Le petit-déjeuner d’IPEMED,
organisé le vendredi 5 octobre, en partenariat avec l’Académie Diplomatique
Internationale et le magazine Jeune Afrique, s’est penché sur les enjeux
politiques et économiques d’un partenariat agricole euro-méditerranéen ; l’occasion
pour Jean-Louis Rastoin, ingénieur agronome, professeur à Montpellier SupAgro,
expert associé d’IPEMED, de présenter les conclusions d’un récent rapport
publié par IPEMED sur le sujet [1] et d’en débattre avec Xavier Beulin,
Président de Sofiprotéol, et président de la FNSEA (France) et Younes Zrikem,
Directeur de la Stratégie et du Développement du Groupe TAZI (Maroc).
Dans cette optique, Jean-Louis
Rastoin a présenté les défis auxquels font face les PSEM : la variabilité du
climat qui a un impact direct sur les récoltes, et qui pourrait entraîner une
baisse des rendements de 10 à 30% en Méditerranée ainsi que le poids économique
et financier de la hausse des matières premières agricoles qui pèse
considérablement sur les finances publiques[2] alors même que l’on observe une
diminution de l’aide publique au développement rural et agricole.
Pour Younes Zrikem cependant, c’est
la volatilité des prix qui pose problème, laquelle est nourrie par la
spéculation et des pratiques commerciales « dangereuses » telles que le
développement massif de production de bioéthanol aux Etats-Unis et au Brésil.
Moins médiatisés, les enjeux de
santé publique (les PSEM étant plus frappés que la moyenne mondiale par
l’augmentation des maladies non-transmissibles d’origine alimentaire, en raison
surtout des changements advenus dans les modes de consommation alimentaire),
et, sociaux, l’agriculture faisant vivre au moins 25% de la population totale
des PSEM, soit 72 millions de personnes. A titre de rappel, il faudrait créer
autour de 2 millions d’emplois par an, entre 2010 et 2030, pour faire face à la
pression démographique (+ 72 millions d’habitants supplémentaires d’ici 20 ans)
et pour résorber un chômage structurel élevé.
L’aggravation anticipée du niveau
de l’insécurité alimentaire des PSEM amène à repenser la stratégie à adopter,
en changeant, d’une part, de paradigme à savoir passer d’une vision sectorielle
du problème à une vision « systémique », en envisageant notamment la
territorialisation des filières agro-alimentaires pour contribuer au
développement des zones rurales et le développement d’une industrie de
transformation et de services associée à l’écotourisme.
D’autre part, il s’agit
d’inscrire la sécurité alimentaire dans un cadre géopolitique global via la
mise sur pied d’une PAAC-PSEM qui reposerait sur un certain nombre d’outils :
des programmes éducatifs et des campagnes d’information à destination des
consommateurs ; la création de normes et de labels de qualité ; la création
d’une agence de sécurité alimentaire amenant à une mutualisation des efforts de
part et d’autre de la Méditerranée ; une réforme commune des Caisses de
compensation ; un programme de R&D tourné vers « l’agro-écologie » ; un
schéma de professionnalisation des filières et enfin, la création d’un « Observatoire méditerranéen
des récoltes ».
Xavier Beulin a appuyé les
propositions de Jean-Louis Rastoin en en soulignant les « sujets-chantiers » :
la question de l’accessibilité et de « l’efficience » de l’eau, la recherche et l’innovation et le
co-développement, la France pouvant par exemple apporter sa contribution dans
l’organisation des filières agro-alimentaires. Xavier Beulin a également
souligné l’actualité de ces recommandations en énumérant les initiatives prises
lors du G20 agricole en 2011 (la mise en place d’AMIS et d’un « Forum de
réaction rapide »).
