Lors de cette journée, suivie
d’une table ronde, nous aborderons les rapports entre la construction de la
Méditerranée et la manière dont cette contruction influe sur les destins
humains, sur la vie sociale, politique et économique, sur l’écriture de l’histoire,
sur la mémoire des temps révolus.
Nous partirons de faits individuels ou de
moments historiques qui peuvent nous éclairer sur l’appropriation mentale de la
mer située au cœur du monde habité : quel rôle a joué la Méditerranée dans
l’idéologie impériale et dans la stratégie de domination œcuménique ? Comment
se forment et s’articulent les régions ?
On s’intéressera aux traces
matérielles qui peuvent refléter cette hégémonie : quels sont les signes des
changements dans l’approche de la Méditerranée aux différents moments de
l’Antiquité ?
Présentation
La Méditerranée est un thème à la
mode. La globalisation et l’approche postcolonialiste du monde en ont fait un
sujet privilégié : corrupting sea, structure ou espace de connectivité ou de
dissolution, la Méditerranée de Fernand Braudel est devenue le personnage de
nombreuses histoires, sur la très longue durée. Les initiatives politiques
récentes, liées au Processus de Barcelone - Union pour la Méditerranée, l’ont
ramenée dans l’attention des rédacteurs de projets politiques, socioéconomiques
et culturels, qui cherchent une légitimation du moderne dans la mémoire du
passé. Pendant les derniers mois, la poussée du régionalisme et l’accentuation
des conflits civilisationnels ont propulsé cette mer intercontinentale parmi
les priorités des media. On s’interroge, une fois de plus, sur les enjeux de
l’harmonisation, ou, au contraire, des désaccords qui pourraient marquer les
pays riverains pendant les prochaines années. Au-delà des effets, on se demande
comment penser cette mer et ses terres limitrophes.
L’idée de cette journée d’études
part des exempla anciens et de leur pertinence dans les débats actuels. En
effet, à la suite du livre de Peregrine Horden et Nicholas Purcell, « repensé
», entre autres, par William Harris, les travaux d’Irad Malkin ont mis sous une
lumière nouvelle notre connaissance de l’œkoumène grec. Sensible aux
particularités du Moyen Âge, David Abulafia a recentré la discussion sur
l’espace maritime en soi, en laissant de côté l’épineux problème des littoraux.
Les Romains et leur mare nostrum, pourtant moteur traditionnel des études
antiques et même méditerranéennes, sont restés dans l’ombre. Une question
importante attend encore des réponses : est-ce les Romains qui ont inventé la
Méditerranée, comme on l’a cru aussi longtemps ? Sont-ils les inventeurs d’un
concept géographique, d’une Méditerranée en tant que région, avec un centre et
des périphéries, avec des forces centrifuges de nature politique, économique,
culturelle ?
L’histoire pré-moderne du concept
géographique de Méditerranée comprend trois étapes. La première, grecque,
s’affirme avec l’expression « »,
symbolisée par les voyages épiques (Héraclès), et détaillée dans les circuits
des logographes (Hécatée). On la conceptualise en tant qu’axe structurant le
monde habité (chez Platon, Isocrate), juste avant qu’Alexandre ne change
l’équilibre gravitationnel de l’hellénisme. La mer par excellence devient alors
mer Intérieure, opposée à d’autres mers extérieures (Aristote). Dans un deuxième
temps, les Romains héritent de toutes ces traditions à la fois: la Méditerranée
est simplement « mare », ou « totum mare » sur lequel l’imperium de Pompée peut
s’exercer. Elle est, surtout dans des contextes hellénophones, « mare internum
» ou « intestinum ». Les modernes la connaissent comme « mare nostrum »,même
si, de César jusqu’à l’antiquité tardive, le terme est utilisé plus volontiers
dans des contextes savants. Dans tous les cas, il s’agit d’une conséquence
logique de la conquête des territoires environnants, avec des implications qui
méritent d’être étudiées davantage. Troisièmement, l’invention du nom de
Méditerranée (Isidore de Séville) trahit la rupture politique et idéologique de
l’orbis. Littéralement, ce nom apparaît lorsque le concept géopolitique n’est
plus une réalité effective : c’est le mythe qui naît de l’éloignement de la
réalité. Il restera un concept culturel, à travers des redécouvertes
successives, jusqu’à nos jours.
Le but de cette journée d’études
est de donner un autre type de réponse à la question « qu’est-ce que la
Méditerranée romaine ? », en tenant compte, à la fois, des bases solides des
travaux sur le Mare Nostrum et des débats actuels. En effet, quelle que fût
l’époque sur laquelle portèrent ces derniers, la question de la définition de
la Méditerranée a été toujours posée par rapport à une réalité que l’on
souhaiterait reconstituer. On n’est guère remonté à certaines causes profondes
de ces réalités, pour s’interroger sur la construction mentale de cet espace,
en termes de perception et de représentation.
Les noms, les formes, les fonctions, en un mot l’impact de la
Méditerranée - en tant que concept - sur les Romains, sur leurs initiatives
politiques, militaires, économiques, sur leurs productions littéraires et
artistiques, seront nos objets d’étude. On a invoqué le déterminisme de la
nature sur la culture. On a analysé la continuité et la rupture comme rythme de
l’histoire. Une autre piste d’enquête pourrait être celle de la construction
mentale et sociale comme principe de la réalité.
