Alors qu'en Algérie, les femmes souffrent encore du harcèlement de rue dont certains se rendent les fiers auteurs, la France surprend voire choque, par les récentes polémique sur le burkini, et plus récemment, sur le sort réservé aux femmes voilées. En Algérie, comme en France, la femme est dans une situation peu enviable, au centre de revendications pseudo-politiques et identitaires.
Pablo Picasso, Les femmes d'Alger. San Francisco Museum of Art. |
Alger le 23 août 2016
Une vidéo – une de plus – montre une fille marchant dans les rues d’Alger. T-shirt rose, pantalon noir et bottes, une tenue somme toute classique. Pourtant l’espace de quelques centaines de mètres durant lesquels elle se meut dans la capitale algérienne, les quolibets ne cessent pas. Les hommes les plus polis resteront sur des «charmante» et «belle» au ton bien narquois, mais la majorité usera de termes qu’il est préférable de taire pour l’intégrité de tous.
Cette vidéo ne m’a rien appris de nouveau, elle m’a simplement rappelé à ma rage à chaque fois que je pense à ce genre de scènes qui sont devenues monnaie courante dans mon pays, et dont personne ne s’offusque plus. Un jour, je me souviens de ce chauffeur de taxi qui me disait qu’ «après tout, faut pas être naïf, si elles s’habillent comme ça, c’est bien pour nous aguicher. Au fond, on ne fait que leur donner ce qu’elles veulent». Sombre idiot.
Une jeune fille habillée à l’européenne côtoie une femme portant le voile dans une rue d’Alger. C’était en octobre 1971. AFP |
J’ai pensé tourner cette chronique à la troisième personne, en me mettant à la place de cette jeune fille et puis j’y ai renoncé. Pourquoi ? Parce que, malgré toute ma compassion, toute mon imagination, je ne suis simplement pas une femme. Je peux passer des heures à imaginer ce que ça fait de se faire harceler à longueur de journée, je ne le saurai purement et simplement jamais.
Ça n’empêche pas de témoigner mon dégoût face à cette frange de la population beaucoup trop tiraillée entre le patriarcat traditionnel, et l’émancipation contre vents et marées que la femme algérienne mène avec abnégation. Est-ce à ce point menaçant de voir une femme mener sa vie comme elle l’entend ? Ça me dépasse. J’ai beau essayé de comprendre les motivations de cette partie de la gente masculine, en vain. En passant, merci à ces énergumènes pour la réputation que nous, hommes algériens, nous trainons. Les filles, au nom de tous ceux qui s’identifieront à ces mots, ceux qui sont de votre côté, pardon ! Ça ne change pas grand-chose à votre calvaire quotidien, mais sachez que oui, il existe des hommes qui sont de votre côté.
Je vous promets qu’un jour, on fera en sorte que vous arrêtiez de terminer vos journées par vous dire : « qu’est ce qui m’a pris de porter ça ? Serais-je un jour tranquille dans mon propre pays ? ».
Voir la vidéo d’Amina Zoubir, plasticienne algérienne, sur la place de la femme à Alger : Prends ta place
Paris, le 24 août 2016
De l’autre côté, c’est atterré que je vois la frénésie médiatique autour du burkini et du voile. Tout commence quand un maire de la côte d’Azur décide d’interdire les burkinis sur les plages. Je ne vais pas définir ce que ce vêtement est, je pense que la presse l’a assez fait. Les uns s’écriaient qu’il s’agissait d’une atteinte injustifiée et injustifiable à la liberté, pendant que d’autres clamaient à haut poumons que le burkini banni, c’était la laicité qui sort vainqueur. Elle a bon dos la laicité, à tel point qu’hier, des policiers décidaient de virer d’une place une femme portant un simple voile. Evidemment, vous comprenez bien. Le burkini était attentatoire aux valeurs de la République en ce sens qu’il était un outil de répression de la femme, il n’est pas en adéquation avec la vision de l’égalité homme-femme que la République se fait. La République a aussi bon dos soi dit en passant.
Pas une seconde on pourrait potentiellement penser que peut-être, il existe une infime chance que, hypothétiquement, cette femme voilée ou parée de son burkini, le fait en connaissance de cause, et en totale indépendance ; qu’elle n’est pas influencée ou forcée par un grand méchant mâle derrière, n’en déplaise à mes copines Marine et Nadine. Trop difficile à concevoir une liberté qui va dans deux sens, et surtout pas dans le sens que nos biais culturels et civilisationnels n’arrivent pas à saisir, je sais.
Mes pensées vont à cette femme qui hésite de sortir de chez elle parce qu’elle se dit : « avec mon voile, je m’expose aux regards de travers, aux sourires en coin, alors que je n’ai rien demandé à personne. A quand la tranquillité ».
Partout et nulle part , en toute heure
La situation est des plus ironiques. Pendant qu’au Sud de la Méditerranée, on cherche à vêtir à tout prix la femme au nom de valeurs traditionnelles sorties de je ne sais où, si ce n’est de la frustration des uns, et de l’instrumentalisation populiste que d’autres en font. Il faut bien surfer sur les vagues, de préférence en burkini du coup ; à moins qu’on se trouve au Nord de la Méditerranée. Alors là, au nom d’une autre tradition, la noble, belle, révolutionnaire et inébranlable tradition laïque à laquelle on aime faire tout et rien dire – je radote, je sais, c’est à dessein – on préfère dévêtir la femme, parce qu’il écrit quelque part, je suppose, qu’elle est forcément plus libre en bikini qu’en burkini.
Vêtir pour dominer, dévêtir pour «libérer» de force ; voilà les débats stériles auxquels l’Algérie et la France sont soumis dans une espèce de chassé-croisé qu’aucune de ces deux Nations ne mérite, tellement des sujets plus importants méritent qu’on s’y attardent.
Pour le reste, je pense me faire l’écho d’une écrasante majorité de femmes, en disant aux uns et autres : arrêtez de cristalliser vos crispations identitaires et vos peurs qui sont de natures multiples, autour du corps féminin. Les femmes n’ont besoin de personne pour leur dire à quelle hauteur doit s’arrêter une jupe décente, à quelle épaisseur de tissu le jean slim d’une fille respectable doit se limiter, ou encore quel largeur doit avoir son t-shirt pour ne pas attiser les convoitises, combien de centimètres de cheveux doivent dépasser du voile pour que cela n’heurte pas la République, ni quelle tenue est adéquate pour aller se baigner sur une plage publique. Faites juste en sorte, de part et d’autre de la Méditerranée, qu’elles puissent s’habiller comme elles l’entendent, sans qu’aucune tenue ne tourne au débat brûlant national de l’été. Là serait là réelle victoire, la réelle avancée.
Le reste, elles s’en chargent.
Par Amarane Medjani - Source de l'article Libération
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