Assia Bensalah Alaoui, Ambassadeur itinérant de SM Mohamed VI, Roi du Maroc, co-présidente de l’OCEMO
Modérateur Olivier Mazerolle
O. Mazerolle : quel rôle Marseille et sa région sont-elles appelées à jouer sur la scène méditerranéenne ?
Permettez-moi, tout d’abord de remercier le président Michel Vauzelle pour son invitation dans cette ville que j’apprends à connaître. Si vous le permettez aussi, M. Mazerolle, peut-être la question : « quel rôle Marseille et sa région pourraient-elles jouer ? » me paraît plus pertinente…
Car, si elles ont à l’évidence plusieurs atouts et le potentiel pour jouer un rôle de premier plan en Méditerranée, encore faut-il qu’elles relèvent les sérieux défis qu’implique une telle ambition.
1/ Toutes les deux pourraient être, en premier lieu, un modèle pour la coopération décentralisée, qui a le vent en poupe. Rôle que, du reste, elles jouent déjà, à en juger par leur dynamisme et la multitude d’accords noués en la matière, tant par la ville de Marseille (28), que par la région PACA (16), et les 13 jumelages… Sans compter les nombreux accords entre entreprises, associations et autres institutions et acteurs de la société civile. Ce sont ces relations multiples qui viennent resserrer le maillage du tissu méditerranéen.
2/ En second lieu, elles ont l’ambition de devenir un pôle méditerranéen important, voire même de représenter la locomotive de la résilience et de la refondation à l’échelle de la Méditerranée, tout au moins occidentale, en attendant des jours plus propices pour l’ensemble de la Méditerranée.
Plusieurs arguments peuvent soutenir cette double vision, sans qu’il s’agisse de naïveté ou d’optimisme béat. Ils relèvent essentiellement de deux ordres : le premier est relatif à la ville et à ses territoires ; le second, plus conjoncturel, est lié au contexte régional.
1/ Tout d’abord la ville et ses territoires.
Bien sûr les nuisances et les violences épisodiques, comme celles de ces deux derniers jours, sont à la marge dans une ville plus pacifiée, mais elles viennent non seulement ternir à bien des égards l’image de Marseille, et surtout empoisonner la vie des populations dans certains quartiers. Il faudra bien un jour leur apporter des réponses appropriées…
Pour ma part, parmi les nombreux atouts que la ville et sa région recèlent et qui justifient amplement leurs ambitions, j’aimerais en retenir deux ou peut-être trois :
- à leur tête, la diversité culturelle bien sûr, à nulle autre pareille, avec cette mosaïque joyeuse des origines, les religions qui dialoguent, la convivialité qui imprègne les rapports entre toutes ces différences…
- le remarquable travail entrepris pour l’aménagement urbain, la reconquête sociale et économique, avec la culture comme point d’orgue et des réalisations emblématiques, comme le MuCEM, en dépit des polémiques à ce sujet, a certainement conforté, à la fois l’identité et l’ouverture de Marseille…
- me fascinent surtout cette détermination, cette formidable mobilisation tant des acteurs publics que privés et de la société civile pour la réappropriation des lieux, de l’histoire ; avec cette capacité de se projeter dans l’avenir et dans l’espace, naturellement méditerranéen. Démarche admirable dont ma ville d’origine, Fès, capitale spirituelle du Royaume du Maroc, a été la pionnière avec succès, il y a plus de 20 ans !!
- c’est cette ouverture-là, que j’ai envie de retenir. C’est, du reste, ce qui m’a séduite lorsque j’ai répondu à l’invitation de co-présider, aux côtés de Mouin Hamzé et de Philippe de Fontaine Vive, l’OCEMO. D’une certaine manière, en effet, notre institution symbolise, à petite échelle certes, mais avec une grande ambition, l’esprit de Marseille, fait de coopération, de partage et de multi-culturalité, de volonté d’innover et de valoriser le potentiel des partenaires, du Sud en particulier et, qu’avec le concours de ses membres, elle tente d’inscrire dans la réalité.
