Alors que la majorité des pays de la rive sud de la Méditerranée est aujourd’hui en proie à de profondes mutations suite aux révolutions amorcées en 2011, l’Union européenne, unie dans ses divisions, est plus que jamais aux abonnés absents
Berceau de trois religions, confluence de trois continents, la Méditerranée a une histoire indissociable de l’Europe. Les points communs et les intérêts partagés de ses deux rives ne peuvent dès lors que contribuer à faire de cet espace – 700 millions d’habitants – un pont plus qu’une frontière. Or depuis bientôt cinq ans, la real politik a eu raison de ces belles incantations. Au sein des sociétés civiles arabes, nombreuses sont les voix qui s’élèvent pour dénoncer les carences, voire l’atonie de la politique conduite par l’Europe vis-à-vis d’un espace avec lequel elle a pourtant noué des relations étroites et plurielles depuis près d’un demi-siècle.
Face à ce vent de critiques qui s’abat sur Bruxelles, traduisant en sourdine un certain « besoin d’Europe », une réforme de la politique européenne de voisinage, instrument de la diplomatie de l’UE dans la région, est à l’étude par la Commission Juncker sous l’égide des Commissaires Johannes Hahn et Federica Mogherini. Une réponse technocratique – en forme de mea culpa – à une problématique éminemment politique.
Bien que son bilan soit contrasté et que les résultats demeurent en deçà des ambitions initiales, la politique européenne de voisinage est toutefois loin d’être un échec total. Les différentes étapes qui ont jalonné la construction euroméditerranéenne ont toujours encouragé l’éclosion et l’inclusion des sociétés civiles des deux rives de la Méditerranée, faisant la promotion à la fois des échanges transnationaux et, au Sud, des acteurs non gouvernementaux dans des écosystèmes politiques pourtant peu propices à leur développement.
Société civile. Dès 1995, le processus de Barcelone met l’accent sur le renforcement du rôle des acteurs de la société civile ; faisant de ces derniers l’un des centres de gravité de la politique extérieure de l’Union européenne. Ce mécanisme de légitimation et d’empowerment a trouvé sa traduction concrète dans la politique européenne de voisinage contribuant, par ricochet, à favoriser l’influence des sociétés civiles arabes ; les mêmes qui de Deir Ez-Zor au Caire en passant par Tunis ou Benghazi ont fait vaciller les régimes autoritaires auxquels elles étaient depuis lors confrontées. [...]
Un réajustement de la politique de voisinage s’imposait, et ce déjà bien avant le « printemps des Arabes » selon l’heureuse formule de Jean-Pierre Filiu. Prise en otage par les métastases du conflit israélo-palestinien, corsetée par des Etats membres plus soucieux d’accroître leurs échanges commerciaux et de maîtriser les flux migratoires que de renforcer les sociétés civiles, diluée dans une pratique composite où s’amalgament sur plusieurs niveaux acteurs et motivations différents, frappée de plein fouet par l’échec de l’Union pour la Méditerranée, cette politique se doit aujourd’hui de faire son aggiornamento.
La clé du succès d’une nouvelle diplomatie euroméditerranéenne et de la relance d’un certain « désir d’Europe » dans les pays de la rive sud tient moins dans le rôle joué par Bruxelles que de l’implication des capitales du Vieux continent. Les atermoiements et les divergences de vues entre Etats membres au plus fort des révolutions arabes ont paralysé la politique communautaire dans la région et réduit la voix de Bruxelles à de simples circonvolutions diplomatiques ; perdant au passage le cœur des sociétés civiles du sud de la Méditerranée. Les reconquérir prendra certainement des décennies…
Anthony Escurat est doctorant en science politique à Sciences Po Aix et auteur de la note « Le lobbying : outil démocratique » pour la Fondation pour l’innovation politique.
Par Antony Escurat - Source de l'article l'Opinion
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