Maroc-UE: "Si la crise continue, elle pourrait avoir un impact négatif sur la coopération bilatérale"

Alors que l'Union européenne est le premier partenaire de développement du Maroc avec des dons estimés à près de 2 milliards de dirhams chaque année, la crise diplomatique que traversent actuellement les deux parties a tout intérêt à "prendre fin rapidement", estime Rupert Joy, ambassadeur de l’UE au Maroc. 

RUPERT JOY

Au risque de voir émerger "un impact négatif sur la coopération bilatérale". Entretien.

HuffPost Maroc: Qu’en est-il actuellement des relations entre l’Union européenne et le Maroc?

Rupert Joy: J'aimerais souligner tout d'abord que l'Union européenne et le Maroc ont développé, depuis de longues années, un partenariat durable et vaste qui, pour l'UE, reste un élément primordial de nos relations avec nos voisins au Sud de la Méditerranée. Il est vrai que nous passons actuellement par une phase difficile suite à l'arrêt du Tribunal de l'UE concernant l'accord agricole. Mais il y a déjà une chose à clarifier d’emblée: l’accord agricole entre l’Union européenne et le Maroc est toujours en vigueur.

L'arrêt dont nous parlons est l'arrêt d'un Tribunal de l'UE, qui est indépendant, et qui annule une décision du Conseil de l'UE. C’est avant tout une affaire juridique entre les institutions de l'UE. Bien sûr, nous comprenons que le Maroc soit aussi concerné par cette question, c'est pourquoi l'Union européenne a fait de gros efforts pour consulter le Maroc dans la préparation du pourvoi contre cet arrêt.

L'UE a réagi immédiatement et avec détermination pour faire appel contre cet arrêt. Cette réaction a en effet été exemplaire et une des plus rapides dans l'histoire de l'UE: dès le lendemain de l'arrêt, la décision de faire appel contre l'arrêt du Conseil (des ministres européens, ndlr) a été préparée et adoptée quelques jours après à l'unanimité par tous les Etats membres, ce qui montre l'importance qu'attache l'UE à son partenariat avec le Maroc. Durant la préparation du recours, le Maroc a été tenu régulièrement informé de cette procédure dans le cadre des contraintes juridiques qui s'appliquent.

Cependant, il est clair que le royaume considère n'avoir pas été suffisamment associé à la procédure. Il a exigé des assurances et des clarifications additionnelles de la part de l'UE et nous sommes en contact étroit avec les responsables marocains pour dissiper tous les malentendus.

Quel est l’impact du gel des relations entre le Maroc et l’UE sur la délégation européenne présente au royaume?

Nous avons pris note de la déclaration du Chef de gouvernement marocain de geler les contacts officiels entre le gouvernement et la délégation de l’Union européenne, sauf au sujet du recours mentionné auparavant. Quelques réunions ont en effet été reportées, d’autres annulées. Il est encore trop tôt pour mesurer les conséquences, mais je crains que si la situation continue, elle pourrait avoir un impact négatif sur la coopération bilatérale.

Ceci dit, Rabat et Bruxelles s’entretiennent à très haut niveau pour régler la situation le plus vite possible et donner au Maroc les assurances qu'il souhaite dans le cadre juridique qui s'applique. L’Union européenne fait actuellement le maximum pour sortir de cette situation. Elle souhaite réellement poursuivre sa coopération avec le Maroc car c’est un partenariat d’une importance capitale, développé depuis quarante ans (les premiers programmes de coopération remontent à 1976, ndlr), mutuellement avantageux.

Je vous rappelle que nous sommes de proches voisins et nous dépendons l'un de l'autre. Le Maroc bénéficie aussi beaucoup de notre partenariat: 55% du commerce extérieur du Maroc s'effectue avec l'UE et 70% des investissements étrangers viennent de l'UE. L'Union est le premier partenaire de développement avec des dons estimés à près de 2 milliards de dirhams chaque année. Depuis 1995, l'Union européenne a investi plus de 100 milliards de dirhams au Maroc pour le développement de plusieurs domaines comme la santé, l'éducation, l'agriculture, la justice, et les droits de l'Homme pour n'en citer que quelques uns.

