Projet Agriculture & Développement Rural - Foued Cheriet: "Nous sommes face à une forte asymétrie entre le Nord et le Sud"

Foued Cheriet, maître de conférences à Montpellier SupAgro, explique où en est la coopération
inter-entreprises Nord-Sud, ses points faibles et ce qu’il faut faire pour qu’elle progresse encore
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Dans quel contexte évolue la coopération inter-entreprises Nord-Sud ?
Nous sommes face à une forte asymétrie entre le Nord et le Sud en termes de sécurité alimentaire. Les études montrent un énorme décalage en ce qui concerne la sécurisation de l’approvisionnement entre un Nord excédentaire, voire opulent, et un Sud structurellement déficitaire, notamment pour les céréales.

Nous défendons l’idée selon laquelle la coopération institutionnelle et politique, même importante, ne saurait aboutir sans une coopération de projets. Les coopérations politiques sur les ressources naturelles ou la sécurité alimentaire qui se font dans un cadre normé (processus de Barcelone, upm) sont essentielles pour la construction régionale mais insuffisantes si des opérateurs n’établissent pas des partenariats de manière pro-active.

Sur le terrain, de nombreuses coopérations se développent. Elles répondent à des impératifs économiques : commercialiser davantage, avoir un interlocuteur fiable de l’autre côté de la Méditerranée pour des débouchés ou pour des questions de mise à niveau technique, d’apprentissage, de gestion des besoins de marketing et de commercialisation.

Quelle connaissance les opérateurs du Nord ont-ils du Sud et vice versa ?
Au Nord, les opérateurs ont une connaissance assez fine du marché domestique et du marché régional européen. En revanche, ils connaissent mal les caractéristiques des consommateurs, les besoins ou les débouchés potentiels du Sud, alors que les opérateurs du Sud sont demandeurs d’expertise venant du Nord. Pour certaines filières, des opérateurs ont des excédents et d’autres, au Sud, ne demandent qu’à avoir des produits à commercialiser, tout en se faisant accompagner sur le plan technologique, organisationnel et marketing. Les nécessités coïncident, mais il ne faut pas les réduire au fait que le Sud a besoin du Nord et que le Nord «peut aider» le Sud.

Il n’y a pas un Sud mais des Sud. Les entreprises cherchent des opportunités précises, commerciales ou industrielles. Elles veulent qu’on leur indique l’opérateur, le marché, les données et les risques. Il faut donc identifier qui fait quoi au Nord, qui a besoin de quoi et de qui et, au Sud, quelles sont les opportunités et les contraintes. Enfin, les entreprises du Sud ont également besoin d’opérateurs du Sud. Par exemple, pour des firmes marocaines, l’Algérie est un débouché important et les industriels de ce pays sont des partenaires potentiels essentiels.

Qu’en est-il des échanges entre les deux rives de la Méditerranée ?
Pour les échanges agricoles et agroalimentaires, l’Europe n’investit que 2% avec son Sud alors que les États-Unis et l’Asie investissent 20% avec leur zone d’influence naturelle car cela s’inscrit dans des processus de consolidation régionale, des formes d’intégration d’une zone par rapport à une autre. Mais on n’observe pas cela avec la région méditerranéenne, même si les dépendances commerciales restent fortes et déséquilibrées. Si les Européens n’impulsent pas des coopérations avec leur Sud d’autres pays le feront. Déjà, de plus en plus d’entreprises brésiliennes, nord-américaines, asiatiques – notamment chinoises – mais aussi indiennes (pour la viande en Algérie), vont prendre la place commerciale, industrielle, technologique des entreprises européennes.

Une sécurité alimentaire régionale renforcée devrait se structurer autour de trois enjeux : la maîtrise des marchés locaux, la sécurisation des approvisionnements alimentaires et l’apprentissage commercial et technologique. Il faut pour cela créer un cadre large pour faciliter les opérations de partenariat et les intégrer dans la construction politique en Méditerranée. Les pouvoirs publics apparaissent donc comme des acteurs centraux en termes d’accompagnement des industriels et de facilitation des coopérations inter-entreprises.

Propos recueillis par Agnès Levallois
Source de l’article IPEMED

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