Les
difficultés actuelles de la Tunisie profiteraient-elles à ses voisins notamment
au Maroc qui est traditionnellement désigné comme son principal concurrent
économique au sud-ouest de la Méditerranée ?
Solidarité maghrébine oblige, la
question reste officiellement taboue mais elle alimente nombre de conversations
côté tunisien et confinent parfois à la paranoïa.
Cela a été le cas au mois de
mars dernier après la diffusion d’un sketch des Guignols de l’info de la chaîne
française Canal+. Les célèbres marionnettes mettaient en scène avec leur
dérision habituelle ce qui se passerait dans un club de vacances tunisien dont
les « gentils organisateurs » seraient des islamistes radicaux fouettant pour
l’occasion les baigneuses au bord de la piscine jugées trop dévêtues ou
lapidant les couples plus ou moins légitimes qui se forment en pareilles
endroits. Canal+ étant la propriété de Vivendi, groupe très actif au Maroc, de
nombreux Tunisiens y ont vu une tentative de dissuader le touriste français de
reprendre le chemin des plages du Cap Bon, du Sahel ou de Djerba et de lui
préférer les charmes du Royaume chérifien…
Le million de touristes
algériens…compte beaucoup
De
même, un officiel tunisien ayant requis l’anonymat a pour sa part une
explication bien particulière en ce qui concerne les récentes manœuvres
diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc. « Cela fait des années que le
secteur touristique marocain cherche à récupérer une partie de nos visiteurs
algériens. Nos concurrents font pression sur la monarchie et ce n’est pas un
hasard si, à chaque printemps, le Maroc remet à l’ordre du jour la question de
l’ouverture des frontières ». Il faut dire que cette année, dans une ambiance
des plus déprimées, le secteur touristique tunisien compte particulièrement sur
le million de touristes algériens qui s’y rendent habituellement cela sans
compter les binationaux franco-algériens qui évitent désormais l’Algérie durant
la période estivale. Car, pour la Tunisie, les statistiques ne sont guère
encourageantes. Pour les quatre premiers mois de l’année 2013, les entrées
touristiques globales dans ce pays ont baissé de 16,4% par rapport à 2010 et de
3,7% par rapport à 2012. Dès lors, on comprend pourquoi le flux en provenance
d’Algérie est aussi important pour une industrie qui peine à encaisser les
différentes péripéties postrévolutionnaires.
Pas de vases communicants
Pour
autant, rien ne prouve que le Maroc « profite » de la situation tunisienne car
ses propres chiffres de fréquentation touristique ne sont guère enthousiasmant.
Pour les trois premiers mois de l’année, la fréquentation globale a tout
simplement stagné, restant au même niveau que la même période qu’en 2012. Comme
le relève un cadre de l’Office marocain du tourisme, « on peut même penser
qu’il y a eu un effet contagion, les touristes européens étant réticents à se
rendre dans le monde arabe en raison d’une actualité qui n’est pas des plus
réjouissantes ». L’inexistence d’un phénomène de type vases communicants vaut
aussi pour les ventes de phosphates. Depuis les grèves de 2008 et, plus encore
depuis la chute de Ben Ali, ce secteur qui représente 3% du Produit intérieur
brut (PIB) tunisien et 10% des exportations, connaît d’importantes turbulences.
Grèves pour motifs salariaux ou pour exiger le renvoi des directions, sit-in,
blocage des trains, départ de cadres : le désordre est tel que de nombreuses
unités de production sont fermées ou fonctionnent au ralenti. Selon le
ministère de l’Industrie tunisienne, l’ensemble des installations
fonctionneraient à moins de 20% de leurs capacités et les stocks seraient
tombés à trois mois contre le double voire plus en période normale. Toujours
selon le ministère de l’Industrie, la Tunisie aurait perdu la moitié de ses
parts de marchés chez deux de ses principaux clients que sont le Brésil et
l’Inde, des pays dont l’agriculture intensive passe notamment par l’emploi
d’engrais. Bref, au total, la Tunisie aurait perdu plus d’un milliards d’euros
en raison de l’atonie de sa production de phosphate. Or, et malgré toutes les
rumeurs persistantes et véhiculées sur Internet et ses réseaux sociaux, il ne
semble pas pour l’instant que le Maroc en ait profité, du moins pas à court
terme. Deuxième producteur mondial, le
Royaume a vu ses ventes chuter de 30% pour les quatre premiers mois de l’année
par rapport à la même période en 2012. Certes, il est encore trop tôt pour en
tirer des conclusions définitives car il faudrait pour cela disposer de
statistiques plus fines, notamment concernant le marché secondaire de gré à
gré. Mais, en tout état de cause, il faudrait plutôt s’interroger sur l’impact
économique et l’effet de contagion des crises en Tunisie, mais aussi en Libye
et en Egypte, sur le Maroc voire aussi sur l’Algérie.
La Tunisie disparait des radars
européens
En
revanche, il faut tout de même relever que c’est sur le plan des relations
internationales et multilatérales que la Tunisie est train de perdre pied.
Alors que le Maroc fait l’objet de constantes attentions de la part de l’Union
européenne (UE) et cela au nom du Partenariat privilégié qui unit les deux
parties, la Tunisie, elle, semble avoir disparu des radars européens. Certes,
la Commission de Bruxelles affirme que l’UE va accompagner la transition
politique dans ce pays mais de nombreux officiels tunisiens déplorent l’absence
d’initiatives majeures voire de visites emblématiques à Tunis, un peu comme si
la présence des islamistes au pouvoir continuait d’effaroucher les Européens. «
Il n’y a que le FMI pour s’intéresser à nous… » ironise ainsi un
haut-fonctionnaire qui, comme nombre de ses compatriotes, n’a guère apprécié le
report de la visite de François Hollande au mois de juillet prochain. « On
verra bien s’il vient et s’il sera accompagné par une délégation aussi
importante que celle qui s’est rendue au Maroc » conclut ce responsable.