Le temps d'un forum sur le thème "L'avenir est en Afrique", la Tunisie a renoué avec son histoire antique pour mieux se rapprocher économiquement du continent.
On peut donc dire qu'à travers le Forum de la coopération interafricaine qui a eu lieu du 26 février au 2 mars, la Tunisie a renoué avec son histoire et posé les bases pour encourager ses échanges de savoir-faire et autres avec l'Afrique subsaharienne.
Un thème qui en dit long sur les ambitions de rapprochement
"L'avenir est en Afrique !" D'entrée de jeu, l'organisateur de l'événement, Belhassen Ben Sallem, directeur de Média Presse, donne le ton. Pour ce militant dans l'âme, promoteur des relations Sud-Sud, ce forum au Tunisia Palace, à Tunis, est le résultat d'un rêve, celui de voir la naissance, voire la renaissance, du concept des États-Unis d'Afrique. "Une Afrique sans visa, sans passeport" avec la mise en place d'un "marché commun". Si des initiatives existent, notamment entre la Tunisie et d'autres États du continent, elles sont à développer, renforcer, multiplier. C'est le cas dans un certain nombre de domaines où le savoir-faire tunisien est reconnu : le tourisme, l'énergie, l'industrie, les TICs, l'éducation, la santé... Dans le domaine du thermalisme aussi, où les Tunisiens sont aujourd’hui une valeur sûre, comme le souligne Rezgui Ouslati, directeur général de l’Office du thermalisme. "La Tunisie est considérée comme un pont entre l’Europe et l’Afrique", poursuit-il, un positionnement géographique qui lui offre une belle occasion de renforcer ses relations à la fois avec les pays du Nord et ceux du Sud. Reste que cette opportunité n’a jusqu’à présent pas été suffisamment exploitée... Un retard que les nouvelles autorités veulent rattraper.
Promouvoir "le produit tunisien"
"L'Afrique est devenue une destination importante aussi bien pour les investisseurs étrangers que pour les organismes régionaux et internationaux, mais aussi pour les groupements extrémistes et terroristes", indique Narjés Dridi, directrice générale des Affaires politiques, économiques et de coopération pour l’Afrique et l’Union africaine. "Nous devons tenir compte de ce constat et travailler dans ce sens alors que la Tunisie a toujours été et a toujours eu l'Afrique comme point central de sa politique étrangère." Et de rappeler que la Tunisie est un des pays fondateurs de l'Organisation de l'unité africaine devenue Union africaine. Elle en est également un de ses principaux contributeurs financiers aujourd’hui. Et de citer les mesures envisagées pour renforcer sa présence sur le continent dans le cadre de la feuille de route gouvernementale "Tunisie 2025" : une meilleure présence des institutions tunisiennes et notamment des représentations diplomatiques, la facilitation de l'accès de la Tunisie aux ressortissants subsahariens, aux étudiants africains en particulier, le renforcement du secteur du transport aérien et maritime, l’accompagnement des entreprises tunisiennes par le secteur bancaire tunisien… Comme modèle, il y a le Maroc dont la stratégie d’expansion sur le continent donne de bons résultats. Des missions sur le continent seront ajoutées à l’agenda "afin de mieux faire connaître le produit tunisien".
"Une approche plus Sud-Sud que triangulaire"
Reste que la Tunisie en est encore au stade de la réflexion à ce niveau, ainsi que le révèle Khalil Kammoun, directeur général de la coopération bilatérale au ministère du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale. "Il est toujours légitime pour une puissance économique de venir investir en Afrique, cela peut contribuer au développement du continent, mais parfois cela contribue plus au développement de ces pays qu’à celui des pays africains", déplore-t-il. Et d'ajouter que "la Tunisie, depuis deux ans, a commencé une nouvelle réflexion à très haut niveau, afin de remédier aux défaillances qui existaient dans l'approche africaine". Dans cette logique, un comité de réflexion restreint a été mis en place au niveau de la présidence pour revoir le programme national et s’inscrire dans "une approche plus Sud-Sud que triangulaire". Trois axes en particulier sont privilégiés : l’éducation, la santé et l’ingénierie. "L 'expertise tunisienne dans ces secteurs doit être promue auprès de nos amis africains", explique-t-il. Les banques aussi doivent être encouragées, à travers notamment des exonérations fiscales, à accompagner les sociétés tunisiennes à s’installer dans les économies africaines les plus dynamiques. Des accords de libre-échange sont en cours avec certains de ces pays. C'est le résultat notamment de la "mini-tournée" de l’ancien chef de l’État Moncef Marzouki sur le continent. "Je pense que la Tunisie dans les cinq prochaines années va avoir une approche systématique dans l'amélioration de la coopération interafricaine. Nous espérons tirer les fruits de cette politique d'ici 2018", précise Khalil Kammoun.
