Un sentiment général de "frustration" mine une partie de la jeunesse de cinq pays arabes méditerranéens, selon une enquête menée auprès de 10 000 jeunes Marocains, Algériens, Tunisiens, Égyptiens et Libanais, dont "un sur cinq veut émigrer", dont les plus diplômés.
La Commission européenne avait commandé cette étude après les contestations populaires - parties de Tunisie - qui marquèrent le monde arabe à partir de la fin 2010.
Six ans après le "printemps arabe", un résumé du rapport Sahwa ("L'éveil" en arabe) a été publié cette semaine par une fondation privée espagnole chargée de coordonner les investigations.
Des 10 000 entretiens menés entre 2014 et 2016 en Algérie, au Maroc, en Tunisie, en Égypte et au Liban, il ressort qu'"un jeune sur cinq veut émigrer" et jusqu'à un sur deux dans le cas de la Tunisie (53%).
"Le principal motif qui pousse ces jeunes à vouloir partir est, une fois de plus, économique : trouver un emploi digne et de meilleures conditions de vie", résume le CIDOB, un centre d'analyses indépendant basé à Barcelone.
"La désaffection pour la politique est très préoccupante - près de 60% des jeunes en âge de voter ne l'a pas fait aux dernières élections - mais pour eux, ce n'est pas le principal problème, c'est plutôt la sensation de ne pas pouvoir arriver à devenir adulte", explique à l'AFP la politologue espagnole Elena Sanchez-Montijano.
Coordinatrice de l'enquête, elle évoque "un sentiment général de frustration et d'exclusion sociale" parmi ces jeunes représentant les deux tiers de la population de leurs pays.
"Ils voient qu'ils ne vont pas pouvoir être autonomes très rapidement - avoir un travail, quitter la maison de leurs parents, se marier - et cela retarde de façon très importante leur passage à l'âge adulte", dit-elle à l'AFP.
Jeunes tunisiens désespérés
Le "niveau de vie" est en tête des problèmes cités (28%), devant la situation économique (22%), l'emploi (12%) et le système éducatif (10%).
En Algérie, "un peu plus du quart de la jeunesse veut émigrer", constate Nacer-Eddine Hammouda, du Centre de recherche en économie appliquée pour le Développement-CREAD à Alger. "Et ce qui est remarquable, c'est que le fait d'arriver à l'université renforce le désir d'émigrer", ajoute ce statisticien économiste, joint à Barcelone en marge d'une conférence.
Dans la Tunisie voisine, "la situation économique s'est encore détériorée depuis 2011, même pour ceux qui ont un niveau universitaire élevé, et cela a rendu les jeunes frustrés voire désespérés", commente Fadhila Najah, responsable de l'enquête Sahwa dans son pays.
Après la fuite du président Zine El Abidine Ben Ali puis les premières élections libres en 2011, les jeunes avaient l'espoir d'être davantage représentés dans la sphère publique: "Malheureusement, cela a été le contraire" et "il y a plus de personnes très âgées qui sont en train de les gouverner", dit cette analyste de données tunisienne de 32 ans.
Dans une région très troublée par l'essor de groupes jihadistes, diverses questions ont été posées sur le rapport à la religion en général, mais reste à en analyser les réponses.
"À la question +jusqu'à quel point te reconnais-tu dans les catégories suivantes?+, la première identité citée a été la nationalité - être Marocain, être Libanais, etc. - et la deuxième la religion", rapporte Elena Sanchez-Montijano.
Et quand les jeunes ont été interrogés sur leur temps libre, "+aller à la mosquée+ est apparu comme la deuxième activité la plus importante, après +sortir avec les amis+", 18% disant aller prier chaque jour.
Quant aux systèmes éducatifs, ils sont perçus par les jeunes comme "rigides, trop théoriques et déconnectés du marché du travail".
Cependant, tempère M. Hammouda, un changement bénéfique est à l'oeuvre en Algérie : "Les femmes incitent beaucoup plus leurs filles à faire des études longues" et "un tiers d'une génération de filles arrive à l'université, contre moins d'un quart pour les garçons".
Selon une étude précédenbte s'inscrivant dans le cadre du projet Sahwa, "en 2012, plus du tiers des étudiants algériens avaient un de leurs parents ou les deux analphabètes". Une nouvelle mobilité sociale qui, espère-t-il, "va avoir un impact sur le fonctionnement de la société".
Par Laurence Boutreux - Source de l'article Afriqueexpansion
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