« À la Villa Méditerranée de Marseille, nous construisons la Méditerranée de demain »

Nouveau « patron » de l'Agence des villes et territoires méditerranéens durables (Avitem) et de la Villa Méditerranée de Marseille, l'ambassadeur Bernard Valero est un diplomate chevronné, précédemment ambassadeur à Bruxelles après avoir été porte-parole du Quai d'Orsay. 

L'ambassadeur Bernard Valero, nouveau « patron » de l'Agence des villes et territoires méditerranéens durables (Avitem) et de la Villa Méditerranée de Marseille.
L'ambassadeur Bernard Valero, nouveau « patron » de l'Agence des villes
et territoires méditerranéens durables (Avitem) et de la Villa Méditerranée de Marseille.
 
(Crédits : Alfred Mignot)
Pour La Tribune, il dresse ici un tour d'horizon des institutions qu'il préside, et des problématiques méditerranéennes de l'heure. Tout en affirmant une conviction forte : en Méditerranée, on n'avancera que par la coopération. Premier volet de cet entretien exclusif.

La Tribune - Monsieur l'Ambassadeur, vous voilà depuis quelques mois en charge tout à la fois de l'Avitem et de la Villa Méditerranée, à Marseille. S'il est trop tôt pour un premier bilan d'étape, voulez-vous nous dire comment vous assumez votre mission ?

Bernard VALERO - Effectivement, depuis le mois d'octobre dernier je dirige à la fois l'Avitem, l'Agence des villes et territoires durables de Méditerranée et la Villa Méditerranée de Marseille. De quoi s'agit-il ? L'Avitem été créée en 2012 - et c'est bien le rôle qu'elle joue aujourd'hui -, pour être l'un des acteurs de la coopération française en Méditerranée sur des questions qui sont très larges, comme l'urbanisme, l'aménagement du territoire, l'environnement. Des problèmes qui se présentent sur l'ensemble du pourtour méditerranéen au nord comme au sud, et qui nécessitent un certain nombre de réponses, passant par les voies de la coopération.

Cette coopération est indispensable pour plusieurs raisons. La première, c'est qu'en tout endroit du pourtour méditerranéen, on retrouve toujours ces problèmes d'urbanisme et d'aménagement du territoire, ainsi que de protection de la nature. La deuxième raison, c'est que dans les dix ans, 70 % à 80 % de la population du pourtour méditerranéen vivront en milieu urbain. Cela nécessite d'apporter des réponses, d'anticiper l'avenir et de mettre en œuvre un certain nombre de métiers d'expertise sur ces différents sujets.

La troisième raison, enfin, c'est que cette coopération constitue l'une des expressions de la solidarité de la France avec ses voisins du Sud. Et donc dans la boîte à outils de cette coopération, il y a L'Avitem. C'est un GIP, un groupement d'intérêt public, c'est-à-dire une institution d'État - en particulier le ministère des Affaires étrangères, le Commissariat général à l'égalité des territoires [CGET] - et aussi les collectivités territoriales : la Région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, les métropoles d'Aix-Marseille-Provence et de Nice-Côte d'Azur, ainsi que l'établissement public Euroméditerranée, qui est à l'œuvre à Marseille depuis déjà une vingtaine d'années sur le champ de la rénovation urbaine...

C'est donc un véritable collectif, avec deux caractéristiques qui me paraissent particulièrement intéressantes : l'Avitem est une agence relativement jeune, créée il y a quatre ans, mais nous avons déjà développé un véritable pôle d'expertise dans les domaines relevant de nos missions. Ce pôle d'expertise est reconnu non seulement par tous les partenaires de l'agence que je viens de citer, mais aussi par les instances européennes, à Bruxelles. C'est très important, car nous fonctionnons beaucoup sur crédits européens, en répondant à des appels d'offres de la Commission. Enfin, ces compétences sont aussi reconnues par nos partenaires européens, avec lesquels nous travaillons très souvent en association. Je pense notamment aux Italiens et aux Espagnols, mais aussi aux Anglais, Allemands et d'autres encore... au gré des projets sur lesquels nous sommes mobilisés.

Quels projets, par exemple ?

Nous répondons sur une base très assidue à des appels à projets sur financement européen, lancés par la Commission. Et chaque année nous sommes sélectionnés sur un certain nombre d'entre eux. Cela peut relever par exemple du programme de coopération territoriale européenne , du projet horizon 2020 - le programme européen pour la recherche et l'innovation -, ou encore de l'initiative pour le voisinage Sud de l'Union européenne... Ainsi nous nous positionnons pour véritablement concrétiser ces projets. Par exemple pour des processus d'articulation des territoires urbains et ruraux, mais aussi sur la mesure de la qualité de l'air, ou encore sur la protection des zones littorales inondables, sur l'efficacité énergétique en milieu urbain... À chaque fois, il faut mobiliser une expertise particulière et apporter les réponses les plus appropriées, les plus utiles pour les populations concernées, mais aussi les plus efficaces au regard des crédits européens mobilisés pour financer ces actions.

