Discours de la Présidente de la Fondation Anna Lindh à Paris au forum "Dialogue interculturel pour une Méditerranée durable"

Je tenais à vous dire que je suis particulièrement heureuse de notre rencontre d’aujourd’hui. Dans le prolongement de la MedCop21 organisée en juin dernier à l’initiative de mon collègue et ami Michel Vauzelle, notre réunion remet la Méditerranée et ses forces vives au cœur du débat sur le changement climatique, à quelques semaines du début de la Conférence Paris Climat 2015. 

Je m’exprimerai avec ma double casquette de Présidente de la Fondation Anna Lindh et de Présidente de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, qui nous fait l’honneur de nous accueillir dans cette prestigieuse salle Lamartine.

J’ai proposé l’idée de ce forum au début de ma présidence de la Fondation Anna Lindh, en janvier dernier. Le dialogue interculturel est, je crois, un magnifique instrument pour établir des ponts entre les individus et les nations. Pour répondre au défi global du changement climatique, chaque passerelle, chaque lien est utile. À ce titre, le dialogue interculturel est un levier encore trop peu utilisé. Forte de 4 200 ONGs-membres dont plus du quart ont déjà travaillé sur les enjeux environnementaux et climatiques, la Fondation Anna Lindh veut apporter sa contribution pour que les sociétés de la Méditerranée relèvent le grand défi du ce siècle : limiter à 2°C le réchauffement climatique.

Je veux remercier Monsieur le Président Claude Bartolone, qui nous offre son haut-patronage et dont nous connaissons tous l’attachement personnel – pour ne pas dire viscéral – à la Méditerranée. Je veux aussi adresser mes vifs remerciements au Président Rachid Talbi El Alami qui nous a fait l’amitié d’être présent après avoir accepté de soutenir mon initiative dès avril dernier, lors de l’un de nos entretiens à Rabat. Un grand merci également à Fathallah Sijilmassi car le programme de cette matinée a été construit en étroite collaboration avec les équipes du secrétariat général de l’UpM. Je me réjouis, cher Fathallah, de l’excellente coopération entre nos deux organisations car nos efforts pour la Méditerranée sont complémentaires. Je remercie, enfin, très amicalement, Madame la Secrétaire d’Etat Annick Girardin pour sa présence et son excellent discours. Nous partageons, chère Annick, la même conviction : acte de solidarité, l’aide publique au développement est aussi un pari résolu sur l’avenir. Entre l’Europe et la Méditerranée, cet avenir est commun ; c’est mon autre conviction.

Depuis le début du mois de juin, la lutte contre le changement climatique, a connu des avancées significatives. C’est essentiel pour nous, Méditerranéens et Européens. Notre région est l’une de plus vulnérables face aux évolutions climatiques, alors qu’elle y contribue assez peu. Les équilibres naturels y sont parmi les plus complexes. Il nous appartient donc de prendre notre part à l’effort universel pour que l’augmentation des températures terrestres reste en dessous du seuil des deux degrés par rapport à l’ère préindustrielle, afin que notre planète reste vivable. C’est un enjeu écologique, social, économique mais aussi un enjeu de paix. Car si nous ne faisons rien, il y aura des guerres du climat et des centaines de milliers de réfugiés climatiques.

La semaine dernière dans le Var, il y a peu en Algérie, en Turquie ou en Grèce, encore auparavant au Maroc, pour ne prendre que quelques exemples, nous voyons tous que les événements extrêmes deviennent plus fréquents, plus violents et moins prévisibles. Il ne faut pas que l’avenir soit un chaos de pénuries hydriques et d’inondations, de dégradation des sols et des eaux, de chute des récoltes et d’autres catastrophes facteurs d’instabilité humaine, économique et politique. La question environnementale est au centre de la coopération autour de notre bien commun qu’est la Méditerranée. Le changement climatique est un défi qui amplifie les nombreux autres problèmes – démographiques, économiques, politiques et sociaux – auxquels fait face la région. L’objectif de cette réunion est donc également d’affirmer notre convergence, notre cohésion et notre unité – dans le diagnostic et l’action – entre acteurs de la société civile euro-méditerranéenne pour lutter contre le réchauffement climatique.

Il nous reste une vingtaine d’années pour réaliser l’essentiel de la transition énergétique vers le modèle d’économie décarbonée. La réussite de la Conférence Paris Climat 2015 que nous préparons tous ensemble est donc un impératif incontournable avec un accord universel qui engage tous et chacun. A ce stade, nous constatons plusieurs éléments favorables.

D’abord, la prise de conscience est bien là. A ce jour, 120 pays, dont beaucoup sont ici, représentant presque 90% des émissions, ont déposé auprès des Nations Unies leur contribution climat. Les plus gros émetteurs, les Etats-Unis, la Chine, l’Inde et l’Union européenne se sont engagés. Un projet d’accord vient d’être présenté. C’est une bonne base de négociation. En outre, des secteurs économiques qui étaient au départ aussi peu mobilisés que la Finance s’engagent enfin et enchaînent les réunions de haut niveau, comme fin septembre encore à Dublin.

