Forum social mondial - Méditerranée, l’altermondialisme s’imprègne des révolutions


Les luttes sociales, féministes, culturelles qui se poursuivent en Tunisie, en Egypte et ailleurs dans la région ont irrigué cette onzième édition du Forum social mondial, creuset, certainement, de convergences futures propres à renforcer le camp démocratique dans le monde arabe.

« Cet événement, la gaieté qui s’en dégage nous fait du bien. Il dissipe un peu le climat de morosité et de tristesse qui régnait en Tunisie depuis l’assassinat de Chokri Belaïd. Ce Forum social mondial nous a permis de changer d’air.» Venue de Radès, dans la banlieue sud de Tunis, Abir, une jeune salariée de vingt-cinq ans, résume l’enthousiasme qui a entouré le rendez-vous altermondialiste, la semaine dernière, dans la capitale tunisienne. Cinq jours durant, dans une ambiance de fête, la ville a vécu au rythme des débats, des ateliers, des manifestations, mais aussi des événements culturels inscrits au programme du FSM. Le forum a pris la forme d’un grand moment de solidarité avec le peuple tunisien, mais aussi avec les autres peuples de la rive sud de la Méditerranée, confrontés à des bouleversements politiques inédits, à la recherche de nouveaux chemins vers le développement dans un contexte lourd de périls. Les nombreux participants venus du Maghreb et du monde arabe ont marqué ce rendez-vous de leur présence et de leurs expériences, dans une phase critique des processus ouverts par les printemps arabes. Ils étaient 500 Palestiniens, 300 Égyptiens, 500 Marocains, 250 Algériens (de nombreux syndicalistes en provenance d’Algérie avaient été empêchés de quitter ce pays), 150 Sahraouis, 100 Libyens, 80 Jordaniens, 60 Irakiens. Pour la première fois, des Iraniens, ils étaient 25, ont pris part à un FSM. Placé sous le signe de la solidarité avec le peuple palestinien, l’événement s’est clos, samedi, avec une longue marche dédiée à la Palestine.

Parmi les participants venus d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, se trouvaient de nombreuses femmes, déterminées à poursuivre le combat pour le respect, la liberté et l’égalité des sexes. En fait, les luttes sociales, féministes, culturelles qui se poursuivent en Tunisie, en Égypte et ailleurs dans la région ont irrigué cette onzième édition du FSM, creuset, certainement, de convergences futures, propres à renforcer le camp démocratique dans le monde arabe. Le campus d’El-Manar, où se tenait l’événement, accueillait aussi le troisième Forum mondial des médias libres. Au cœur de ce rendez-vous, la conviction que l’information est un bien commun, à préserver des pouvoirs, qu’ils soient économiques ou politiques. Là encore, les expériences nées des soulèvements populaires de 2011 étaient à l’ordre du jour, avec l’essor de radios associatives ou communautaires au Maghreb et au Machrek.

Alors que le système capitaliste en crise n’en finit plus de broyer les peuples, les participants tunisiens ont insisté sur le lien, dans leur pays, entre crise économique et crise politique. «Je saisis ce FSM pour m’adresser à la communauté internationale qui nous rend visite. Je veux l’informer de la dégradation des libertés, de l’économie et de la situation sociale en Tunisie», s’alarmait Sami Aouadi, syndicaliste et professeur d’économie. Pour lui, le risque existe que son pays soit abandonné en pleine transition démocratique, livré à un pouvoir néolibéral. Avec un pouvoir tunisien prêt à soumettre de nouveau le pays au FMI, l’emprise des institutions financières internationales était au cœur des débats. Signe des temps, parmi les ateliers qui ont fait le plein, beaucoup concernaient la lutte contre l’austérité en Europe et les plans d’ajustement structurel sur la rive sud de la Méditerranée. Au Nord comme au Sud, la paupérisation des sociétés a été unanimement pointée. La députée grecque Theano Fotiou (Syriza) a ainsi rappelé que ces politiques d’austérité menaient, dans son pays, à une véritable «catastrophe humanitaire» qui risque de mener au repli sur soi. Pour cette élue, «il faut convaincre les gens qu’ils ont une destinée commune face aux problèmes et qu’ils souffriront davantage si l’Union européenne explose».

Dans le fond, les participants semblent convaincus qu’une nouvelle géographie se met en place dans le monde. «Le modèle européen tel qu’il a été construit n’existe plus, la place de l’Europe a changé», remarque Geneviève Azam, porte-parole d’Attac. Se pose donc, avec toujours plus d’acuité et à tous les échelons, la question du partage et de la construction de nouvelles solidarités. Singulièrement pour l’Europe, qui reste l’un des principaux créanciers à l’échelle internationale.

