Les tendances prévisibles pour les 11 pays du sud et de l'est de la Méditerranée (PSEM) font état d'une grave insécurité alimentaire, mettant en péril, d'ici à 2030, la santé publique et la cohésion sociale de ces pays. Une politique agricole, fondée sur un co-développement et la solidarité euro-méditerranéenne, permettrait de prévenir ce risque majeur. Elle serait cofinancée à 50/50 par les PSEM et l'Union européenne...
La montée rapide des maladies
d’origine alimentaire (notamment obésité, pathologies cardio-vasculaires et
diabète) dans les pays du sud et de l’est de la Méditerranée (PSEM), liée à
l’abandon de la diète méditerranéenne et à l’évolution des modes de vie, constitue
un lourd défi pour les systèmes de santé. Simultanément, la hausse des
températures et l’aggravation des sécheresses pourraient faire diminuer les
rendements de 30% dans la zone méditerranéenne, ce qui gonflerait mécaniquement
la facture alimentaire rendue très instable par la volatilité des prix
internationaux. On peut donc parler, pour les PSEM, d’une situation potentielle
d’insécurité alimentaire critique.Des complémentarités et de multiples défis communs entre le nord et le sud
Dans les PSEM, l’agriculture et les activités liées font vivre au moins 72 millions de personnes (25% de la population totale). Du fait de la démographie, il faudra créer autour de 2 millions d’emplois par an jusqu’en 2030, en plus de la résorption indispensable d’un chômage structurel élevé.
De plus, les ressources naturelles indispensables à la production agricole et alimentaire, la terre et l’eau, sont rares et menacées dans ces pays. Le contexte politique a profondément changé depuis les révolutions arabes du début de 2011 et a conduit à remettre l’accent sur les zones rurales marginalisées par la priorité donnée par les anciens dirigeants à l’industrie urbaine, au tourisme côtier bétonneur et aux mégalopoles. Pour l’Union européenne, l’objectif est de contribuer à la paix et à la prospérité dans une région avec laquelle existent de nombreux liens historiques, culturels, humains et économiques, et donc d’exprimer une vision géopolitique régionale.
On va observer, dans les vingt prochaines années, une forte augmentation de la population active dans les PSEM (+ 55 millions) et une diminution quasi symétrique au Nord (– 44 millions). Parallèlement, on s’attend à un différentiel de croissance économique entre les PSEM (tendance de + 4 à 5% par an) et l’UE (+ 0 à 2%). Au plan commercial agricole et agroalimentaire, l’UE absorbe 36% des exportations des PSEM et fournit à ces pays 32% de leurs besoins. De leur côté, les PSEM représentent 10% des exportations et 7% des importations extracommunautaires en produits agricoles et alimentaires. Les complémentarités sont nettes : besoins en céréales et produits animaux dans les PSEM et capacité productive dans l’UE, besoins en fruits et légumes dans l’UE et potentiel productif dans les PSEM.
Assurer la sécurité alimentaire par un codéveloppement
La réponse proposée à ces multiples enjeux est la création d’une politique alimentaire et agricole commune pour les PSEM (PACEM), construite dans le cadre d’un partenariat euro-méditerranéen refondé et renforcé, en vue de relancer une coopération qui a beaucoup déçu les PSEM et risque de conduire à une balkanisation de la zone, chacun des pays recherchant alors, dans des accords bilatéraux tous azimuts, des espaces de développement. La PACEM a pour objectif d’améliorer la sécurité alimentaire quantitative et qualitative des populations ; de baser cette sécurité sur une augmentation de la production agricole et alimentaire – en quantité et qualité –, dans chaque pays méditerranéen et sur un partenariat euro-méditerranéen ; de contribuer, par l’organisation de filières agroalimentaires territorialisées, au développement des zones rurales.
