Migration et crise des réfugiés dans l'UE-Med : à l'aube d'une ère de responsabilité partagée ?

Dr Maryse Louis, Déléguée générale du Forum euro-méditerranéen des instituts de sciences économiques (Femise, Marseille) et directrice des programmes de l'Economic Research Forum (ERF, Giza-Le Caire).
Dr Maryse Louis, Déléguée générale du Forum euro-méditerranéen des instituts de sciences économiques (Femise, Marseille) et directrice des programmes de l'Economic Research Forum (ERF, Giza-Le Caire). (Crédits : DR)
La crise humanitaire dont souffrent des millions de réfugiés en Méditerranée et en Europe sera au cœur de la conférence annuelle Femise, les 29 et 30 avril à Casablanca.

Déléguée générale du Forum euro-méditerranéen des instituts de sciences économiques (Femise, Marseille) et directrice des programmes de l'Economic Research Forum (ERF, Giza-Le Caire), Dr Maryse Louis décrypte ici les multiples facettes de cette tragédie.

Avec plus de 65 millions d'expatriées à travers le monde - une personne sur 113 (1), l'UE-Med fait partie des régions avec le plus grand nombre de personnes déplacés.
Selon le HCR, à la suite du conflit syrien, qui entre dans sa sixième année, le nombre de réfugiés syriens avoisine les 5 millions, outre les 6 millions de personnes déplacées à l'intérieur du pays. La plupart ont traversé les frontières vers des pays voisins : la Turquie est le pays qui accueille le plus de réfugiés dans le monde avec plus de 2,7 millions de Syriens ; Le Liban accueille le plus grand nombre de réfugiés par rapport à sa population (2,2 millions représentant environ 23% de la population libanaise), suivi par la Jordanie (plus de 600 000, représentant 10% de la population).
Les pays de l'Union européenne ont également dû gérer l'arrivée d'environ deux millions de réfugiés en 2015 et 2016. Au moins 1 million d'entre eux a traversé la Méditerranée vers la Grèce et l'Italie. Pendant ce temps, ces traverses ont engendré le plus haut taux de mortalité jamais atteint dans la région, soit plus de 8 000 personnes. Cependant, tous les pays de l'UE ne partagent pas le même nombre de réfugiés, avec une concentration plus élevée en Allemagne (0,54% de leur population), en Suède, en Grèce et en Hongrie (1,8% de sa population) (2).
Dans cet environnement difficile, la région UE-Med se trouve plongée dans une crise aux multiples facettes.
Tout d'abord, les réfugiés, soit ceux de l'UE, soit ceux des pays voisins du sud, sont confrontés à une crise humanitaire, à des divisions familiales, à des conditions de vie extrêmes. Il est urgent de fournir des conditions de logement, d'alimentation et de vie de base pour ces personnes qui ont souffert de trajets difficiles et dont l'avenir est encore atténué.

Une pression sans précédent sur les pays voisins

Deuxièmement, l'arrivée de 4,8 millions (3) de réfugiés qui échappent à la guerre en Syrie vers les pays voisins de la Méditerranée du Sud a créé une pression sans précédent sur les économies des pays d'accueil, souvent déjà en difficulté. Dans le cadre de leurs ressources limitées, des efforts régionaux et nationaux ont été déployés pour fournir des services d'hébergement et la prise en charge des besoins fondamentaux de ces personnes. Cependant, ces efforts sont loin d'être suffisants. En outre, les impacts économiques et sociaux de ces flux sont déjà ressentis dans les économies d'accueil: sur le plan économique, les impacts sur les marchés du travail, les ressources et la consommation ont créé des pressions sur les prix, comme en témoignent le Liban et la Jordanie. Sur le plan social, les pressions en termes de services scolaires et de santé sont croissantes.

L'Europe divisée sur la question des réfugiés

Troisièmement, les pays de l'UE qui accueillent les réfugiés doivent faire face à des divisions, entre eux et au sein de leurs populations, concernant l'impact des réfugiés sur leurs économies et sur la façon (ou la possibilité) de les intégrer dans leurs sociétés.
Certains voient ces flux comme une opportunité pour une Europe a démographie en pleine évolution pour combler les déficiences en matière d'emploi (4). D'autres les considèrent comme un défi socioéconomique qui pourrait conduire à l'augmentation du chômage, à l'abaissement des salaires, à la pression sur les services sociaux, etc.
En outre, les problèmes de sécurité et de terrorisme ont été au cœur des débats en ce qui concerne les flux de réfugiés. Parallèlement, cette crise a accru les tensions entre les États membres en raison du fardeau disproportionné auquel certains sont confrontés (par exemple, l'Italie et la Grèce). La crise des réfugiés a également affecté les politiques nationales de l'UE, les médias et les opinions publiques (cf. le Brexit).

Une responsabilité partagée à préserver

Quatrièmement, des actions concrètes ont eu lieu au niveau international (ONU, UE, OIM, etc.), régional, national et local. On notera en particulier les cinq points suivants : l'UE a réaffecté environ 120 000 réfugiés dans les États membres, dans l'objectif de responsabilité partagée ; L'UE a versé 1,1 milliard d'euros à la Jordanie et au Liban dans le cadre de l'aide humanitaire, de développement, de l'économie et de stabilisation ; les pays de la Méditerranée méridionale ont étendu leurs budgets pour accueillir les réfugiés ; l'OIM a uni ses forces avec la Commission européenne pour apporter un soutien accru aux réfugiés par différents moyens ; des efforts ont également été accomplis au niveau local, cependant ils restent insuffisants.
Par ailleurs, on observe un manque de coordination et d'engagement politique, ainsi qu'un manque de sensibilisation de certaines populations d'accueil à l'égard de la crise des réfugiés, qui s'ajoute à une situation déjà complexe (5).
De plus, il existe une responsabilité partagée à sauvegarder : il nous semble nécessaire d'éduquer et d'investir dans le capital humain syrien, afin d'éviter la perte d'une génération et fournir un espoir, aussi lointain soit-il, qu'un jour la paix sera rétablie et que la population reviendra pour reconstruire le pays.
      ............
1 - United Nations High Commission for Refugees (UNHCF) report on Global Trends Forces displacement in 2015.
2 - Pew research Center analysis of Eurostat data, juin 2016.
3 - Chiffres du HCR à la fin de 2016.
4 -  Dans un discours intitulé "Without migrants, European societies would be unsustainable", et prononcé à l'occasion du Vision Europe Summit de 2016, António Guterres, devenu depuis secrétaire général de l'ONU, a relevé l'effet positif induit par l'arrivée de migrants en Europe.
5 -  Enquête menée en 2016 dans dix pays de l'UE par Pew Research Analysis Center.
Par Dr Maryse Louis - Source de l'article La Tribune

Aucun commentaire: