Moratinos : La sécurité alimentaire, enjeu fondamental pour une Méditerranée en plein bouleversement


À l’occasion d’une conférence sur la sécurité alimentaire organisée hier par l’Institut de prospective économique du monde arabe (Ipemed), l’École supérieure des affaires (ESA) a accueilli Miguel Angel Moratinos, ancien ministre espagnol des Affaires étrangères et envoyé spécial de l’Union européenne au Proche-Orient pour le processus de paix israélo-palestinien. Pour le diplomate, si le Liban et la Méditerranée vivent bien des moments de crises militaires historiques, les racines sont bien plus profondes, notamment économiques.
« Lors d’un point presse accordé juste avant cette conférence, ce n’est sans surprise que j’ai pu constater qu’aucun journaliste ne s’est penché sur le sujet de ma venue au Liban : la sécurité alimentaire. » C’est en ces termes que Miguel Angel Moratinos a débuté son allocution hier à l’ESA, devant une salle comble. Car c’est bien en tant que conseiller diplomatique du Qatar pour la sécurité alimentaire dans la région que l’ancien ministre espagnol et envoyé spécial au Proche-Orient s’est déplacé. « Ma première intention est ainsi de placer la sécurité alimentaire au cœur de son contexte politique, a-t-il poursuivi. Car lorsque l’on aborde le sujet, ce sont bien les problématiques de terres et les ressources hydrauliques qui sont en jeu. Et qu’y a-t-il de plus conflictuel que la terre et l’eau ? Si le Litani est si convoité c’est bien car il est un véritable poumon bleu dans la région. » L’ancien ministre espagnol a ainsi fortement insisté sur la nécessité de comprendre la sécurité alimentaire comme enjeu fondamental dans le développement des sociétés actuelles, en particulier postrévolutionnaires. M. Moratinos a mis en corrélation l’augmentation des denrées alimentaires et les événements politiques. « Quand les prix augmentent, les sociétés se soulèvent, c’est dans l’histoire de l’humanité », a-t-il illustré. « Pourtant, aucune résolution des Nations unies n’a été pensée pour éradiquer la faim dans le monde, a-t-il renchéri. Garantir la sécurité alimentaire, est-ce vraiment si utopique ? » Pas selon l’ancien ministre socialiste pour qui la solution demeure dans une coopération euro-méditerranéenne « en attendant le réveil des Nations unies ».

Car dans un contexte de flambée mondiale des prix agricoles, impactant directement le budget des États, en particulier ceux fortement dépendants aux importations extérieures, Miguel Moratinos a prôné un partenariat agricole. « Au Liban, vous faites figure d’exception dans la région, vous avez de l’eau, des fruits, c’est le paradis, mais jusqu’à quand ? Et à quel prix ? » a-t-il demandé. L’ancien ministre a souligné à cet égard l’impact budgétaire, car la volatilité des prix alimentaires a bien ses effets sur la balance commerciale et les finances publiques via des politiques de compensation.

Pour M. Moratinos, il est ainsi temps de passer du PAC européen (politique agricole commune) au PAM (politique agricole méditerranéenne). « Après les révolutions arabes et ses nouvelles élites, l’Europe ne peut plus proposer unilatéralement ses projets. Il faut construire ensemble et sur un pied d’égalité une nouvelle relation euro-méditerranéenne. » Parmi les pistes avancées par Miguel Angel Moratinos figurent notamment la création d’une banque méditerranéenne pour la sécurité alimentaire, la promotion des produits de la région mais aussi et surtout une véritable réflexion autour de la complémentarité entre les deux rives de la région. « La globalisation tue le voisinage, a-t-il insisté. On oublie la proximité. » Même réflexion de la part de Jean-Louis Guigou, délégué général de l’Ipemed, pour qui la Méditerranée peut constituer un réservoir de croissance économique pour l’Europe, à l’heure où cette dernière demeure en pleine crise. « Imaginez des industriels libanais à la rescousse des entreprises françaises », a-t-il suggéré. Imaginez.
Par Soraya Hamdan - Source l'Orient le Jour

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