Vous avez aussi lancé un cycle de formation à la gestion des territoires...

Nous avons en effet deux fonctions essentielles à l'Avitem : la première, c'est de travailler sur des projets très concrets relevant du cœur de notre métier ; la seconde, c'est celle de la formation, que nous menons évidemment en partenariat avec un grand nombre d'acteurs du Nord et du Sud de la Méditerranée.

Ainsi, chaque année, l'Avitem organise un cycle de hautes études territoriales, dans le cadre duquel nous accueillons des groupes de responsables municipaux et territoriaux de pays du Sud pour partager avec eux notre expertise sur l'organisation des métropoles, la gestion des villes nouvelles, l'organisation du territoire, etc. Ce sont autant d'occasions de transfert de savoir-faire que nous réalisons, en faisant appel à l'expérience française dans ce domaine.

Et la Villa Méditerranée, dont vous nous dites qu'elle "fait partie de l'écosystème Avitem"... ?

La Villa Méditerranée est l'espace, le lieu où nous organisons ces rencontres. J'ai d'ailleurs pris l'habitude de dire qu'à la Villa Méditerranée nous construisons la Méditerranée de demain, avec d'innombrables partenaires du Nord et du Sud. C'est ce qui est très intéressant dans cette association entre l'Avitem et la Villa Méditerranée : un espace emblématique est ici à disposition de tous les acteurs du dialogue et de la coopération en Méditerranée.

Vous respectez une sorte de "parité... nord-sud" dans la mise en conjonction des expertises ?

Nous ne disposons pas de ce type de statistiques ! Mais il est évident que notre méthode de travail est collective, car nous sommes dans un dialogue permanent. C'est-à-dire que lorsqu'on nous demande de faire une étude sur la création d'une ville nouvelle dans un des pays du Sud, il est évident que nous n'arrivons pas avec des plans tout faits, et une feuille de route toute prête. Tout cela passe par un dialogue permanent avec nos nos partenaires du Sud et c'est ce qui donne tout son sens au terme de coopération.

Les raisons de travailler ensemble relèvent d'ailleurs souvent de l'évidence. Prenons l'exemple de la ville de Beyrouth, confrontée très récemment à d'énormes difficultés pour la gestion de ses déchets... eh bien, ce sont des situations que nous rencontrons aussi sur la rive nord de la Méditerranée, chacun ici le sait bien ! Cette communauté de problèmes fait que nous apportons des réponses qui se construisent collectivement. L'écoute et le dialogue, ce sont notre état d'esprit, et la coopération, notre méthode de travail.

Pourquoi avez-vous reporté vos troisièmes rencontres annuelles de l'Avitem, qui devaient se tenir en début d'année ?

Nous les avons reportées car nous préparons toujours cet événement en étroite liaison avec la Région Provence-Alpes-Côte-d'Azur et donc le produire en début d'année, au moment même où le nouvel exécutif régional se mettait en place, n'aurait pas permis ce travail préparatoire en amont. Il nous est ainsi apparu beaucoup plus opportun de reporter cet événement à l'automne, de manière à être plus efficace.

Quel sera le thème de ces rencontres ?

On y réfléchit. L'une des idées qui nous inspirent serait d'aller au-delà de l'approche classique d'un aménagement du territoire ordonné autour de pôles urbains, et d'explorer la question des métropoles, de leur rôle en Méditerranée. Compte tenu de l'urbanisation croissante du littoral, il est évident que nous devons à l'avenir aborder ces questions-là sous cet angle de la métropole. Car l'enjeu est double : celui de la cohésion territoriale et de son rapport à la démographie concernée, mais aussi de l'efficacité de ce que doit être un pôle métropolitain dans la grande compétition mondiale.

Aujourd'hui, on raisonne à l'échelle des villes, bien sûr, mais de plus en plus en termes de territoire métropolitain, parce que tout est connecté et que les masses critiques doivent la plupart du temps dépasser le seul cadre urbain. C'est le cas dans le domaine de la compétition économique, tout comme dans celui de la rationalisation des transports, ou encore de l'efficacité énergétique.

Notre réflexion est donc en train de dépasser le cadre traditionnel de l'urbain, sur lequel on travaille depuis des années, et nous projetons de plus en plus notre travail vers le niveau des métropoles.

