Rendez-vous Hommes et Migrations - Nouvelles migrations
en Méditerranée
Dimanche 26 Mai 2013 – Compte rendu par David Antunes
Les bouleversements socio-économiques et les révolutions qui ont affecté les sociétés méditerranéennes ont-ils engendré de nouveaux flux migratoires vers l’Europe ?
Quels sont les facteurs déterminants de ces changements ?
En quoi ces nouvelles migrations remettent-elles en question le modèle économique d’une “main d’œuvre étrangère” liant le Maghreb à l’Europe pour y occuper certains secteurs du marché du travail ?
Les frontières des Etats de l’espace euromaghrébin peuvent-elles encore vraiment contrôler ces circulations multiformes ?
Autant de questions qui ont été abordées lors de la conférence, organisée par la Revue Hommes et Migrations, le samedi 25 mai à la Cité nationale de l’histoire et de l’immigration, en partenariat avec IPEMED.
Introduisant la rencontre, Marie Poinsot, Rédactrice en chef de la revue Hommes et Migrations, rappelle que, en 2007, la revue avait déjà publié un dossier intitulé « Nouvelles figures de l’immigration en France et en Méditerranée ». Depuis cette date, avec le changement du paysage économique et les « printemps arabes », il est apparu nécessaire de compléter ces travaux, à la lumière des bouleversements intervenus dans la région. C’est ainsi que paraît aujourd’hui un nouveau dossier, consacré aux « Nouvelles migrations en Méditerranée ».
Deux tables rondes ont été organisées : la première consacrée aux changements dans l’espace méditerranéen, la seconde à la diversification des flux migratoires.
Les changements dans l’espace méditerranéen
Baccar GHERIB, de l’Université de Jendouba (Tunisie), membre de l’UGTT, rappelle les changements politiques et sociaux intervenus en Tunisie depuis la révolution.
Il explique que s’il est vrai qu’un processus démocratique est effectivement en marche, la situation économique et sociale s’est, quant à elle, franchement dégradée. Au point qu’aujourd’hui l’optimisme des débuts a fait place à l’inquiétude et au scepticisme.
Selon lui, cet échec, lié certes a une conjoncture défavorable, trouve également sa source dans l’absence de programme économique des partis islamistes, vainqueurs des élections après la chute de Ben Ali, mais aussi du fait du divorce entre les principales thématiques à l’origine de la révolution tunisienne (revendications politiques, économiques et sociales, désir d’inclusion de la jeunesse) et le registre sur lequel s’est joué le scrutin huit mois plus tard (problématique identitaire) : pour résumer, Baccar GHERIB fait sienne l’analyse de Yadh Ben Achour, « le peuple de la révolution n’est pas celui des élections ».
Aujourd’hui, les vraies questions qui avaient été au centre de la révolution ne sont toujours pas résolues. La situation politique, économique et sociale s’est même aggravée. Sur le plan économique, le tourisme et l’investissement étranger se sont effondrés et le chômage n’a pas cessé d’augmenter (+50% depuis 2011). Sur le plan social, l’absence de solutions, notamment au problème du chômage , engendre des mouvements de contestation forts et des grèves générales dans les régions de l’intérieur qui s’étaient déjà mobilisés pendant la révolution. Sur le plan politique, des milices ont vu le jour tandis qu’une politique d’épuration de l’administration a été mis en place.
Au final, l’échec de la politique globale du gouvernement, associée à l’ « économie de butin » des personnes au pouvoir – enrichissement personnel utilisant leur position - a conduit à un rejet des politiques et au désenchantement actuel.
Sur le plan migratoire, la déception des jeunes en particulier de ne pas être « inclus » depuis la révolution, ne risque-t-elle pas d’entraîner au contraire un désir de départ ? De fait, selon B. Guerib, la situation actuelle créé des « aspirants à la migration ».
En termes de migrations, B. Guerib précise que le profil des émigrés tunisiens est toujours le même, à savoir essentiellement des jeunes diplômés chômeurs. Mais il remarque également un phénomène nouveau : une migration Nord/Sud : en effet, l’enthousiasme généré par la révolution a permis le retour au pays de nombreux cadres tunisiens vivant à l’étranger. Mais ce mouvement risque probablement de s’essouffler au vu de la situation actuelle du pays.
Interrogé sur la crise économique et la reconfiguration des migrations qui en découle, Messamah KHELIFA, de l’Université Paris VIII (France) rappelle que la Méditerranée a toujours constitué une frontière entre monde développé et en développement, une zone de déterritorialisation des hommes, d’abord sans qualification et aujourd’hui qualifiés.
Avant « les printemps arabes », le Maghreb était vu comme une opportunité d’élargissement économique de l’Europe vers le Sud dans le cadre d’un monde multipolaire constitués de blocs régionaux forts. Aujourd’hui cette vision est devenue obsolète puisque le Maghreb est davantage perçu par l’Europe comme un rempart face à l’Afrique subsaharienne que comme un partenaire d’avenir.
Dans le même temps, le Nord est conscient de l’importance au Sud des ressources naturelles (matières premières) mais aussi des ressources en capital humain. Et de fait, le dynamisme démographique du Maghreb contrastant avec le vieillissement de la population en Europe, pourrait potentiellement permettre de compenser, voire de résoudre, ce problème majeur en Europe.
Mais pour cela il faudrait un modèle migratoire qui fonctionne. Revenant sur les différents modèles migratoires en place en Europe depuis plus d’un siècle, M. Khelifa rappelle que jusqu’à la crise du fordisme survenue dans les années 70, on favorisait une immigration de masse, essentiellement masculine, destinée à travailler dans les métiers de l’industrie.
