Après avoir fui l’Égypte et la Tunisie, les vacanciers se détournent désormais de la Turquie
Photo: Ozan Kose Agence France-Presse La mosquée Souleymane, à Istanbul |
Au cœur du quartier bohème de Karaköy, l’ancien bâtiment du Crédit ottoman est l’un des emblèmes du renouveau touristique d’Istanbul. Construit en 1867, l’édifice a été relooké en 2014 par un architecte turc en vogue et abrite désormais un hôtel et une galerie d’art.
Le concept, qui cible une clientèle chic et branchée, est à la mode : trois autres immeubles ont ainsi été rénovés depuis 2010 par son propriétaire, un groupe turc baptisé The House Hotel. Mais depuis un an, la vague d’attentats liée à la guerre en Syrie et à la reprise du conflit kurde complique considérablement les affaires.
« Notre taux d’occupation est passé de 85 % à 65 %, et nous avons dû baisser nos prix de 20 %, indique Anthony Doucet, le directeur marketing de The House Hotel. Pourtant, nous sommes parmi les moins impactés : notre clientèle est très informée, à l’habitude de voyager et est moins sensible aux questions de sécurité. » En attendant que l’horizon se dégage, il a cessé les embauches et ne remplace plus les employés qui quittent l’établissement.
Il n’est pas le seul. En février, le nombre de visiteurs étrangers en Turquie a chuté de 10 % par rapport à 2015, selon les chiffres publiés mardi 29 mars par le ministère du tourisme. Et ce n’est sans doute qu’un début. Les touristes ont été frappés en janvier par un attentat meurtrier, à quelques centaines de mètres de la basilique Sainte-Sophie et de la Mosquée bleue, deux des monuments les plus visités d’Istanbul. Ils étaient de nouveau la cible lors des attaques terroristes qui ont visé Ankara et de nouveau Istanbul mi-mars.
« La Turquie n’a plus cette image de destination 100 % sûre », souligne Seltem Iyigun, économiste à la Coface. Plusieurs pays, dont Israël, déconseillent désormais à leurs ressortissants d’aller dans le pays. Les Russes, de leur côté, boycottent ses stations balnéaires depuis qu’en novembre 2015 les militaires turcs ont abattu l’un de leurs bombardiers au-dessus de la frontière syrienne. « Il suffit de se balader dans le quartier de Taksim, en plein coeur d’Istanbul, pour se rendre compte que le message est passé : le taux d’occupation des hôtels n’y dépasse pas 20 % », assure Mme Iyigun. Faute de clients, certains établissements ont fermé leurs portes, car ils ne pouvaient plus faire face à leurs dettes.
Le tourisme est l’un des piliers de l’économie turque, avec 36 millions de visiteurs et 31 milliards $US de recettes en 2015. La crise pourrait avoir un impact bien au-delà des régions les plus prisées des voyageurs, comme Istanbul, Bodrum ou Antalya. « De nombreux travailleurs affluent vers les côtes durant la haute saison, où ils sont employés par les hôtels, les restaurants, les sociétés de transport. Cette année, les opportunités seront plus limitées, ce qui affaiblira par ricochet l’économie des régions dont sont originaires ces saisonniers », analyse-t-on à la Coface.
Plages désertées
De l’autre côté du bassin méditerranéen, la Tunisie aux prises avec les mêmes difficultés. Le pays a commémoré, vendredi 18 mars, le premier anniversaire de l’attentat contre le Musée du Bardo, à Tunis, le premier à viser des touristes étrangers et l’une des trois attaques majeures ayant ensanglanté le pays en 2015. Des États européens comme le Royaume-Uni et l’Irlande ont demandé à leurs ressortissants de quitter le pays et déconseillé tout voyage« non essentiel » après un attentat en juin 2015 sur une plage et dans un hôtel près de Sousse (38 touristes tués, dont 30 Britanniques).
« Nous avons perdu 80 % de notre clientèle loisir, et notre taux d’occupation oscille entre 35 % et 45 % », constate David Sierra, qui dirige La Résidence, un hôtel de luxe situé sur la côte méditerranéenne, près de Tunis. « Nous nous en sortons, car nous sommes parvenus à capter une clientèle d’affaires, mais dans les stations balnéaires de Sousse, Djerba et Hammamet, c’est la catastrophe », ajoute-t-il. Les Français, notamment, ont déserté les plages tunisiennes, certains voyagistes comme le Club Med ou Marmara allant jusqu’à fermer leurs établissements.
Résultat : le nombre de touristes européens venus visiter la Tunisie a plongé de plus de 50 % en 2015 et les recettes de l’industrie touristique ont chuté de 35 %, à 1,1 milliard de dollars. À défaut d’avoir convaincu les Européens de revenir, la ministre du tourisme, Salma Elloumi Rekik, espère attirer une nouvelle clientèle : les Russes, cible évidente depuis que la Turquie leur a été interdite, et les Chinois.
L’Égypte est un peu mieux lotie. Avec 6,1 milliards $US en 2015, les revenus du tourisme n’ont chuté « que » de 15 % par rapport à l’année précédente, selon des statistiques officielles. Mais le nombre de visiteurs est passé de près de 15 millions en 2010 à 9,3 millions l’an dernier. La désaffection des touristes pose un problème majeur : « Cela a créé un déficit courant qui limite la capacité du pays à importer les biens dont il a besoin », décrypte Seltem Iyigun.
Les touristes ont déserté l’Égypte, alors que les attentats djihadistes se sont multipliés depuis la destitution par l’armée du président islamiste Mohamed Morsi en 2013. Le plus spectaculaire a été celui perpétré fin octobre 2015 contre un avion charter russe dans la péninsule du Sinaï, un drame qui a coûté la vie à ses 224 passagers. La branche égyptienne de l’organisation État islamique (EI) a revendiqué cette attaque. Quelques jours après l’attentat, la Russie avait suspendu tous ses vols à destination de l’Égypte. Londres avait interrompu ceux vers Charm El-Cheikh.
« Il n’y a quasiment plus de touristes russes, britanniques ou américains aux pyramides maintenant », constate Saïd Ramadan, un vendeur à la sauvette interviewé par l’AFP. Les autocars qui encombraient le stationnement des pyramides de Khéops, Khéphren et Mykérinos ont disparu et les hôtels qui affichaient autrefois complet sont désormais quasi déserts. « Avant Daech, j’avais des groupes de touristes chaque jour, maintenant je reçois rarement plus de trois ou quatre visiteurs », se plaint de son côté Merdash Ghanem, propriétaire d’une boutique de souvenirs près des pyramides. « Comment s’attendre à avoir des touristes dans la région quand ils voient les gens s’entre-tuer ? » interroge-t-il.
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