Face aux bouleversements qui secouent l’Egypte, l’UE
doit une nouvelle fois faire aveu de son impuissance. Pourtant – aussi utopique
que cela puisse paraître aujourd’hui – elle seule peut guider le pays sur la
voie d’un régime politique moderne.
On ne connaît aucune vidéo ni photographie de la visite de
Lady Ashton auprès de Mohamed Morsi, prisonnier des généraux égyptiens [le 30
juillet]. Pourtant, la tentative désespérée de médiation de la haute représentante
de l’Union européenne pour les affaires extérieures a fait forte impression.
Pour avoir la chance de voir Morsi et d’infléchir sa position, celle qui
représente 570 millions d’Européens est montée dans un hélicoptère, voilà trois
semaines, pour une destination inconnue, et s’est pliée aux conditions du
nouveau régime. Aujourd’hui à l’heure où la tragédie du Caire n’a pas pu être
évitée, cette image prend toute sa force. Elle témoigne d’une médiatrice certes
pleine de bonne volonté, mais néanmoins faible. Les ministres des Affaires
étrangères de l’UE, qui se retrouvent ce 21 août à Bruxelles pour une réunion
extraordinaire, ne doivent donc pas seulement trouver une solution aux
violences qui ensanglantent l’Egypte, mais aussi à cette image de leur propre
impuissance.
Les Européens refont aujourd’hui en Egypte le constat
qu’ils ont déjà fait depuis des années en Syrie : ils n’ont aucun poids décisif
sur le cours des événements. Cela vaut pour l’Union prise dans son ensemble
comme pour les Etats membres. Isolément comme collégialement, les Européens ont
jusqu’à présent été incapables d’exercer une pression suffisante pour
dissuader, ne serait-ce que provisoirement, les chefs militaires de renoncer à
leur projet de rayer les Frères musulmans de l’échiquier politique.
Si les ministres des Affaires étrangères ne pourront
rien y faire pour l’instant, cette réunion est néanmoins une bonne chose
Si les ministres des Affaires étrangères ne pourront
rien y faire pour l’instant, cette réunion est néanmoins une bonne chose.
D’abord, parce que rien ne serait plus lamentable que de se résigner à
l’impuissance au vu de l’hécatombe en cours. Ensuite, parce que l’Europe –
aussi utopique cela puisse-t-il paraître aujourd’hui – reste la meilleure
chance de l’Egypte, sans doute même la seule. Si on peut la remplacer dans son
rôle de bailleur de fonds (par l’Arabie saoudite, par exemple), on ne peut se
passer d’elle dans celui d’accompagnement vers un régime politique moderne.
Prendre un peu de hauteur
Ebranlés par la crise de l’euro et choqués par la
vision d’un Proche-Orient à feu et à sang, les Européens se sont accoutumés à
prendre du recul sur les événements, ce qui ne fait que souligner leurs propres
faiblesses. Exemples : une représentante des affaires étrangères qui s’invite à
pas de loup et sans idées claires. Un nouveau Service pour l’action extérieure
qui déçoit les attentes. Des gouvernements nationaux qui défendent leurs
propres billes – parfois sans aucun scrupule, comme les Britanniques et les
Français, parfois avec zèle et précipitation, comme l’Allemagne, en la personne
de son ministre des Affaires étrangères. A quoi il faut ajouter une force
militaire inexistante.
Tout cela est juste, mais peut être relativisé si
l’on prend un peu de hauteur. L’exemple américain l’a montré : à l’heure
actuelle, la force ne permet pas d’obtenir grand-chose dans un monde arabe en
crise. Le fait qu’elle soit collégiale n’immunise pas la politique étrangère
contre la désorientation – comme l’a prouvé le ministre des Affaires étrangères
américain John Kerry, lorsqu’il s’est laissé aller à déclarer que le putsch
égyptien émanait de la volonté du peuple. Actuellement, les seuls qui peuvent
se montrer déterminés sont ceux qui n’ont aucun problème avec la violence, tant
qu’elle va dans le sens des rapports de force qui les arrangent dans la région
(encore une fois, les Saoudiens).
Ne pas prendre parti
C’est sa crédibilité qui peut rendre l’UE efficace –
si elle s’en donne vraiment les moyens. Elle découle du fait, par exemple, que
l’Europe ne poursuit pas d’intérêts "nationaux". L’intérêt européen
se négocierait plutôt. Dans le cas de l’Egypte, l’indignation légitime contre
la prise de pouvoir par l’armée et la répression sanglante des mouvements de
protestation doit être contrebalancée par le désir – également légitime – de ne
pas laisser la situation sombrer plus avant dans le chaos. Un souhait que
manifestent surtout les pays européens riverains de la Méditerranée. Dans le
pire des cas, les divergences de vues conduisent au blocage ; dans le meilleur
des scénarios, elles obligent à adopter une position raisonnable et crédible.
Pour l’heure, le plus raisonnable semble être de ne
pas prendre parti. Compte tenu des fautes commises par presque tous les
protagonistes du Caire, on serait d’ailleurs bien en peine de choisir un camp.
Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il faille accepter le régime despotique
qui s’est installé au pouvoir en Egypte avec l’assentiment d’au moins une
partie de la population. La chancelière Angela Merkel et le ministre des
Affaires étrangères allemand, Guido Westerwelle, ont pris les devants sur la
question, à juste titre. Il serait absurde de remettre au nouveau régime des
fonds qui étaient destinés au départ à instaurer la démocratie. A fortiori
lorsqu’ils ne servent qu’à importer des armes.
Face au choc provoqué par la vision d’une catastrophe
qui n’a pu être évitée, l’UE ne peut pas se réfugier aujourd’hui dans le
pragmatisme. La crédibilité est en politique étrangère une qualité rare, car
extrêmement lente à faire mûrir. Sans elle, l’Union n’arrivera à rien en
Egypte.
Par Daniel Brössler (Traduction : Jean-Baptiste Bor) –
Source de l’article PressEurop
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