Pour pallier la faiblesse de leurs
réserves, les pays du nord du continent multiplient les appels d'offres.
Attisant la concurrence au sein d'un secteur qui ne compte qu'une dizaine
d'acteurs.
La station d'El Hamma à Alger peut traiter 200 000 m3 d'eau de mer par jour |
Hier
coûteux et réservé aux pays pétroliers bénéficiant d'une énergie quasi
gratuite, le dessalement de l'eau de mer est de plus en plus prisé en Afrique
(surtout dans le Nord) pour la consommation, l'irrigation ou l'industrie. Il
faut dire que les coûts de construction des usines ont chuté : ils n'excèdent
pas 800 à 1 100 euros le mètre cube par jour (m3/j), contre 1 000 à 1
300 euros le m3/j en 2000. « Le tarif de l'eau dessalée par osmose
inverse (l'une des deux technologies disponibles ; l'autre, qui utilise
l'évaporation, se raréfie en raison de son coût, NDLR) a baissé de 30 % en
moyenne depuis dix ans », confirme Jean-Yves Gadras, directeur du
développement Afrique de Degrémont, une filiale de Suez Environnement qui,
après avoir inauguré récemment une unité en Australie, se positionne sur les
appels d'offres maghrébins.
Car
les projets fleurissent, multipliant les opportunités pour la dizaine de
groupes internationaux présents sur ce marché. Le 22 mars, la Société
nationale d'exploitation et de distribution des eaux (Sonede) tunisienne
annonçait ainsi la réalisation à Djerba d'ici à l'été prochain de sa première
usine de dessalement d'eau de mer (quatre fonctionnent actuellement pour les
eaux saumâtres), qui devrait produire quelque 50 000 m3/j. Pour cet
ouvrage d'un coût global de 83 millions d'euros, six sociétés ont été
préqualifées. « Nous entamons les études pour deux autres projets, l'un à
Gabès à l'horizon 2014 et l'autre à Sfax pour 2018 », précise Hedi Belhaj,
PDG de la Sonede.
L'Algérie
- pionnière dans la zone avec onze stations actives, dont une de 500
000 m3/j, l'une des plus importantes au monde, construite et exploitée par
le singapourien Hyflux - prévoit de son côté trois nouvelles unités, dont
les appels d'offres devraient être publiés prochainement.
Le
choix d'une telle technologie est généralement dicté par la nécessité.
« Pour certaines zones, le dessalement est le seul recours, même si le
prix au robinet reste deux fois plus élevé », précise Hedi Belhaj. Les
États doivent répondre à l'explosion démographique des villes (et donc de la
demande) situées sur les côtes, loin des réserves d'eau que constituent
notamment les massifs montagneux.
Le
Maroc, qui estimait jusque-là que les réserves de l'Atlas le mettaient à l'abri
du besoin (hormis la région de Laayoune, qui bénéficie d'une petite unité de
dessalement), vient ainsi de publier un appel d'offres pour un projet à Agadès.
Le premier groupe industriel du royaume, l'Office chérifien des phosphates
(OCP), a quant à lui lancé la construction d'une unité à Jorf Lasfar, qui
dessalera à terme plus de 220 000 m3 d'eau par jour. La première phase du
projet (76 000 m3/j) a été confiée à l'espagnol Cadagua (filiale du groupe
Ferrovial) pour 60 millions d'euros ; le démarrage est prévu cette année.
L'OCP utilisait jusque-là de l'eau extraite du sous-sol. Mais il veut augmenter
sa production de phosphates et d'engrais ; dans ce contexte, le dessalement est
apparu comme la solution la plus compétitive et la mieux adaptée aux
contraintes environnementales. Une partie de l'eau produite sera, en outre,
destinée à la population. Un autre appel d'offres est attendu pour le complexe
de l'OCP à Safi.
Concessions
Leaders
mondiaux, les groupes espagnols sont de plus en plus présents dans la zone.
Cadagua a déjà réalisé deux usines en Tunisie, l'une à Djerba et l'autre à
Zarzis. Son compatriote Abengoa Water est, lui, présent en Algérie, où il gère
deux unités et en construit une troisième. En novembre 2012, il a par
ailleurs lancé la construction d'une usine d'eau potable au Ghana, qui devrait
durer deux ans et mobiliser près de 100 millions d'euros.
Si
Alger finance en partie ses projets - l'usine d'El Hamma, dans la
capitale, est un partenariat public-privé avec GE Water & Process
Technologies -, la plupart des contrats sont des concessions BOT (Build,
Operate, Transfer) : l'opérateur construit le site, l'exploite pendant une
période donnée puis le rétrocède à l'État. Une prise de risque sur vingt-cinq
ou trente ans que toutes les sociétés n'acceptaient pas il y a quelques années.
Sous la pression de la concurrence, ce temps est désormais révolu : « Nous
ne sommes pas si nombreux mais nous nous retrouvons tous sur l'ensemble des
appels d'offres. Le marché est très concurrentiel », explique Jean-Yves
Gadras.
La
fièvre gagne peu à peu d'autres pays comme Djibouti, où une usine de 22
500 m3/j (extensible à 45 000 m3/j), qui sera alimentée en
électricité par un parc éolien, a bénéficié en décembre 2012 d'un
financement de 40,5 millions d'euros (sur un budget total estimé à
46 millions d'euros) de l'Union européenne. Celle-ci estime que « le
dessalement de l'eau de mer est le seul moyen viable pour Djibouti de remédier
à sa pénurie d'eau à court terme ». Le Soudan avait lui aussi lancé un
appel d'offres - en stand-by pour l'heure - pour une unité à
Port-Soudan, tandis que la Libye, le Sénégal et la Mauritanie planchent déjà
sur des projets.
Par Michael Pauron - Source de l'article Jeune Afrique
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