Une prise de conscience en avance sur les actes
"Cinq ans ? D’ici là, il sera trop tard", regrette un participant au forum. "Alors que le monde entier renforce aujourd’hui sa présence en Afrique, les Tunisiens sont encore au stade des palabres…", dit-il. Pour preuve, l’absence des autorités à la manifestation, dont le chef du gouvernement, Habid Essid, pourtant prévu mais qui a annulé sa participation à la dernière minute… "C’est révélateur de leur incompréhension des enjeux actuels. C’est à la société civile de créer des ponts, de faire réseau et de construire les fondements de cette coopération Sud-Sud... Les autorités alors suivront", commente une journaliste.Un avis partagé par Pierre de Gaétan Njikam, adjoint au maire de Bordeaux, en charge de la politique africaine de la ville. "Alors qu’au niveau national les choses balbutiaient, beaucoup de collectivités françaises ont tissé des relations étroites avec des collectivités africaines. C’est la meilleure façon pour la France de mobiliser son savoir-faire local et de le connecter avec les savoir-faire des collectivités africaines", indique l’élu. À ce titre, la Tunisie, "cette Afrique en miniature", peut jouer ce rôle de plateforme d’échanges entre l’Europe, la France en particulier, et le continent. À condition de mobiliser les compétences dans trois domaines en particulier qui représentent des freins à l’essor du continent : l’enclavement des territoires, le déficit énergétique et la faiblesse des infrastructures de transport. Enfin, il souligne le rôle des diasporas africaines que la Ville de Bordeaux met chaque année à l’honneur à travers la Journée nationale des diasporas africaines, dont la prochaine édition aura lieu les 24 et 25 avril 2015. "Il faut construire cette connexion des diasporas africaines et la Tunisie peut-être une plateforme pour cela", poursuit-il.
Avec toutes les nationalités d'Afrique subsaharienne ici, la Tunisie est "un mini-laboratoire de l’Union africaine"
Finalement, le mot de la fin est donné par Blammasi Touré, président de l’Association des étudiants et stagiaires africains en Tunisie (AESAT). "Depuis quelque temps, on a constaté que l'humanité est passée d'un affreux pessimisme à un afro-optimisme. On entend de plus en plus dire que l’avenir est en Afrique, ce qui me fait rire. L'avenir n’est jamais parti pour revenir, ce sont les Africains qui n’étaient pas au RDV. Mais si on parle d'avenir, on doit parler de jeunesse. Car la richesse de l’Afrique, ce n’est ni le pétrole ni les mines, mais la jeunesse qui représente 40 % de la population du continent. J'attends un jour l’équivalent d’Erasmus en Afrique !" dit-il. D’où l'importance des échanges entre les sociétés civiles. "La Tunisie pour nous est un mini-laboratoire de l'Union africaine. Actuellement, on compte ici 28 nationalités d'Afrique subsaharienne. Mais tant qu’il sera plus facile pour le Français de venir en Tunisie que pour le Camerounais, on restera victime mais pas par la faute de l'Occident", poursuit-il. Et de conclure : "Je ne suis pas surpris que les politiques soient absents de ce forum, et je ne le regrette pas, parce que nous sommes là. C’est ce que j’appelle l'extra-politique et nous avons le pouvoir !"
Par Dounia Ben Mohamed - Source de l'article Le Point Afrique
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