Programme
Vendredi, 26 octobre 2012
Sorbonne : Maison de la recherche
(28 rue Serpente), rez-de-chaussée, salle 035
9h00 Ouverture
Mots des directeurs : Carlos Lévy
(Paris IV) et Stéphane Verger (EPHE et CNRS-AOROC, ENS)
Approches antiques de la
Méditerranée : Anca Dan, Jean Trinquier
9h30 Directeur de séance : Jean
Trinquier
- Pascal Arnaud (Lyon II, IUF, AERES), Les
Cosmopolitismes en Méditerranée ancienne
- Stéphane Verger, La Méditerranée des Celtes et
l’extrême Nord des Grecs
- Vincent Jolivet (CNRS-AOROC, ENS), La Méditerranée étrusque
- Marie-Françoise Baslez (Paris IV), Les Diasporas
orientales en Méditerranée au début de l’Empire : construction et
réinvention de l’espace
11h30-11h45 : pause
11h45 Directeur de séance : Serena
Bianchetti (Florence)
- Charles Delattre (Paris Ouest), Pompée et Sextus,
Rulers of the Sea : les enjeux politico-littéraires d’une titulature
- Pierre Moret (CNRS-TRACES, Toulouse II), La Méditerranée antique au prisme du Détroit
- Gian Franco Chiai (Freie Universität, Berlin), La Méditerranée des îles
13h15-14h15 : pause déjeuner
14h15 Directeur de séance :
Michel Reddé (EPHE)
- Olivier Defaux (Lyon II), Les Mers du bassin méditerranéen : objets de la géographie de l’Antiquité
- Mathilde Mahé-Simon (ENS, AOROC), Le Rivage de
l’Italie du Sud dans l’Énéide
- Pauline Mazzamurro (Paris IV), La Méditerranée dans
les Héroïdes : une mer « fabuleuse » ?
- Anne Vial-Logeay (Rouen, ERIAC), Le Statut de la Méditerranée d’après l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien
16h15-16h30 : pause
16h30 Directeur de séance :
Patrick Gautier Dalché (EPHE, CNRS-IRHT)
- Ekaterina
Iljuschetschkina (Leiden), Il Mediterraneo nel centro del mondo di
Dionisio il Periegeta
- Christophe Pébarthe (Bordeaux, Ausonius), Aelius
Aristide, la Méditerranée et la fin de l’histoire
- Joëlle Soler (Paris IV), Perception et
représentation de la Méditerranée dans le De reditu suo de Rutilius
Namatianus
- Dominique Valérian (Lyon II, CIHAM-UMR 5648), Un Maghreb méditerranéen ? L’héritage de l’unité de la Méditerranée romaine chez les historiens de l’expansion européenne médiévale
Samedi 27 octobre : Regards sur
la Méditerranée à la Renaissance
École normale supérieure (45, rue
d’Ulm, 75005 Paris). Salle Dussane
9h00 Directeur de séance :
George Tolias (Athènes)
- Hélène Casanova-Robin (Paris IV), La Place de la
Méditerranée dans la construction identitaire de Naples chez les
humanistes du XVe siècle
- Emmanuelle Vagnon (ANR MeDian, BNF, UMR 8167 Orient
et Méditerranée), La Méditerranée selon Cristoforo Buondelmonti (XVe
siècle) : peuples, marins et marchands médiévaux sur les vestiges du monde
antique
- Nathalie Bouloux (Tours, CESR), La Place de la Méditerranée dans la géographie de Sebastiano Compagni
10h45-11h : pause
11h00 Table ronde - Modérateur :
Anca Dan et Jean Trinquier
- Gérard Chastagnaret (Aix), Le Concept moderne de
Méditerranée
- Jacques des Courtils (Bordeaux, Ausonius), La
Méditerranée entre Grecs et Phéniciens, un partage des eaux ?
- Jean-Yves Carrez-Maratray (Angers, UMR 8167 Orient
et Méditerranée), L’Égypte était-elle un pays méditerranéen pour les
Anciens ?
- Serena Bianchetti, La Méditerranée dans la « carte
alexandrine »: Ératosthène et la géographie scientifique
- Didier Marcotte (Reims), Méditerranée et Océan
indien à l'époque de Trajan : deux mondes en miroir
- Michel Reddé (EPHE), Unité/ruptures/diversité de la
Méditerranée romaine
- Carlos Lévy, La Mer des sceptiques
- Gilles Sauron (Paris IV), La Méditerranée entre
mythe et actualité dans la peinture pompéienne
- Pierre Chuvin (Paris Ouest), La "mise à
jour" des mythes de l'Ouest méditerranéen. Quelques exemples d'époque
impériale
- Patrick Gautier Dalché, La Méditerranée dans les
représentations géographiques médiévales
- Christophe Picard (Paris I), L'invention de la
Méditerranée vue d'Orient : la géographie arabe médiévale (IXe-XIIesiècle)
- Georges Tolias, Les Réseaux médiateurs en
Méditerranée : le cas de la mer Égée
- Franck Hofmann (Freie Universität, Berlin),
TRANSMED. Pensée de la Méditerranée et conscience européenne
Avec la participation de : Michel
Balard, Michel Casevitz, Jehan Desanges
Lieux - École normale supérieure,
salle Dussane - 45 rue d'Ulm - Paris, France (75)
Dates - vendredi 26 & samedi 27 octobre 2012
Source de l’information Calenda
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