Depuis cette date, le marché du travail a changé et l’industrie déclinant, c’est dans le secteur tertiaire que des besoins se sont fait jour pour des métiers d’employés dans le secteur des services, entraînant une immigration plus féminine.
Aujourd’hui, les pays européens, et la France en particulier, cherchent à réduire l’immigration de masse peu qualifiée et, au contraire à capter les talents et compétences présents au Sud de la Méditerranée. Deux raisons à cela : d’une part, on cherche à limiter la venue d’une main d’œuvre inadaptée par rapport aux besoins et d’autre part, il est moins coûteux d’attirer de la main d’œuvre qualifiée déjà formée au Sud que d’investir dans la formation en Europe.
Autre aspect plus politique : les gouvernements européens pour des questions de politique interne préfèrent jouer la carte d’un contrôle des flux migratoires et d’une immigration choisie même si ce choix est en contradiction avec les nécessités économiques réelles. D’où une politique aujourd’hui schizophrène, cherchant à la fois à faire venir les jeunes diplômés - en facilitant par exemple l’accès aux bourses (entraînant ce que M. KHELIFA qualifie de « braconnage des élites ») – tout en cherchant à contrôler et réduire l’immigration - en renforçant les frontières avec Frontex et en mettant des barrières bureaucratiques pour les étrangers voulant s’installer en Europe avec une politique de visas très contraignante.
Pourtant, force est de constater l’échec de cette politique de « mercato migratoire ». Les immigrés qualifiés et diplômés sont aujourd’hui à la recherche d’autres destinations que l’Europe…
Prenant appui sur les premiers résultats d’une étude conduite par IPEMED sur la politique des visas de l’Union européenne à l’égard des pays du Maghreb (à paraître), Jacques OULD AOUDIA, Président de l’association Migrations & Développement et membre du Comité scientifique d’IPEMED, évoque les mécanismes de la politique migratoire européenne en comparaison avec celle mise en place en Amérique du Nord et au Canada.
Rappelant que toute politique migratoire doit affronter des contradictions importantes, Jacques Ould Aoudia souligne que ces contradictions se retrouvent dans les politiques mises en place. Trois axes principaux fondent les politiques migratoires : les enjeux démographiques liés au vieillissement et à la baisse de la natalité ; le marché du travail en terme de besoins de main d’œuvre qualifiée et non qualifiée; l’approche sécuritaire avec les instrumentalisations politiques qui en découlent.
Pour Jacques Ould Aoudia, la politique migratoire actuelle en Europe tient beaucoup à un jeu d’acteurs entre la Commission européenne et les Etats membres de l’UE : les gouvernements des pays membres traitent la question sous un angle politique favorisant une approche sécuritaire – la France a d’ailleurs eu un rôle moteur depuis 2008 sur ces questions - alors que la Commission traite la question plutôt sous un angle économique et insiste sur les besoins de main d’œuvre, dans un contexte de concurrence mondiale pour attirer les compétences..
Aujourd’hui on assiste donc à une multiplication de dispositifs bureaucratiques entre les différentes juridictions. Situation amplifiée par le fait que les dispositifs de l’UE sont particulièrement complexes et que les Etats-membres ne les mettent pas en application.
Au final et pour résumer, aucune autorité n’étant en capacité de trancher sur ces questions, si ce n’est à la marge sur des questions comme le visa temporaire touristique ou d’affaire, la politique migratoire de l’Europe est marquée par échec à résoudre le déficit démographique, à combler les besoins de main d’œuvre, à fermer les frontières.
Jacques Ould Aoudia constate par ailleurs que se développe désormais une immigration des pays du Nord vers les pays du Sud. Elle existait déjà auparavant mais ne touchait essentiellement que des retraités. Aujourd’hui elle concerne d’autres populations, telles que les jeunes diplômés cherchant du travail à l’étranger, des cadres immigrés de retour dans leur pays d’origine, ou bien encore les enfants d’immigrés partant dans le pays d’origine de leurs parents.
Enfin, à titre de comparaison, si l’on observe les politiques des Etats-Unis et du Canada en matière de migrations, de par la géographie et l’histoire de ces pays, on constate une approche très différente de celle de l’UE. Il y a en effet un objectif clairement affiché d’augmentation de leurs populations afin d’augmenter leurs capacités productives.
Et même si les discriminations raciales y ont existé jusque dans les années 60 et malgré les contradictions qui existent aussi au sein de la société américaine (preuve en est le rejet du plan Obama par le Congrès américain), on remarque néanmoins que l’approche de ces questions y est globalement moins suspicieuse et moins malveillante qu’en Europe.
L’Europe est traversée par une crise sociale et identitaire, ce qui ne la rend pas accueillante, à l’inverse de sociétés plus dynamiques comme en Amérique du Nord. Pour autant, les pays du Sud ont eux aussi leur part de responsabilité puisqu’ils n’arrivent pas à retenir leurs élites et leurs compétences.
Pour conclure sur une note positive, J. Ould Aoudia rappelle qu’au-delà des politiques, il existe des actions locales, menées notamment par le secteur associatif. L’Association Migrations & Développement, qu’il préside, en est un exemple. Basée sur un projet ouvert et non communautaire, Migrations & Développement intervient dans une région de forte émigration au Maroc et a bâti une méthode innovante en matière de développement : participative, fondée sur des partenariats avec les acteurs locaux et dans un souci de solidarité entre les migrants et les villageois.
Le migrant comme passeur, jouant un rôle de catalyseur.
Source de l'article l'IPEMED
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