Rencontre avec Thierry Fabre, commissaire de la
remarquable exposition "Le Noir et le Bleu. Un rêve méditerranéen",
au Mucem.
Le Mucem n’est pas un musée comme les autres. " Un
musée des civilisations , explique son directeur Bruno Suzzarelli, est un musée
de société élargi à un ensemble plus vaste, en l’occurrence le grand ensemble
euroméditérranéen avec ce souci que nous avons de partir de la Méditerranée
pour regarder l’Europe et les continents qui bordent la mer intérieure. On a
l’habitude des musées des Beaux-Arts, où objets et œuvres d’art sont présentés
en partant de l’histoire de l’art. Un musée comme le Mucem part des phénomènes
de société. Des grandes questions qui interrogent les gens, qui expriment leurs
modes de vie, leurs conflits, leurs représentations, leurs cultures. On essaie
d’en parler à travers des objets qui témoignent de leurs cultures. "
Dans les premières expositions (il y a en cinq, lire à la
page suivante) on peut voir autant un humble objet que des œuvres de Courbet ou
Picasso.
L’essentiel des collections du Mucem provient de l’ancien
musée National des arts et traditions populaires qui avait été créé en 1937 par
le Front Populaire pour donner aux arts populaires la même importance
culturelle et scientifique qu’aux productions des Beaux-Arts. Au total : 250
000 objets, 130 000 estampes, dessins, affiches et tableaux, 450 000
photographies, 140 000 cartes postales.
Mais pour devenir "Mucem", il y eut aussi un
virage très important, en opposition aux idées de repli nationaliste et identitaire.
Loin de rester uniquement français, le musée ouvre un dialogue sur la
Méditerranée et ses enjeux. Un choix défendu depuis le début par Thierry Fabre
qui est aussi commissaire de la remarquable exposition "Le Noir et le
Bleu. Un rêve méditerranéen" . Créateur des rencontres d’Averroès, il se
bat depuis des années pour ce dialogue par-delà la mer et pour ce projet. Nous
l’avons rencontré sur le toit terrasse du Mucem.
"Après les attentats du 11 septembre, j’ai défendu
l’idée d’un projet méditerranéen pour mieux comprendre les enjeux qui nous
attendent. L’exposition "Le Noir et le Bleu" parle de la vision que
nous avons eue de la Méditerranée et des pays du Sud, et inversement, parle
aussi de la vision que ces pays qui la bordent ont eue de nous. Quel est le
rêve de l’Autre ? C’est une invitation au rêve qui n’oublie jamais de regarder
bien en face les cauchemars de l’histoire, car, comme le disait Walter
Benjamin, "il n’est pas de document de civilisation qui ne soit pas en
même temps un document de barbarie".
A l’heure d’un certain repli européen, de l’Europe
forteresse et de la peur du monde arabo-musulman, créer un tel musée est-il un
signal ? "Pasolini disait qu’à la folie de la peur, il fallait répondre
par la folie de rêver. La question de la Méditerranée n’est pas seulement
importante à cause des pays qui la bordent, mais aussi, à cause des diasporas
installées chez nous. Il y a d’urgence quelque chose à recoudre dans le projet
européen. Car celui-ci ne fait plus rêver. L’imaginaire européen n’est plus
désirable, disent aujourd’hui bien des Turcs, par exemple. L’Europe n’est plus
un aimant. Que veut-on alors ? Une Europe qui devienne demain, sans rivages ?
Un Europe forteresse prise par la peur ? Ce musée est un signal pour ne pas
nous enfermer. Il est face à la mer, à l’entrée du port, il a deux grandes
passerelles qui symbolisent les passerelles culturelles que nous voulons créer.
Sans la Méditérrannée, l’Europe n’aurait pas de visage, pas de nom. Ses
origines sont là. Et l’Europe vieillissante, en voie de dépopulation, devrait
voir la complémentarité qu’elle a avec cette Méditerranée et ce monde arabe
très jeune. Je suis d’ailleurs frappé que ce furent les journalistes allemands,
les plus nombreux à venir à l’ouverture. "
" Le musée est une invitation à ne pas céder à la
peur mais à garder la part de rêve. Avec entre autres , le regard si important
des artistes, y compris contemporains, comme ce film si évocateur de la
Palestinienne Larissa Sansour sur l’absence d’Etat palestinien. Le projet européen
est devenu sans boussole, enferré dans une gélatine bureaucratique, limité à
une zone de libre-échange. Il faut réécrire le rêve européen en regardant la
Méditerranée et notre rôle, sans faire pénitence, ni culpabilité, mais sans
cacher non plus les drames que nous avons apportés. La conquête de l’Egypte par
Napoléon, ne fut pas que scientifique, elle causa d’immenses massacres. En
Algérie, on enfuma des populations civiles dans des grottes et on a commis le
massacre de Sétif. Nous voulons étudier ces questions, en confrontant les
regards divers. montrer quel est le regard de l’Autre. Et on espère en attirant
du monde, propager peu à peu, cette idée d’ouverture, faire de la
pollinisation."
Le Mucem est aussi un formidable outil de revalorisation
de la ville. Les Marseillais en ont assez, disent-ils, d’être assimilés au
banditisme et aux règlements de comptes. Ils se heurtent, ajoutent-ils, à un
certain mépris des Parisiens. Le Mucem peut redresser la barre. Il le mérite
largement.
Par Guy Duplat - Source de l’article Libre Belgique
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