Toutes ces actions s’inscriront dans le cadre d’un modèle alternatif de consommation et de production fondé sur les terroirs, l’innovation technologique et organisationnelle (réseaux de gestion des ressources et de partage des connaissances), c’est-à-dire en cohérence avec un développement durable. Les outils de la PACEM seraient mis en œuvre dans chaque PSEM, au sein d’un espace commun régional. Le volet alimentaire comporterait : une incitation à la qualité organoleptique et nutritionnelle des produits alimentaires s’inspirant de la diète méditerranéenne ; une information et une éducation des consommateurs ; la création d’une agence méditerranéenne de sécurité alimentaire ; la mise en place d’un dispositif spécifique permettant aux populations les plus pauvres d’accéder à une alimentation saine ; l’institution d’un partenariat euro-méditerranéen d’approvisionnement en produits alimentaires, porté par des contrats pluriannuels, et la création de stocks stratégiques.
Le volet agricole inclurait : un statut de la terre sécurisant pour les petits et moyens agriculteurs et donnant la priorité à la production d’aliments ; un statut professionnel pour les chefs d’exploitation, les salariés et la main-d’œuvre familiale agricole, avec une parité homme-femme ; un soutien au revenu des agriculteurs par des prix agricoles stables et rémunérateurs (notamment par la régulation aux frontières), et par des aides aux intrants et à l’investissement (crédit et assurances) ; un effort de R&D en vue de concevoir de nouveaux systèmes de production agricoles durables et un ambitieux programme de formation initiale et continue des agriculteurs ; un dispositif de contrôle de la qualité des produits agricoles et de traçabilité, et une promotion par les labels ; la création d’un observatoire méditerranéen des marchés agricoles et des filières ; un appui à l’organisation technique, économique et logistique des filières et des marchés.
Le coût estimé d’une PACEM serait d’environ 31 milliards de dollars par an au début des années 2010, dont environ 26 milliards pour la politique alimentaire, et 5 milliards pour les mesures agricoles, soit au total moins de 2% du PIB des PSEM. Le volet agricole pourrait être cofinancé à 50/50 par les PSEM et l’UE, dans le cadre de politiques nationales redéployées et d’un chapitre ad hoc de la politique de voisinage de l’UE. La contribution de chaque citoyen de l’UE serait de l’ordre de 5 euros par an.
Des coûts modestes au regard d’enjeux vitaux pour les populations
Les révolutions des pays arabes méditerranéens sont en partie dues à la trop grande dépendance de ces pays par rapport à leur approvisionnement alimentaire. Or cette dépendance ne fera que croître, et dès que les prix augmentent sur le marché mondial, cela se traduit par une très forte augmentation de la facture en devises, mais aussi par la nécessité d’augmenter les subventions à la consommation pour garantir la cohésion sociale. Les PSEM doivent inscrire dans l’agenda des réformes à mettre en œuvre pour la substitution de la politique dite de compensation par une politique volontaire de mise à niveau alimentaire et agricole, fondée sur la réallocation des fonds au profit de la PACEM.
Par ailleurs, il est urgent de changer de logiciel en matière de coopération euro-méditerranéenne et de passer d’une approche purement marchande, corporatiste et protectionniste, à une approche fondée sur un co-développement durable au Sud comme au Nord, en privilégiant les besoins réels des populations du Nord et du Sud et une bonne gestion des ressources écologiques.
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Pour un exposé détaillé et chiffré du projet de PAAC-PSEM, on pourra consulter : Jean-Louis Rastoin, Lucien Bourgeois, Foued Cheriet, Nahid Movahedi, 2012, Pour une politique agricole et alimentaire euro-méditerranéenne, coll. Construire la Méditerranée, Ipemed, Paris, 86 p. disponible sur www.ipemed.coop
Par Jean-Louis Rastoin et Amal Chevreau, think-tank Ipemed- Jean-Louis Rastoin est ingénieur agronome et économiste, professeur émérite à Montpellier SupAgro, membre de académie agriculture de France, directeur de la chaire UNESCO en « alimentations du monde » et expert du think-tank Ipemed.
- Amal Chevreau est responsable du pôle production de l'institut de prospective économique du monde méditerranéen (Ipemed, Paris).
Source de l'article La Tribune
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