Sur le plan humain, nous sommes étroitement liés, avec près de 2,5 millions de Marocains vivant en Europe, qui sont d'ailleurs les premiers ressortissants dans le monde à acquérir la citoyenneté d'un Etat membre: entre 2004 et 2013, plus de 614.000 Marocains ont acquis une nationalité européenne. C'est donc un partenariat vaste et important qui mérite d'être traité avec un respect mutuel.

Comment se manifeste concrètement le partenariat agricole entre le Maroc et l’Union européenne?

Les échanges commerciaux des produits agricoles entre l'UE et le Maroc se font dans le cadre de l'accord communément appelé "accord agricole", entré en vigueur en 2012 et qui se tourne vers une très grande libéralisation des échanges.
Cette libéralisation se fait de façon graduelle. L'UE accorde au Maroc une libéralisation immédiate de 55% de la valeur du commerce, égale à 98% des lignes tarifaires.

Tous les produits marocains ont été libéralisés à l'exception, entre autres, des tomates, des concombres, des courgettes et de l'ail qui ont un traitement dans le cadre de quotas tarifaires. Pour sa part, le Maroc accorde une libéralisation immédiate de 45% de la valeur du commerce agricole, puis de 61% en 5 ans et de 70% en 10 ans, égale à 91% des lignes tarifaires. En même temps, l'accord protège les produits sensibles marocains tels que les viandes, les céréales et dérivés, l'huile d'olive, notamment, qui ont aussi été négociés sous forme de quotas tarifaires permettant ainsi le déroulement du commerce traditionnel au Maroc.

Selon les chiffres d’Eurostat (direction générale de la Commission européenne chargée de l' information statistique à l'échelle communautaire, ndlr), les exportations marocaines ont augmenté de façon très significative depuis l'entrée en vigueur de cet accord en 2012, avec 1,5 milliard d’euros en 2014 contre 1,2 milliard d’euros en 2012, en particulier pour les fruits et les légumes.

Par ailleurs, en 2015, le Maroc s’est imposé comme le plus grand fournisseur non européen de légumes à l’UE. En effet, il a enregistré une forte croissance de 15% de ses exportations de légumes vers l’Europe, pour un chiffre d’affaires de 630 millions d’euros. La tomate est le principal légume que le Maroc vend en Europe. Une telle tendance s'observe aussi pour les produits agricoles transformés, le Maroc ayant retrouvé la place de 35ème fournisseur de l'UE pour ces produits, alors qu'il était passé de 33ème à 40ème entre 2004 et 2011.

L'accord prévoit aussi le respect des dispositions sanitaires et phytosanitaires. Dans le cadre de l'exercice de rapprochement réglementaire, le Maroc accorde aux questions sanitaires une grande importance. Des programmes de jumelages institutionnels ainsi que des actions d'assistance technique financés par l'UE sont menés dans ce domaine.

Aussi, la création de l'ONSSA (Office national de sécurité sanitaire et alimentaire, ndlr) au Maroc, à l'image de l'EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments, ndlr) donne toutes les garanties d'une gestion et priorisation sur ce sujet extrêmement sensible pour les consommateurs.

Un accord sur la protection des indications géographiques, aussi prévu dans l’accord, a été négocié et paraphé en janvier 2015. Les procédures d'adoption sont en cours au niveau des deux parties. Cet accord permettra une valorisation de la production et une amélioration de la qualité au Maroc, comme par exemple la reconnaissance et la protection de l'huile d'argan comme produit purement marocain ou encore la clémentine de Berkane. En même temps, l'UE continue de soutenir le Maroc dans le développement de son secteur agricole, notamment avec un programme qui vient en appui au Plan Maroc Vert.

Par Solène Paillard - Source de l'article Huffpostmaghreb

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