Alors qu’autrefois les pays du Maghreb, notamment le Maroc et l'Algérie, étaient des greniers à blé pour certains pays d’Europe, ils sont devenus, au fil des années, beaucoup trop dépendants de l’Hexagone. Selon l'économiste Najib Akesbi, cette dépendance est d'abord historique, mais s'explique surtout par le modèle économique adopté par le Maroc, l'Algérie et même la Tunisie. Les accords de libre-échange y ont mis leur grain de sel. Résultat: le Maghreb baigne dans la contrainte. Explications.
Les exportations de blé en France ont augmenté de 89% en février 2013 à la même période l'an dernier, passant de 993 000 tonnes à 1,88 millions de tonnes, en raison d'achats importants de l'Algérie et du Maroc. En effet, les importations de blé du Maroc ont considérablement grimpé au premier trimestre de cette année. Et si le royaume tente ces derniers temps de diversifier ses fournisseurs, la France reste un fournisseur de choix.
Pareil pour l’Algérie. Sur environ « 5 millions de tonnes importées chaque année, 4,5 millions sont françaises », révèle le quotidien français Libération. Pas plus tard que ce vendredi matin, l’Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC) a acheté à la France 50 000 tonnes de blé qui seront livrés au mois d’août.
La Tunisie ne fait pas exception. Elle importe annuellement près d’1 million de tonnes de blé tendre et 300 à 400 mille tonnes de blé dur de la France, confiait en novembre dernier à la presse, le chef de mission Maghreb de l'Association pour la promotion internationale des céréales françaises (France export céréales), Yann Lebeau. Ces importants achats visent à combler la faible production locale qui ne dépasse pas les 200 000 tonnes pour le blé tendre, selon l’Office tunisien des céréales. Cette année,Tunis pourrait en importer de plus grandes quantités.
C’est donc un fait. Les pays maghrébins restent dépendants du blé français. D’autres pays tels que la Russie et l’Ukraine ou encore le Canada et les Etats-Unis exportent certes vers le Maghreb, mais la France domine. Yann Lebeau explique cet avantage, entre autre, par la proximité géographique entre le Maghreb et l’Hexagone, ainsi que l’avantage financier dont jouit la France grâce aux accords de ces pays avec l’UE.
« Dépendance, d’abord historique »
« La dépendance du Maghreb vis-à-vis du blé français est d’abord historique », déclare d’emblée à Yabiladi Najib Akesbi, économiste et enseignant à l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II de Rabat. Que s’est-il passé, alors que le Maroc et l’Algérie notamment étaient autrefois des greniers de la France ? « Au-delà des apparences, ces pays font les mêmes choix », déclare l’économiste ajoutant que le Maroc, l’Algérie et la Tunisie « ont tous fait des choix de production en rupture avec leur modèle de consommation. Aujourd’hui, la tendance est au blé tendre, alors que traditionnellement c’est plutôt le blé dur ».
« Ainsi au bout de deux ou trois décennies les pays du Maghreb se sont retrouvés en position de dépendance alimentaire. La production est devenue incapable de satisfaire la consommation », affirme l’économiste, soulignant que les aléas climatiques viennent amplifier ou atténuer cet état des choses.
Les accords de libre-échange tiennent les pays maghrébins par le cou
Les accords de libre-échange entre l'UE et le Maghreb sont une aubaine pour la France qui est le seul pays de l’Union exportateur de blé dans ces pays. Parlant du cas marocain, le royaume a également un accord de libre-échange avec les Etats-Unis. Pour tous ces protocoles, il existe un quota d’importations flexible en fonction de la production agricole des pays fournisseurs. « Aujourd’hui, le Maroc est tenu par ces accords d’importer un quota qui varie pour les Etats-Unis entre 400 000 et 1 million de tonnes, ainsi que pour l’UE entre 400 000 et 700 000 tonnes. En additionnant, vous vous rendez compte que le Maroc doit importer de ces pays 1,7 million de tonnes de blé chaque année », explique M. Akesbi. Et d’ajouter : « Si l’on considère que le [royaume chérifien] achète une trentaine de millions de quintaux de blé chaque année, cela veut dire qu’il est obligé d’en importer la moitié des Etats-Unis et de la France ». L’économiste fait remarquer au passage que même lorsque le campagne agricole est bonne, le Maroc ne se prive pas d’importations. Il y est contraint.
Comme si le quota ne suffisait pas, « il y a une ‘carotte’ derrière, les droits de douane », lance Najib Akesbi. Ces accords de libre-échange contraignent le Maroc à importer de ces pays à un droit de douane inférieur à 38% par rapport au taux réel pratiqué », explique-t-il. La France exporte donc son blé à un taux préférentiel. Cela devrait être pareil pour l’Algérie et la Tunisie. Pour M. Akesbi, ce que vivent les pays maghrébins relève du « paradoxe ». « Normalement, on signe des accords pour avoir une plus grande marge de manœuvre, mais nous, on signe pour la restreindre », déplore-t-il, soulignant que « le blé ukrainien par exemple est pourtant intéressant même s’il ne bénéficie pas de l’abattement »
Qu’arrivera-t-il si la France subit des perturbations climatiques ?
Dans un autre cas de figure, la France est également susceptible de subir les perturbations climatiques desquels dépendent la récolte. « Cela devrait nous faire méditer », lance l’économiste. C’était d’ailleurs le cas des Etats-Unis l’année dernière. Aucun industriel américain n’avait répondu à l’appel d’offre lancé par le Marocpour l’importation de 300 000 tonnes de blé tendre. Le pays avait privilégié sa sécurité alimentaire.
« Il faut comprendre que ces pays exportent quand ils ont assuré la consommation nationale. Pour nous, la sécurité alimentaire, c’est du vent, alors que chez eux c’est une réalité qui a un coût et pas de prix. Quel que soit les avantages que vous leur proposez, ils ne sont pas preneurs ».
Par Ristel Edimo - Source de l'article Yabiladi
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