Le coût de la mise en place de la
PAAC-PSEM (pour son volet agricole) est chiffré à 5 milliards d’euros par an ;
sur la base d’un cofinancement (PSEM – UE ), le coût supporté par le citoyen
européen serait de l’ordre de 5 euros par an, et de 8 euros pour les habitants
des PSEM, à comparer aux coûts plus élevés des projets européens à destination
des PECO.
Ce projet de PAAC-PSEM repose sur
le constat d’une complémentarité des pays du Nord et des PSEM notamment sur le
plan démographique (d’ici 20 ans, la population active au Sud devrait augmenter
de 55 millions et diminuer de 44 millions au Nord) et commercial[3]. Mais,
cette complémentarité ne va pas nécessairement de soi : le grignotage
progressif de la part accordée à l’Union Européenne via la diversification des
exportations des PSEM peut, selon Younes Zrikem, trahir un affaiblissement de
l’élan vers l’Union Européenne, lié à la crise que traversent l’institution et
l’euro, mais également, pour le cas du Maroc, aux difficultés rencontrées lors
des négociations sur le renouvellement d’un accord agricole avec l’Europe.
Mais, si l’ouverture des PSEM vers d’autres partenaires commerciaux est
globalement positive, elle ne doit pas se faire au détriment de l’ancrage
européen. Dès lors, Xavier Beulin n’a pas manqué de souligner la nécessité pour
l’Europe de déplacer son centre de gravité de l’Est vers le Sud, tout en
favorisant l’intégration Sud-Sud. A ce titre, Younes Zrikem a mentionné le coût
du « non-Maghreb », qui en dépit d’une complémentarité indéniable est la région
la moins intégrée au monde ; des propos qui font écho à ceux tenus par le
Président de la Commission Européenne, José Barroso, lors du Commet des chefs
d'Etat et de gouvernement des pays du dialogue euro-méditerranéen (5+5), les 5
et 6 octobre 2012. Or, le contexte géopolitique actuel amène à plaider en
faveur d’une voie intermédiaire entre un multilatéralisme en panne et un
bilatéralisme « inquiétant », via l’approfondissement de grands ensembles
sous-régionaux. Pour Jean-Lous Rastoin, il existe à présent un consensus autour
de l’idée de « régionaliser la mondialisation », ce qu’illustrent les réunions
à venir début 2013 entre l’Union Européenne et le Maroc ainsi que les préparatifs du Sommet de l'Union du Maghreb
Arabe (UMA), prévu en décembre à Tunis.
L’actualité des problématiques
évoquées pendant ce petit-déjeuner met cependant en lumière la prise de
conscience tardive des enjeux liés à
l’agriculture. Or, pour Jean-Louis Rastoin, l’insécurité alimentaire est
une « bombe à fragmentation » qu’il s’agit de désamorcer. A Radhi Meddeb,
Président d’IPEMED, de conclure qu’à cet effet, le partenariat UE-PSEM doit
reposer sur « la solidarité » : «
l’agriculture n’ayant pas qu’une dimension économique, mais aussi sociale et
politique […] il n’est pas question d’ouvrir l’agriculture sans des mesures
d’accompagnement fortes et dans la durée », ce qui implique une « volonté de
vulgarisation, de normalisation, et un effort de formation à déployer pour la
sauvegarde de cette dimension sociale ».
Compte rendu par Kelly Robin
Source de l'article IPEMED
[1] Pour une politique agricole
et agroalimentaire euro-méditerranéenne, Jean-Louis Rastoin, Lucien Bourgeois,
Foued Cheriet, Nahid Movahedi, IPEMED, Paris 2012.
[2] Pour la seule année 2010, le
déficit de la balance commerciale agricole et alimentaire s’élève à plus de 26
milliards de dollars pour l’ensemble des PSEM, et la facture alimentaire
pourrait atteindre, à monnaie constante, 50 milliards de dollars en 203.
[3] L’Union Européenne absorbe un
quart des exportations agricoles et agroalimentaires et assure un quart des
importations en produits agricoles et agroalimentaires des PSEM
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