Conseil supérieur de la population, montre que 78 % des Jordaniennes qui ne travaillent pas sont mariées, et qu’un tiers d’entre elles sont mariées depuis moins de deux ans.
La campagne Sadaqa, lancée voilà cinq ans, a pour but d’appliquer l’article 72 du Code du travail jordanien, qui demande aux entreprises et aux structures de plus de 20 employées de fournir un service de garderie sur le lieu de travail, capable d’accueillir au moins 10 enfants âgés de moins de quatre ans.
D’après sa fondatrice, Randa Naffa, ce mouvement veut aider les femmes à devenir plus productives, afin qu’elles accèdent à des postes à plus haute responsabilité, sachant que la loi qui prévoit la création d’un service de garderie n’est en réalité pas appliquée.
S’il est vrai que les textes de loi jordaniens sont favorables aux femmes sous bien des aspects (garderie sur le lieu de travail, congé de maternité et plages horaires ménagées pour les soins aux nouveau-nés), ils ne sont pas suffisamment mis à exécution, et la législation nationale devrait veiller à bannir les discriminations hommes-femmes sur le lieu de travail et garantir l’égalité salariale. Il est également urgent que la Jordanie s’ouvre à d’autres modes d’organisation, comme le travail à temps partiel, le télétravail et la flexibilité des heures de travail.
Outre l’application des dispositions légales, le pays devra s’atteler à faire évoluer les mentalités et à lever les obstacles à la participation des femmes au marché du travail. Comme le dit Reem Aslan, « c’est curieux, dans un pays où les femmes sont plus nombreuses que les hommes à obtenir un diplôme de fin d’études secondaires (87 % contre 74,3 %), leur participation à l’économie est parmi l’une des plus faibles au monde ».
Par Nadine Nimri - Source de l'article Blog Banque Mondiale
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire