Oxfam France a récemment publié une étude intitulée '20ème anniversaire de la fermeture de la frontière entre l'Algérie et le Maroc: Des coûts significatifs pour le Maghreb. Résoudre le conflit du Sahara Occidental pour favoriser le développement du Maghreb'.
Selon les auteurs de cette étude, les relations bilatérales compliquées entre Rabat et Alger ainsi que la non-intégration maghrébine et son coût économique, sont essentiellement dus au conflit du Sahara occidental qui [per]dure depuis 1975. Dans ce document de six pages, l'ONG en appelle aussi à la France afin que, s'appuyant sur ses relations privilégiées avec les Etats de la région, celle-ci s'engage beaucoup plus offensivement pour faciliter le rapprochement entre l'Algérie et le Maroc, en vue de la réouverture de la frontière entre ces deux pays. Qu'en est-il réellement de la situation géo-politico-économique du Maghreb et du conflit du Sahara occidental?
Tout d'abord, analyser la complexité des relations algéro-marocaines à travers le prisme du conflit sahraoui est somme toute réducteur. En effet, et contrairement à l'idée générale véhiculée, le Sahara occidental n'est pas une source de contentieux entre Rabat et Alger. Tout du moins pour les autorités algériennes pour qui ce conflit oppose le Royaume du Maroc à la République Arabe Sahraoui Démocratique (RASD) et qui est de facto, du ressort des Nations-Unies.
Par ailleurs, la position de l'Algérie sur ce dossier a depuis le début des hostilités entre le Maroc et la RASD toujours été claire et constante: Alger acceptera le résultat d'un référendum libre et démocratique, quelque soit le choix des Sahraouis. A ce sujet, et comme le rappellent justement Jacob Mundy et Stephen Zunes, auteurs de Western Sahara, War, Nationalism, and Conflict Irresolution, Alger n'est nullement responsable de ce conflit, ni créé le Front Polisario.
Il convient de rappeler ici que l'occupation du Sahara occidental par le Maroc est en totale infraction des lois internationales et la résolution 1514 des Nations Unies qui stipule que "tous les peuples ont le droit à l'autodétermination". Cette résolution 1514 est en outre supportée par la Cour Internationale de Justice (CIJ) qui en octobre 1975 déclarait que le Sahara occidental n'était pas un territoire sans master (terra nullius) au moment de sa colonisation par l'Espagne. Pour la CIJ, Rabat n'a donc pas de revendications valides sur le Sahara occidental basées sur une quelconque historicité, les lois internationales contemporaines accordant la priorité d'autodétermination aux sahraouis. Ce dossier demeure donc une question de décolonisation inachevée.
Sur ce conflit, Rabat sait cependant qu'il peut compter sur le support indéfectible de Paris -et dans une moindre mesure, de Washington- au sein des Nations-Unies. Lors de sa visite au Maroc en 2013, François Hollande n'avait pas manqué de rappeler les liens très étroits qui lient la France et le Royaume chérifien, soulignant aussi une 'amitié d'une qualité rare pour ne pas dire exceptionnelle entre les deux pays'. Le président français profita même de l'occasion pour renouveler le soutien indéfectible de Paris pour le plan d'autonomie du Sahara occidental proposé par Rabat. A cet égard, et comme le souligne Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales, 'la diplomatie de connivence mène non seulement à toutes les impasses mais par ailleurs, est d'une efficacité douteuse'.
Concernant le blocage de l'Union du Maghreb Arabe (UMA) ainsi que la fermeture des frontières terrestres entre le Maroc et l'Algérie depuis août 1994, quelques points essentiels méritent aussi d'être soulignés. Les relations bilatérales entre ces deux voisins que tout devrait rapprocher, ont depuis leur indépendance respective, toujours été difficiles, voire conflictuelles. En 1963, alors jeunes Etats indépendants, le conflit armé de 'la guerre des Sables' les avait déjà opposé au sujet du tracé des frontières. Ceci, douze ans avant que n'éclate le conflit du Sahara occidental.
Nonobstant leurs relations difficiles, cela n'a point empêché Alger et Rabat de rouvrir leurs frontières en 1988 et ce jusqu'en 1994 et l'attentat de Marrakech. Pareillement, la situation conflictuelle entre le Maroc et la RASD n'a nullement été un obstacle aux pays de la région afin de fonder l'UMA en 1989, soit quatorze années après l'éclatement du conflit. Aussi, ces exemples démontrent s'il en est que le conflit du Sahara occidental n'est pas et ne devrait pas être une source d'antagonisme entre Rabat et Alger, ainsi qu'un frein à l'édification d'un Maghreb uni. A titre indicatif, sur les trente sept conventions de l'UMA, le Maroc en a ratifié 8, la Mauritanie 25, la Libye 27, la Tunisie 28 et l'Algérie 29.
Contrairement à l'idée générale en vigueur, la raison essentielle des relations difficiles entre Alger et Rabat serait plutôt la résultante d'une ambition effrénée de leadership régional, devenu somme toute obsolète à l'heure de la globalisation et des constructions de blocs régionaux plus amènes à défendre leurs intérêts respectifs face aux autres entités régionales. Et le Sahara occidental n'est qu'un prétexte de surenchère politique et militaire. Le bon sens voudrait cependant que la realpolitik puisse surmonter cela. A l'instar de Moscou et Tel-Aviv qui malgré leur fortes divergences sur la Syrie et l'Iran, n'en demeurent pas moins des alliés de tailles, augmentant leur échanges commerciaux de 12 millions de dollars en 1991 à 3,5 milliards en 2013, démontrant par la même leur pragmatisme politique et la solidité de leur partenariat économique.
A contrario, les exportations entre les pays de l'UMA (un marché de près de 100 millions d'habitants) ne représentent pas plus de 3,3% du total des exportations du Maghreb. Selon certains économistes, une union maghrébine solide et effective aurait fait gagner aux pays de la région une valeur ajoutée annuelle de l'ordre de 10 milliards de dollars par an. Il est en outre estimé que depuis 1975, le Maroc a perdu 3,5 points de croissance économique, affectant par là même le standard de vie des marocains, qui sans le conflit qui oppose leur gouvernement au Front Polisario, serait trois à quatre fois plus élevé.
En 2014, les pays du Maghreb souffrent de nombreux déficits chroniques, politiques, syndicales et économiques. Aussi, à l'heure où la menace terroriste qui pèse sur la région n'a jamais été aussi visible, il est primordial que les leaders maghrébins concrétisent le rêve d'un Maghreb uni qui était déjà d'actualité en avril 1958 lors de la conférence de Tanger. Et c'est aux politiques maghrébins qu'il incombe de mettre à plat leurs divergences afin de défendre leurs intérêts mutuels à travers le monde. Pour le bien-être de leurs populations respectives.
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