L'Europe ne parvient pas à peser sur les suites du printemps arabe

Le film L'Innocence des musulmans et les violentes réactions qu'il a engendrées ne changent officiellement rien : la diplomatie de l'Union européenne (UE) "se soucie" de la sécurité de ses diverses délégations dans le monde mais elle ne remet pas en question le soutien qu'elle apporte aux pays du "printemps arabe".
Elle n'envisage pas, par exemple, de rediscuter l'aide de 500 millions d'euros de dons et de prêts promis le 13 septembre à la "nouvelle Egypte" du président Mohamed Morsi, qui s'ajoutent aux 449 millions pour les programmes en cours jusqu'en 2013. Lors de sa visite à Bruxelles, en fin de semaine dernière, M. Morsi avait appelé les musulmans à la retenue, condamné les violences et s'était engagé à protéger les étrangers dans son pays.
L'UE s'est satisfaite de ces propos. Washington décidait, en revanche, de suspendre ses discussions sur l'allégement de 765 millions d'euros de dette égyptienne envers les Etats-Unis, en raison de la lenteur de la réaction du régime face aux manifestations devant l'ambassade américaine au Caire.
Si l'UE a réagi avec prudence aux incidents des derniers jours, c'est en réalité pour ne pas compliquer ses relations avec différents pays à un moment jugé"crucial" pour elle. Après avoir beaucoup promis, les Européens semblent incapables de répondre aux demandes d'aide financière venues des différents pays qui ont chassé les dictateurs. Ils ne paraissent pas en avoir les moyens, ni la volonté politique, ce qui inquiète plus d'un responsable du Service d'action extérieure de Catherine Ashton, la chef de la diplomatie de l'UE.

"L'Europe doit dès lors s'impliquer davantage"
"Les attentes sont énormes et l'Union ne peut les décevoir, malgré ses difficultés actuelles. Si la démocratie n'avance pas maintenant, nous perdrons quinze ans et nous nous exposerons à des problèmes gigantesques, explique l'un d'eux. 
Les douze ou vingt-quatre mois à venir détermineront si la démocratie continue ou non à progresser en Afrique du Nord, soulignent également Nick Witney et Anthony Dworkin, du centre d'études European Council on Foreign Relations. L'Europe doit dès lors s'impliquer davantage, pas seulement parce que c'est la bonne chose à faire mais parce que c'est son intérêt sur le long terme, au plan économique et stratégique."
En regagnant de la crédibilité auprès de dirigeants qui, souvent, l'ignoraient totalement ou reprochaient à ses membres d'avoir soutenu les régimes dictatoriaux des Moubarak, Ben Ali ou Kadhafi, la diplomatie européenne a réussi la première étape.
Libérée, pour une fois, de la tutelle des différentes capitales qui lui ont laissé carte blanche, elle a pu fixer le cadre de son action et en déterminer les règles : l'ampleur des plans d'aide serait conditionnée à la rapidité des progrès démocratiques et ils seraient fondés sur une promesse dite des "3 M" ("money, market, mobility") : de l'argent, un accès privilégié au marché européen et une mobilité des populations qui apparaît pour l'heure lointaine.

L'Europe, "Grande ONG"
Un moment évoqué, le "Plan Marshall" pour l'Afrique du Nord s'est fracassé sur la crise de l'euro mais eut au moins le mérite de confirmer le diagnostic du président du Conseil européen, Herman Van Rompuy : les suites du "printemps arabe" sont, juste après la crise financière, le principal défi de l'Union.
Il faut, par exemple, répondre aux demandes que Mohamed Morsi a détaillées lors de sa visite à Bruxelles. Il a besoin de soutien pour un gigantesque plan macro-économique et sollicite un prêt de 3,7 milliards d'euros au FMI.
Avec franchise, il a détaillé sa situation à José Manuel Barroso et Herman Van Rompuy : l'aide américaine civile dont bénéficie l'Egypte est de 800 millions de dollars (615 millions d'euros) par an. C'est trop peu. La Chine lui offre 3 milliards d'euros d'investissements. M. Morsi prévient : il ne compte pas développer de relations étroites avec Téhéran, qui propose de l'aider, sauf s'il ne trouve pas ailleurs - et surtout à Bruxelles - de partenaires suffisamment forts...

Scepticisme face aux risques de dérives religieuses
"Si elle ne veut pas être une fois encore cantonnée à un rôle de grande ONG, et jouer un rôle vraiment déterminant dans cette région proche, l'Union européenne devra désormais rebondir", avance un expert. Trouver des moyens, coordonner son action avec les capitales les plus concernées (Paris en tête, mais aussi Rome, Madrid et Berlin) et vaincre un scepticisme évident face aux risques de dérives religieuses.
"Certains responsables européens ne se rendent pas compte du chemin accompli par la plupart des dirigeants du printemps arabe, et c'est un autre handicap", confie un diplomate bruxellois de haut rang. Il compare la situation des pays du printemps arabe à celle de... la Pologne de naguère : "La dictature communiste avait écarté la religion. Donc, la liberté politique, une fois conquise, a eu à cœur de démontrer que la religion aussi en faisait partie. C'est ce qui se produit dans les pays arabes." Un diagnostic optimiste, qui ne fait pas l'unanimité, d'où la paralysie qui guette.

Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen)
Source de l'article LeMonde

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