Dans son rapport remis début avril au Président du
Parlement européen sur « L'Europe et la Méditerranée : propositions pour
construire une grande région d'influence mondiale », l'Institut de prospective
économique du monde méditerranéen (Ipemed, Paris) réactualise, arguments à
l'appui, un projet quelque peu oublié, celui de la création d'une Banque
euroméditerranéenne de développement.
Le
rapport de l'Ipemed, produit à la demande expresse du président du parlement de
l'UE, Martin Schulz, aborde un large éventail de thématiques d'intérêt
euroméditerranéen : l'énergie, la culture, les mobilités, le rôle des sociétés
civiles, les coopérations universitaires, la sécurisation des investissements,
l'accès à l'eau potable, l'environnement... ainsi que bien sûr la question du
financement des actions concrètes à moyen et long terme, pour lesquelles
l'Ipemed préconise de « créer une Banque de développement pour la région ».
Les
signataires du rapport, coprésidents du Comité d'orientation politique de
l'Ipemed - l'Espagnole Carmen Romero Lopez, députée européenne, et Abderrahmane
Hadj Nacer, ancien gouverneur de la Banque d'Algérie - soulignent que « pour
les dix prochaines années, la BEI [Banque européenne d'investissement] estime
les besoins des PSEM [Pays du sud et de l'est de la Méditerranée] à 100
milliards d'euros dans le domaine énergétique, 110 milliards pour l'aménagement
urbain (eau, assainissement, traitement des déchets, transports urbains), 20
milliards pour la logistique (ports, aéroports, autoroutes) et 20 milliards
pour le soutien au développement des entreprises ».
Face
à ces besoins considérables, un constat s'impose : « la région manque de
coordination entre les différents bailleurs de fonds, de mobilisation de
l'épargne privée et de soutien dans l'ingénierie des financements. Les
instruments financiers actuels ne suffisent pas ».
Depuis 2001, la longue marche d'une bonne idée avortéeC'est
une première raison, selon l'Ipemed, pour créer une Banque de développement de
la Méditerranée - à l'instar de ce que l'on a su faire en 1991 pour les pays
d'Europe et centrale et de l'est avec la Berd, la Banque européenne pour la
reconstruction et le développement.
Au-delà
de son intérêt strictement financier, cette Banque Euromed présenterait
plusieurs avantages et effets positifs induits, estiment les rédacteurs de
l'Ipemed : « elle contribuera à restaurer la confiance des investisseurs et des
industriels dans la région. Elle aidera à améliorer les conditions de la
sécurité des flux d'épargne et d'investissement en s'engageant dans une logique
d'intégration régionale durable en facilitant la transformation des encaisses
oisives en ressources longues ; en remplissant les fonctions essentielles
telles que le financement des PME et du secteur privé ; en soutenant l'activation
des marchés financiers ; en favorisant les conditions de stabilité et d'ancrage
monétaire ».
Devant
cette série d'avantages, on se demande pourquoi la création cette Banque de la
Méditerranée, dont on parle depuis 2001, n'aboutit pas. Cette année-là, le
Conseil européen invita la Commission à examiner l'hypothèse de sa création.
Mais en 2003, le conseil Ecofin n'a pas donné suite au projet de banque. Il
s'est prononcé en faveur d'une « Femip renforcée », la Femip étant la Facilité
euroméditerranéenne de partenariat et d'investissement. Certes, depuis, la
Femip n'a pas démérité, puisqu'elle est devenue très vite le premier financeur
d'investissements structurants dans les pays partenaires méditerranéens, avec
13 milliards d'euros investis en neuf ans (entre sa création en octobre 2002 et
décembre 2011) et 35 milliards d'euros de capitaux supplémentaires collectés
auprès d'institutions financières internationales.
Reste
que son « patron », Philippe de Fontaine Vive, vice-président de la BEI, s'est
exprimé lui aussi, à titre personnel, en faveur de la création d'une Banque de
la Méditerranée : « une Banque de la Méditerranée aurait d'autant plus de sens
qu'elle bénéficierait de l'expérience et de la solidité de la Femip », nous
disait-il dès octobre 2007, à l'occasion d'un entretien pour Challenge Hebdo
Maroc.