À ce titre, les métropoles Aix-Marseille-Provence et Nice-Côte d'Azur sont des exemples d'où l'on peut tirer un certain nombre d'enseignements à partager avec nos partenaires du sud de la Méditerranée, puisqu'ils rencontrent exactement les mêmes problématiques.

Ils ont les mêmes problèmes, mais disposent de beaucoup moins d'outils que nous en termes de gestion urbaine...

Oui, bien sûr. D'où l'intérêt de partager ces outils et le fruit de notre expérience, avec ce qu'elle comporte de bon... et de mauvais. Il faut en parler très clairement avec nos interlocuteurs.

Mais, avant de songer à partager les réponses, qu'en est-il de la perception de ces thématiques par les partenaires du Sud ?

Au fil des contacts avec nos partenaires du Sud, nous sentons qu'il y a véritablement un mouvement qui s'oriente vers une réflexion sur la nécessité de passer à l'échelle métropolitaine au niveau de l'organisation des territoires.

C'est précisément cette réflexion que nous souhaitons, entre autres, mettre en exergue à l'occasion des prochaines rencontres de l'Avitem. Le mouvement qui est à l'œuvre est imposé par des considérations économiques, par la nécessité de rationaliser les choix qui peuvent être faits en matière d'équipements urbains, par la compétition internationale qui s'organise de plus en plus à l'échelle de la métropole - avec certes une ville-centre importante, mais qui ne doit pas être l'objet exclusif de nos réflexions et de notre travail.

L'urbs, la metropolis, les villes-ports... c'est toute l'histoire de la Méditerranée ! Cela devrait faciliter la réflexion collective et l'avancée sur ces questions, non ?

D'abord la Méditerranée est notre berceau à tous ! Je dis volontiers qu'en Méditerranée nous ne pouvons pas changer notre histoire commune, qui est complexe, mais en revanche nous pouvons tous ensemble changer notre destin, qui lui aussi sera commun. C'est ce que j'ai en tête quand je dis qu'à la Villa Méditerranée nous construisons la Méditerranée de demain.

L'un des axes forts de cette construction de la Méditerranée de demain c'est justement de permettre aux Méditerranéens et Méditerranéens de vivre mieux là où il se trouvent, et c'est là toute la philosophie qui finalement sous-tend cet effort collectif que nous menons depuis Marseille.

Au-delà des travaux sur le métropolisation, quels autres axes d'action entendez-vous privilégier ?

Le premier axe d'action que nous souhaitons véritablement accentuer, c'est de mettre la Villa Méditerranée au service des acteurs économiques de Marseille et de PACA.

Dès son élection, le nouveau président de la Région a prononcé un discours très fort sur la priorité qu'il entendait accorder à l'emploi et au développement économique. Cette orientation - et je le dis en toute modestie - me semble tout à fait pertinente. C'est sur cette base que je considère que nous devons vraiment mettre la Villa Méditerranée au service de tous ceux qui concourent au développement de la région. C'est aussi la raison pour laquelle nous accueillons désormais un certain nombre de manifestations d'intérêt ou de nature économique. Ce fut par exemple récemment le cas de « Maghrenov », consortium euroméditerranéen consacré à l'innovation dans le domaine des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique ; ce sera le cas de la deuxième édition de la conférence économique franco-africaine, que nous accueillerons en juin prochain.

Nous allons aussi très bientôt recevoir la chambre de commerce franco-algérienne, et chaque année en novembre nous hébergeons ce grand événement qu'est la Semaine économique de la Méditerranée, qui attire quelque 3000 dirigeants des deux rives... Nous venons d'accueillir la chambre de commerce franco-espagnole, qui s'est spécialement déplacée de Paris à Marseille ; nous organisons aussi les Mardis de la Villa, dont certains, sur des thèmes économiques, en partenariat avec La Tribune, etc.

Le second axe, c'est de faire de la Villa Méditerranée la vitrine de ce pôle d'expérience et d'expertise que constitue l'Avitem.

Le troisième point sur lequel nous insistons est de faire de la Villa Méditerranée un espace de rencontre, de dialogue, d'échange entre tous les Méditerranéens. Cette orientation me paraît très importante à l'heure où le Mare Nostrum est confronté peut-être plus que jamais à des interrogations sur son avenir. Permettre ces rencontres et ces échanges, cela me semble parfaitement en cohérence avec ce qu'est la vocation de la France en Méditerranée, et en adéquation avec le positionnement de Marseille et de sa région sur l'ensemble méditerranéen.

Par Alfred Mignot - Source de l'article La Tribune

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