Dans la question de la lutte contre le changement climatique, la société civile est essentielle. Elle a un grand rôle à jouer dont le cadre de diverses initiatives pour aider à l’appropriation par le grand public des problématiques du changement climatique. Sans cette appropriation par les citoyens, nous ne pourrons pas réussir. Or, il y a une demande, notamment de la part des jeunes, d’un dialogue, d’une réflexion et d’actions collectives pour ce projet climatique qui nous projettera dans le futur. L’engagement de la société civile est réel et nous voyons, notamment au niveau des collectivités locales, des solutions concrètes se développer et se diffuser en coopération, dans nos pays. L’Agenda des solutions concrètes se met lui aussi en place.
Néanmoins, il reste beaucoup à faire. D’abord, sur les financements. Les pays du Nord se sont donné l’objectif d’un transfert de 100 milliards de dollars par an, de fond publics et privés, à partir de 2020. L’OCDE vient de constater que l’on est actuellement à 61,8 milliards de dollars. Les nouveaux engagements annoncés à Lima, le 9 octobre, autorisent l’optimisme.
Je profite de cette occasion pour saluer l’annonce – que nous attendions à la Commission des Affaires étrangères – du Président de la République lors de l’Assemblée générale de l’ONU. Les financements annuels de la France pour le climat, qui sont de trois milliards d’euros aujourd'hui, dépasseront cinq milliards en 2020. Je me réjouis de cette décision pour laquelle j’ai plaidée, notamment auprès du Premier Ministre.

Enfin, le niveau des engagements n’est pas encore suffisamment ambitieux, nous préviennent les experts. Pour la Méditerranée, cette différence se traduira notamment par plus de sécheresses et plus d’inondations dévastatrices. C’est tout l’enjeu de la révision périodique des contributions nationales, qui doit être rendue possible dans l’accord final. Notre action doit s’accompagner d’une adaptation continue. En effet, le mix énergétique va évoluer. L’Agence internationale de l’énergie prévoit notamment, dans la consommation des énergies fossiles, une montée en puissance du gaz naturel, qui émet deux fois moins de CO2 que le charbon. Le développement de l’éolien et du solaire ont aussi un grand potentiel en Méditerranée. D’ailleurs, l’Union de l’énergie voulue par la Commission européenne y trouvera son prolongement naturel. J’en suis persuadée : nous aurons à bâtir, ensemble, une Communauté euro-méditerranéenne de l’énergie.

Nous Méditerranéens sommes tous les héritiers de cette intelligence humaine qui a dû apprivoiser une nature incertaine et contrastée pour développer une agriculture performante, utilisant au mieux l’eau pour nourrir sur place ses femmes et ses hommes, pour en faire l’un des plus importants berceaux de la civilisation et de la culture. Cette culture qui est justement une composante essentielle du développement humain car est le véhicule de nos manières d’apprendre et de transmettre la connaissance, ce bien si précieux dans la lutte contre le changement climatique. Le dialogue interculturel doit davantage être utilisé. Pourquoi ? Parce que de nombreuses innovations naissent dans ce cadre, où la créativité n’est pas une notion abstraite. Je vous parle là d’hommes et de femmes qui, ensemble, agissent et entreprennent. Le dialogue interculturel, ce ne sont pas des discussions de salon ou des bavardages sans contenu. Ce sont principalement des actions de terrain. Le dialogue interculturel se vit, il ne se disserte pas. Les deux tables-rondes de ce matin doivent vous en faire la démonstration. J’ajoute qu’il facilite une compréhension commune des enjeux tout renforçant la connaissance et la confiance mutuelles. C’est essentiel pour mener des actions concertées, et non contradictoires. Dans cette construction d’un monde nouveau, le dialogue interculturel a toute notre place : les sociétés prospères seront interculturelles ou ne seront pas.

Après la conférence climat Paris 2015, le Maroc accueillera en 2016 la COP 22. Le royaume aura un rôle essentiel à jouer car si, et nous y travaillons, un accord est trouvé à Paris, le chantier reste immense. Il faudra continuer à mobiliser nos partenaires d’Afrique subsaharienne, et le Maroc saura parfaitement le faire.
Je veux conclure sur une conviction personnelle. La Méditerranée doit être le lieu de rencontres de talents humains, de potentiels techniques et de capitaux nécessaires à l’émergence d’un nouveau modèle de développement économique, social et environnemental. Être à la hauteur de notre héritage millénaire, si riche, exige l’ambition de construire, ensemble, un avenir commun.

Je vous remercie.

Source de l'article Fondation Anna Lindh

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