Pierre Vermeren : "Notre avenir, la Méditerranée"

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Dernier ouvrage paru : « Le choc des décolonisations. De la guerre d’Algérie
aux printemps arabes » (Odile Jacob, 2015).   © DRFP/Leemage
Parmi les rapports consacrés à la politique extérieure de la France, celui de l'Institut Montaigne dirigé par Hakim El Karoui, « Nouveau monde arabe, nouvelle « politique arabe » pour la France », fera date. 

En 150 pages de tableaux et de textes (outre les annexes), il dessine un aggiornamento de la politique française avec le Maghreb et le Moyen-Orient, considéré ici dans son grand format. En pleine série d'attentats islamistes sur le sol européen, sa publication pourrait paraître inopportune : elle l'est d'autant moins, en ce début de quinquennat et de siècle, que tous les paramètres sur lesquels était bâtie la politique arabe de la France depuis de Gaulle se sont recomposés, même les certitudes les mieux établies.

« Oui, les sociétés du Moyen-Orient et du Maghreb ont muté »

En bon libéral, le rapport fait la part belle au doux commerce et au présupposé d'une poussée économique qui jetterait le Maghreb et le Moyen-Orient dans les bras des classes moyennes, prélude à révolutions et à démocratisation. Le rapport s'appuie, pour ce faire, sur les théories « socio-démographiques » mécanistes d'Emmanuel Todd, dont on peut discuter du bien-fondé. Oui, les sociétés du Moyen-Orient et du Maghreb ont muté en un demi-siècle, mais jamais elles n'ont été dirigées par des régimes si religieux et brutaux, provoquant guerres civiles, interventions extérieures et terrorisme de masse. Le rapport acte bien ce « risque » politique, mais il l'évacue rapidement. Or, certes, la Tunisie est devenue une démocratie depuis 2011, mais cela a autant à voir avec son histoire particulière qu'avec ses structures socio-démographiques. Avec Israël, elle est seule de son espèce.

Quant à la France et à l'Europe, les malades de 2017, trop peu évoquées, sont-elles en état de reconstruire leur relation avec cette région sur des bases si mouvantes ?

Le rapport se veut optimiste. Il évoque l'héritage considérable des « relations franco-arabes » depuis deux siècles. Il dresse l'état des denses interactions qui se poursuivent et se développent, que ce soit par l'économie, les migrations, les religions ou la culture. Puis il dresse priorités et propositions.

Pour une fois, le danger islamiste est clairement perçu, analysé, et des solutions aux défis posés sont proposées. D'abord en France, puis au Moyen-Orient. La France, pour être crédible et efficace, devrait mettre de l'ordre dans ses relations et ses amitiés au Moyen-Orient, et renoncer à soutenir la peste wahhabite et frériste contre le choléra des mollahs ou de Bachar. La France s'illusionne d'ailleurs beaucoup dans le Golfe : son influence politique et militaire y est faible, comme l'est sa dépendance économique ou pétrolière. En dehors de niches aléatoires, la France y est une puissance secondaire ; elle devrait prendre acte de son fiasco syrien pour resserrer ses liens avec les autres puissances méditerranéennes.

Le Maghreb, ce pilier

Du Maroc à la Turquie, c'est en Méditerranée que la France possède ses liens humains, culturels, politiques et économiques les plus denses. Elle doit s'appuyer sur son carré d'as (Maroc, Algérie, Tunisie et Liban) et travailler ses points faibles très prometteurs (Turquie – quand les Turcs auront stoppé Erdogan –, Égypte, Israël – les deux États – et la Libye à reconstruire). Ce renouveau de la politique méditerranéenne ici appelé de ses vœux n'est pas un caprice, mais un choix mûrement réfléchi : pour le meilleur (d'intenses échanges) et pour le pire (le terrorisme), c'est d'abord aux trois pays du Maghreb central que la France est liée. Or cette région est aujourd'hui divisée, fragile et convoitée.

Au Maghreb, la France est une grande puissance économique et culturelle. C'est en France que vivent des millions de ses ressortissants et que l'on parle les langues du Sud (autant la langue amazighe, presque oubliée dans le rapport, que l'arabe tant fantasmée). C'est dans cette région que la France doit entraîner l'Allemagne (qui ne l'a pas attendue !), l'Espagne et l'Italie pour inventer une grande politique Nord-Sud de coopération. Le Maghreb, prolongement naturel de l'Europe, doit devenir une zone de coprospérité tampon avec l'Afrique et le Moyen-Orient. Tout est à inventer, très vite, car les défis et les risques humains, politiques et religieux sont immenses et pressants.

Notre profondeur stratégique, économique et culturelle est au Sud. Les enfants du Maghreb et de l'immigration maghrébine ont moins vocation à être les soldats d'un califat fantasmatique que les cogérants engagés de notre Méditerranée. Mais, cette fois, contre monnaie sonnante et trébuchante et intérêts partagés, il faudra parler clairement : démocratie politique, liberté religieuse et de pensée.

Par pierre Vermeren - Source de l'article Le Point Afrique

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