En
mai 2011, c'était au tour de Laurent Vigier, directeur des relations
européennes et internationales de la Caisse des dépôts et consignations (CDC)
de nous dire : « Mon avis, c'est que la création d'une institution type Banque
de la Méditerranée est une très bonne idée ! (...) Comment faire ? Plusieurs
hypothèses sont aujourd'hui sur la table : celle de la filialisation de la
Femip est probablement la plus élégante, la plus logique et la plus facile, si
on veut la mettre en œuvre ».
Les experts internationaux de la Commission Milhaud pour
une « vraie » banque
Entre-temps,
il y eut le Rapport de la commission Milhaud. À la suite d'une demande de
Nicolas Sarkozy, en décembre 2009, Charles Milhaud, ancien dirigeant du groupe
Caisses d'Épargne, anima durant plusieurs mois un collectif de onze experts
financiers chargés « d'étudier la possibilité de créer une banque dédiée au
financement du codéveloppement en Méditerranée ».
Son
rapport, remis le 25 août 2010, évoquait plusieurs hypothèses, mais affichait
clairement sa préférence pour une « vraie » banque de développement, une
filiale spécialisée de la BEI, soit une super-FEMIP ouverte à d'autres
partenaires volontaires.
Une
posture d'autant plus intéressante qu'elle ne pouvait être suspectée de n'être
qu'une idée franco-française - voire exclusivement élyséenne, péché récurrent
maintes fois reproché à l'UpM. En effet, parmi les onze personnalités, on
comptait six étrangers, soit la majorité : Franco Bassanini, président de la
Caisse des dépôts et des prestations italienne ; Khalil Ammar, PDG de la BFPME,
banque tunisienne de financement des PME ; Mohamed El Kettani, PDG de
Attijariwafa Bank, première banque marocaine ; Abderahman Hadj Nacer, directeur
d'IM Bank, ancien gouverneur de la Banque centrale d'Algérie ; Mohamed Tamam,
sous-gouverneur de la Banque centrale d'Égypte ; José Antonio Olavarrieta,
directeur de la Confédération espagnole des caisses d'épargne.
Cette
recommandation de la Commission Mihaud passa pour être bien accueillie par les
pays partenaires, et, s'exprimant quelques semaines plus tard, lors d'un
entretien accordé au mois d'octobre 2010 à Hichem Ben Yaïche pour le magazine
New African, Charles Milhaud déclarait : « ...à travers la Femip, [qui] a déjà
des équipes, cela permettrait, en moins de deux ans, de créer cette banque ».
Depuis,
les deux années sont largement passées. Il y a eu le surgissement des printemps
arabes, à partir de janvier 2011 en Tunisie, la sidération conséquente des
dirigeants occidentaux qui n'avaient rien vu venir, leur désir de « se
rattraper », concrétisé notamment par le bricolage hâtif du Partenariat de
Deauville, au sommet du G8 de mai 2011, avec la promesse mirobolante de
collecter près de 80 milliards de dollars pour les « pays en transition
démocratique » du sud méditerranéen.
Depuis,
presque deux années de plus se sont écoulées. Deux années de plus perdues, car
« l'usine à gaz » du Partenariat de Deauville n'a à ce jour produit que
quelques miettes, et les décisions d'un réel engagement ont encore été
reportées à septembre prochain (voir notre article : « Martin Schulz, l'ami
allemand de la Méditerranée »).
C'est
pourquoi il faut prendre comme une bonne nouvelle que l'Ipemed propose au
Président du Parlement européen de promouvoir à nouveau le projet d'une Banque
de développement de la Méditerranée. L'évidence de son intérêt n'est plus à
démontrer, et son aboutissement constituerait aussi un signal politique inégalé
quant à une volonté réelle de relancer l'Union "de projets" pour la
Méditerranée. Un signal qui nourrirait de nouvelles espérances et ouvrirait
d'immenses perspectives.
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