L’émergence de luttes communes entre les travailleurs du Nord et ceux du Sud constitue aussi une étape indispensable dans la recherche d’un nouveau type de développement, dépassant les logiques de concurrence. Certaines sont déjà en marche. Les ateliers consacrés aux centres d’appels implantés de part et d’autre de la Méditerranée ont ainsi permis de construire des initiatives communes pour de meilleurs salaires, pour des droits communs. Face aux menaces de délocalisations, des syndicalistes ont pu débattre, créer des réseaux, envisager de futures batailles communes pour l’emploi. L’objectif est clair: permettre un développement harmonieux entre le Nord et le Sud. «Un modèle alternatif est un modèle qui permet de construire l’économie et le social sur l’accès aux droits pour tous», à rebours des logiques néolibérales, résumait samedi Gustave Massiah, membre du conseil international du FSM, lors d’une cérémonie donnée par le président tunisien, Moncef Marzouki. Mais, précise Dominique Plihon, «nous ne pensons pas que nous puissions parachuter d’en haut un modèle alternatif». C’est, pour cet économiste, dans une perspective de luttes que doivent s’inscrire les transformations de la société. Le débat au sein du FSM aura aussi concerné le rapport avec les partis politiques. Bouba Diop, professeur à l’université de Dakar, a expliqué comment, au Sénégal, se sont bâtis de solides liens entre mouvements sociaux et politiques, autour de forums thématiques. Une démarche qui a rendu possible l’alternance politique, dans un contexte de vives tensions attisées par la présidence d’Abdoulaye Wade. «Les coalitions marquent des points là où elles travaillent sur les contenus pour construire des alternatives au néolibéralisme», a insisté Pierre Laurent, pour le PGE et le PCF.

Dans les allées du campus d’El-Manar, d’improbables rencontres se produisent. Un Brésilien, habitué des FSM depuis la première édition, en 2001, à Porto Alegre, s’arrête devant le stand tenu par les Amazigh de Libye, des Berbères en quête de reconnaissance officielle de leur culture et de leur langue, longtemps réprimées par le régime de Kadhafi. Devant le département de mathématiques, de jeunes militants islamistes, très présents tout au long du forum, proposent aux passants des livres de propagande politico-religieuse, en arabe et en français. Juste en face d’eux, autour de quelques percussions, des jeunes filles entament une danse, portées par les chants révolutionnaires qu’entonnent les syndicalistes étudiants de l’Uget. Aux dernières élections universitaires, sur ce campus, l’Uget a raflé quatre sièges sur cinq, infligeant une cinglante défaite aux militants d’Ennahda dans l’un de leurs bastions. La présence d’islamistes sur le forum, comme la participation du prédicateur Tariq Ramadan, a fait grincer des dents dans les rangs de la plupart des alters de Tunisie et du monde arabe. Surtout lorsqu’on a appris, mercredi, que le gouvernement tunisien, dominé par les islamistes, avait fait tirer sur des manifestants à Gafsa, dans le bassin minier. Altermondialiste algérienne, militante féministe, Samia Ammour se dit même déçue par les contradictions qui se sont manifestées dans ce forum». Elle égrène les consignes surréalistes données par certains organisateurs européens, soucieux de ne pas «heurter» les islamistes par une attitude trop libre des participants, priés, par exemple, d’éviter toute «manifestation d’affection» entre homme et femme en public. Autant de concessions inacceptables, aux yeux de la militante. «Ceux qui ont fait la révolution, les jeunes de Sidi Bouzid et de Kasserine, ceux des quartiers populaires de Tunis, n’ont pas participé à cet événement. Nous aurions dû opter pour une forme décentralisée dans les régions, qui aurait permis une participation populaire plus large, propre à aider le camp progressiste en Tunisie», regrette-t-elle encore.

En dépit de ces contradictions, le FSM reste un carrefour de convergences, utile à la recherche d’alternatives dans un contexte de crise globale qui attise les violences, les conflits, les logiques de concurrence et de prédation. «Nous intéressons moins les médias dominants. Maintenant que ce système économique s’effondre, Davos nous a volé une partie de nos thématiques. Mais entre Porto Alegre en 2001 et Tunis en 2013, la souffrance n’a pas changé de camp, elle s’est généralisée, constate l’altermondialiste malienne Aminata Traoré. Comment comprendre, par exemple, la grave crise que traverse le Mali sans la relier à la crise systémique? À partir du moment où le seul horizon des responsables politiques est de demander les bonnes grâces des bailleurs de fonds, plus aucun débat démocratique n’est possible.»

Confronté à des grèves et mouvements sociaux qui n’ont pas connu de trêve la semaine dernière, le gouvernement tunisien a tenté de tirer argument du FSM pour redorer son blason social. Le premier ministre (Ennahda), Ali Larayedh, s’est ainsi réjoui, dimanche, de la tenue de cet événement «qui a fait de Tunis la capitale du monde entier durant une semaine». «La Tunisie a réalisé la liberté et persévère pour accomplir la dignité à travers le développement et la justice sociale», a assuré le dirigeant islamiste. Le même espère conclure bientôt, avec le FMI, un «accord de confirmation à titre de précaution» pour un montant de 1,78 milliard de dollars. Avec, comme contrepartie, un «programme de réformes» dont le coût social promet d’être désastreux.

L’alter summit en débat au FSM  Alors que l’Europe est en crise depuis six ans et que les dirigeants de l’Union européenne, au fil des sommets, ne cessent d’imposer des politiques d’austérité, différents mouvements se lèvent contre cette offensive néolibérale sans précédent. Les 7 et 8juin se tiendra à Athènes un «alter summit», un autre sommet, visant à rassembler toutes les forces qui s’opposent aux politiques actuelles. Les contours en ont été précisés lors d’un atelier tenu pendant le FSM à Tunis. Ce sommet alternatif est porté par des associations et des syndicats, soutenus par des partis politiques dont le Parti de la gauche européenne. Il sera l’occasion de manifestations, réunions de réseaux, qui élargiront les perspectives de luttes. Avec une ambition: rendre la souveraineté aux peuples.

Par Rosa Moussaoui et Fabien Perrier - Source de l'article l'Humanité

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