Comme s’il n’y en avait pas assez, une nouvelle
frontière entre le Nord et le Sud se dessine sous nos yeux ces tout derniers
jours. On l’appellera le Mur de la Démocratie.
À Londres, Paris, New York, les démocrates s’égosillent
d’indignation au spectacle de la répression contre les Frères Musulmans égyptiens,
contre le coup d’État du général El Sissi. Au Caire, à Tunis (où je me trouve),
à Alger, les démocrates tout aussi démocrates que leurs pareils d’Occident, se
réjouissent des assauts contre les intégristes et ne s’attristeraient pas d’une
épuration plus radicale. Centaines, milliers de morts ? Et alors, entend-on ?
Ils aspiraient de toute leur âme au Paradis d’Allah ? Ils y sont. Qu’ils y
restent. Que tous les intégristes les rejoignent, on aura enfin la paix. Vive
Sissi !
Au Nord, on
vous dit : Les Frères Musulmans ne sont pas notre tasse de thé mais ils ont été
élus régulièrement. Morsi était un président légitime. Il n’a pas été scrupuleux
au regard de l’état de droit, mais qui l’est vraiment, même en Grande Bretagne
et aux Etats Unis ? Il convenait de le laisser s’achever son mandat puis de se
mesurer à lui dans les urnes. Cela s’appelle la démocratie. Destituer le Président
légal, le boucler au trou, ouvrir le feu aveuglément sur les protestataires, c’est
de la dictature militaire. Revenir à l’ère des putschs, à l’écrasement des
libertés. L’horreur.
Au Sud, on réplique
: Doucement ! Morsi n’a pas cessé de rogner sur les libertés, de faire main
basse sur les medias, de noyauter les administrations et l’armée. Progressivement,
il mettait en place un régime à la saoudienne, à l’iranienne, une société corsetée
de religion des orteils à la barbe. Nous ne battrons jusqu’au bout contre ça. Nous
sommes descendus dans la rue par millions et millions. L’armée nous a entendus.
Elle a agi selon les vœux du peuple. Cela s’appelle la démocratie. Que les Frères
Musulmans aillent se faire voir ailleurs. Que les Nahdaouis tunisiens (élus à la
loyale) retournent à Londres. Que les islamistes débarrassent le plancher. Dicter
aux gens leurs convictions religieuses, leur boire et leur manger, leur vêture,
leur coiffure, leur nourriture, leur biture, c’est ça la démocratie ?
Sauf à créer un G20 du dictionnaire, une ONU des
appellations, on ne voit pas ce qui permettrait aux uns d’imposer aux autres
leur définition du vocable démocratie ou leur conception de la chose. Au Sud
comme au Nord, on s’affirme et on est réellement démocrate. Mais on veut
exactement le contraire. Embêtant, non ? Les valeurs de la démocratie, en s’universalisant,
étaient supposées lever les barrières entre les peuples. Les barrières abolies,
voilà que s’élèvent maintenant des murs. Des murs d’incompréhension.
Source de l’article Marianne
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