Santiago Mendieta est le rédacteur en chef de la revue toulousaine «Gibraltar, un pont entre deux mondes». Un «mook», mi-magazine, mi-livre, qui fait la part belle aux histoires. Interview.
Comment se lance-t-on dans l'aventure d'un magazine ?
Gibraltar est née d'une passion pour les histoires vraies, humaines, les récits longs. Il y a un timide retour du récit dans la presse y compris régionale, la redécouverte du reportage, du Sud profond. Le pari, c'est de savoir créer une publication qui est plus proche du livre que du magazine. Appelons-la revue. Avec de la photo de la BD... Un pari passionnant, mais lourd à porter au quotidien pour une petite structure comme la nôtre.
En pleine crise de la presse écrite, il y a donc un avenir pour le reportage ?
Le journalisme est en crise profonde depuis plusieurs décennies, ce n'est pas nouveau. La surabondance de l'offre informative grâce à Internet et sa multiplication presque à l'infini, crée le sentiment, l'illusion, chez certains lecteurs ou internautes qu'ils ont tout à disposition et gratuitement. Nous sommes un média plus lent qui prend le temps, six mois, et qui propose une autre vision d'un territoire vaste comme le Bassin méditerranéen qui crève l'écran de l'actualité en raison de ses conflits, ses fractures. À l'info qui va vite, qui «buzze», qui passe à autre chose en permanence, nous proposons des histoires du quotidien, des portraits, des rencontres avec une réalité parfois dure ou plus heureuse. Comme ce journaliste espagnol qui fait de la radio itinérante à dos de mulet dans une sierra d'Andalousie..
Comment expliquez-vous ce nouvel engouement des lecteurs ?
Nous proposons une pause au lecteur débordé, assailli par le rythme endiablé de l'actualité, mais il doit se rendre en librairie pour acheter notre revue et tout le monde ne s'y rend pas pour de multiples raisons, voilà la limite actuelle de notre démarche. Je crois qu'il y a une recherche de quête de sens. La société est si tiraillée par le doute par rapport à l'inertie ou l'impuissance du politique ou des «élites». Il y a l'indignation, le malaise, le chômage ou la souffrance au travail et il est bien difficile de croire à quelque chose aujourd'hui. Gibraltar lance, à son modeste niveau, des passerelles de chaque côté de la Méditerranée car tous seuls nous ne nous en sortirons pas. Le repli sur soi c'est la facilité et le retour des idées rances.
Les Mooks ou magazines-livres sont à la mode, y a-t-il de la place pour tout le monde ?
Il y a eu une profusion de titres sortis en librairie depuis deux ans et forcément ça s'embouteille. La qualité est parfois au rendez-vous, mais il y a aussi parfois de l'opportunisme de la part de certains éditeurs. Le lecteur fait son choix, aidé par le libraire, dont le rôle dans la transmission de la culture du livre est essentiel.
Votre terrain, c'est la Méditerranée au sens large, vous sentez un intérêt toulousain spécifique pour cet espace ?
Totalement. Au-delà de Mare Nostrum, il y a un attrait pour les histoires que nous pouvons révéler, une attente du lecteur d'être séduit par un récit, par cette culture qui a été le berceau de l'humanité.
Une revue comme Gibraltar est exigeante à réaliser financièrement, le projet est-il viable ?
Faire une revue d'une telle densité, tout en étant belle graphiquement, émouvante et je l'espère pertinente, exige un engagement total, même avec des moyens limités. Nous vivons une forme d'utopie éditoriale à contre-courant, qui, si elle rencontre un public assez large, peut rendre l'entreprise viable économiquement. L'objectif c'est d'en vivre, ce qui n'est que partiellement le cas. Comme toujours, les lecteurs décideront.
Par Gilles-R. Souillés - Source de l’article la Dépêche
La Revue «Gibraltar, Un Pont entre deux Mondes», numéro 4, vient de paraître. Avec un dossier intitulé «Contre les murs, ces héros du quotidien» (Grèce, Chypre, Turquie, Liban-Syrie et Gaza), ainsi que deux récits sur les Pyrénées (le village catalan de Fillols et le thème du passage dans les vallées des Pyrénées centrales). Disponible en librairie, au numéro et par abonnement sur www.gibraltar-revue.com
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