2/ En second lieu, le contexte tant national, européen, que régional, offre l’opportunité à la cité phocéenne et à sa région de jouer un rôle significatif en Méditerranée :
- confrontée à des défis multiples et variés, la France ne semble pas accorder la priorité à la Méditerranée. Marseille a toute latitude pour s’y atteler. Elle ne pourra cependant le faire seule ! Il lui faudra donc convaincre pour réinscrire celle-ci dans l’agenda de la France. Tâche rude à l’évidence. Mais elle aura une double occasion de déployer ses talents à cette fin, en juin et en octobre prochains ;
- accaparée par de multiples crises, l’UE, quant à elle, va d’erreurs d’appréciation en réponses tièdes et tardives aux soulèvements arabes, et semble avoir raté le rendez-vous avec l’histoire en Méditerranée. Il est clair que l’ampleur des défis lui semble paralysante et l’accule à seulement jouer les pompiers avec les résultats que nous connaissons. Par ailleurs, la grande rivale, Barcelone, semble toute absorbée par le frémissement de la reprise économique et la problématique du statut de la Catalogne… Mais peut-être pas pour longtemps…
- le contexte méditerranéen s’y prête également et montre bien qu’il y a une place à prendre, un leadership à exercer… Certes, au-delà du supplément d’âme qu’elle nous confère à tous, la Méditerranée se vit dans la douleur. Une inquiétude certaine au Nord, une certaine désespérance au Sud… La montée de tous les extrémismes sur les deux rives semble les écarter un peu plus, ne leur laissant souvent que la communauté des périls ! Il est donc urgent d’empêcher leur déconnexion, voire de tenter de les rapprocher.
Il est évident que, conflits et tragédies ponctuent le quotidien de bien de populations du bassin méditerranéen. Mais en dépit des instabilités politiques, des humiliations, des frustrations et des drames, l’espoir est bien là.
En effet, les enquêtes récentes ou en cours l’expriment clairement. Qu’il s’agisse du Gallup effectué pour la « Hammamet Conference » projet initié, en 2013 dans la région MENA par le Foreign Office britannique sur « Leadership in Times of Change », de celui mené par la Fondation Anna Lindh sur le rapport des « Tendances interculturelles » en 2014, ou encore des enquêtes menées dans le cadre du Projet de l’UE « TransArab », lancé en 2013 sur les transformations politiques, économiques et sociales dans sept pays arabes (Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Egypte, Jordanie et Irak ), et dont nous avons examiné les premiers résultats au Caire, la semaine dernière… Toutes ces recherches rendent compte, de différentes manières, de la confiance des sociétés arabes dans leur avenir qu’elles estiment être meilleur sur les plans de l’économie et du bien-être dans les cinq ans à venir. La défiance, dans l’ensemble, à l’égard de la capacité des politiques à relever les défis sociaux, contraste avec la participation citoyenne croissante. En dépit d’attitudes régressives ici et là, elles font montre en fait, d’un dynamisme et d’une ouverture étonnants, surtout chez les jeunes et les femmes : curiosité, indépendance d’esprit, confiance dans les sociétés civiles... Ces tendances me confortent dans la conviction que les jeunes et les femmes doivent être les cibles privilégiées de nos actions à tous, pour améliorer d’une manière durable le sort de nos sociétés dans leur globalité et leur offrir un avenir digne.
Tout ceci, me semble-t-il, rend Marseille et sa région, grâce aussi au chemin choisi, légitimes et attractives pour soutenir, consolider, accompagner cet espoir… Elles se doivent même d’anticiper cette nouvelle étape décisive dans le futur de la Méditerranée...
Elles le pourraient, au vu de tout ce qui a été avancé ; à condition, bien sûr qu’elles le veuillent, le décident et qu’elles déclinent à cette fin les nombreuses partitions à leur portée.
Pour cela, il leur faudra en premier lieu, triompher de leurs propres démons et de cette instabilité récurrente dans certains quartiers… A condition aussi que les élites, tout à fait conscientes de l’ampleur des défis pour atteindre les objectifs définis, fassent bloc pour les relever.
Elles pourraient, en second lieu, mettre à profit la sensibilité propre à la ville et à ses territoires pour adopter des approches ciblées, différenciées, des stratégies adaptées aux pays et régions du bassin méditerranéen, loin du « one size fits all », privilégiées par les états et l’UE et si décriées par les partenaires du Sud.
Stratégies à mettre en œuvre, dans un esprit d’égalité absolue, de partage des savoirs et des savoir-faire, en toute solidarité qui n’exclut pas la compétition loyale, souvent même, aiguillon du succès.
Pour être ce catalyseur d’une plus grande visibilité pour toute la région, il leur faudra améliorer d’une manière substantielle leur propre communication et s’employer à changer les regards croisés, biaisés, afin de conforter la confiance mutuelle, sans laquelle rien n’est possible…
Je vous remercie pour celle que vous m’avez faite en m’associant à cet exercice.
Source de l'article l'OCEMO
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