Interview de Béligh Nabli
Une histoire pluriséculaire d’une richesse exceptionnelle a façonné la Méditerranée. Dans l’Antiquité, les empires grec, romain, arabe ou ottoman, ainsi que les puissances européennes avaient fait de la Méditerranée le centre de gravité politique, économique et culturel du monde.
A partir du XVe siècle, les grandes découvertes et les conquêtes du « Nouveau Monde » remettent en cause cette centralité. Si la configuration géographique de la Méditerranée (située à la jonction de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie) lui permet de continuer à s’affirmer comme carrefour économique, commercial, culturel et humain, la Méditerranée connaît un long déclin stratégique et devient un théâtre secondaire sur l’échiquier du jeu des puissances.
Or l’un des faits géopolitiques marquants de ce début de XXIe siècle est la revalorisation de l’intérêt stratégique de la Méditerranée. Ce phénomène est attesté par une série d’événements : soulèvements de peuples arabes, montée en puissance de forces djihadistes, dislocation d’Etats (Libye, Syrie), découvertes d’importantes réserves d’hydrocarbures en Méditerranée orientale, retour de certains acteurs historiques comme la Russie et affirmation de la nouvelle puissance mondiale chinoise, explosion des flux migratoires (par voies maritimes et terrestres), … ce dernier point mérite aujourd’hui une attention particulier tant il révèle le désordre qui règne actuellement en Méditerranée.
L’axe méditerranéen représente encore l’une des grandes lignes de failles économique, sociale et démographique dans notre monde globalisé. Les différences de niveaux de développement/vie des Etats/individus, auxquelles s’ajoutent désormais l’insécurité et l’instabilité grandissantes dans l’espace sub-saharien, au Maghreb et au Levant, nourrissent un flux migratoire structurel et continu du Sud vers le Nord. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés ( HCR ) a annoncé, mardi 1er mars, que le nombre de personnes ayant franchi la Méditerranée a connu un nouveau record, avec 131 724 personnes depuis le début de l’année. Selon le HCR, « l’Europe est au bord d’une crise humanitaire qu’elle a largement provoquée elle-même ». En 2015, plus d’un million de réfugiés avaient déjà accosté sur les côtes grecques ou italiennes. Aujourd’hui, l’afflux se concentre sur la Grèce, où les migrants se trouvent bloqués, du fait des restrictions imposées le long des frontières qui longent la « route des Balkans ».
Cette crise migratoire est aussi une crise humanitaire. La Méditerranée est le passage le plus meurtrier du monde. L’an passé, les 2 510 000 kilomètres carrés de la mer reliant l’Afrique à l’Europe auraient concentré plus des trois quarts des disparitions de migrants. Plus de 3770 migrants et réfugiés sont morts en 2015 en tentant de traverser la mer Méditerranée (chiffres de l’Organisation internationale pour les migrations – OIM). Ce décompte macabre est vertigineux lorsqu’on le met en perspective: plus de 30 000 personnes ont péri depuis le début du XXIe siècle (selon le projet d’open data The Migrant Files).
Certes, le dénouement de la crise est lié au conflit syrien. Or le cessez-le-feu tient à peine et les négociations diplomatiques avancent péniblement. L’Europe n’est pas condamnée à la passivité ou à la politique du pire pour autant. Cette crise migratoire, plus structurelle que conjoncturelle, aggrave la tension des relations intra-méditerranéennes. Les Européens renforcent la protection de leurs frontières, cédant au réflexe de fermeture des frontières, y compris par la mise en place de murs sensés endiguer l’afflux de migrants et de réfugiés. L’Union européenne est invisible et inaudible, c’est la loi du chacun pour soi qui règne dans cette crise migratoire qui enfonce un peu plus la construction européenne dans ses impasses intrinsèques.
Selon William Spindler, porte-parole du HCR: « Les ressources [pour gérer le nombre de migrants] ne manquent pas en Europe, ce qui manque c’est la volonté politique » (RT). Or celle-ci n’existe pas, elle demeure introuvable… au moment même où elle est commandée autant par l’éthique de responsabilité que par un impératif de nécessité. Les Européens doivent dépasser la vieille chimère d’une Europe forteresse pour s’engager enfin dans un authentique projet d’intégration– une ambition à laquelle ne répond pas l’actuelle Union pour la Méditerranée– au sein d’un espace méditerranéen dont les peuples sont plus que jamais liés par une communauté de destin.
Source de l'article IRIS France
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