L’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République suscite beaucoup d’attentes à l’international, preuve en est que la France reste un grand pays pour de nombreux observateurs étrangers.
Cette élection constitue également une promesse. Le renouvellement générationnel, que ce président incarne, explique en partie cet enthousiasme. Il faut aussi reconnaître ses positions courageuses en matière de politique extérieure, quelque peu dissonantes par rapport aux tendances du moment. En plaidant pour une ouverture sur les autres, pour les opportunités que la mondialisation des échanges propose, et pour une profonde conviction européenne, le nouvel entrant à l’Élysée a mené une campagne clairvoyante sur ces lignes directrices qui nourrissent l’action de la France à l’international.
Sans nier les difficultés actuelles dans l’hexagone et sur le continent, ni celles d’un monde où tout s’accélère et dans lequel les inégalités s’accroissent, Emmanuel Macron arrive au pouvoir en affichant beaucoup de convictions sur les atouts de la France. Cela n’est sans doute pas mauvais pour le moral des Français, habitués aux alertes des « déclinologues » ces dernières années. C’est aussi générateur d’attentes à l’étranger.
Bien qu’elles ne doivent pas être exclusives et contraignantes pour une action globale, trois perspectives se combinent à nos portes et peuvent être considérées comme les trois marches d’une vision stratégique pour ce quinquennat. Emmanuel Macron, l’européen, doit aussi être méditerranéen et africain. Pour la France, c’est le triple horizon stratégique de sa politique étrangère.
L’Europe, la première marche
Le président n’a jamais manqué de souligner son attachement à la construction européenne et sa volonté de refonder des dynamiques de confiance ayant permis par le passé aux États du continent de se solidariser autour de secteurs clefs. Emmanuel Macron sait très bien qu’une telle relance politique en Europe passe en partie par l’efficacité du couple franco-allemand. Ce n’est pas un hasard si son premier déplacement à l’étranger fut à Berlin, le 15 mai, dès le lendemain de sa prise de fonction. L’idée est belle et bien d’agir sans attendre la fin de la phase d’apprivoisement mutuel qui caractérise souvent la relation franco-allemande quand s’installe un nouveau dirigeant. La composition du gouvernement témoigne par ailleurs d’un ancrage européen et d’une propension germanophile qui n’a pas échappé aux partenaires d’outre-Rhin.
Alors évidemment, il convient de ne pas se perdre en conjecture ! L’Europe n’est pas dans un état de forme olympique. Ni sur le plan politique, ni sur le plan socio-économique. L’’actuel président de la Commission européenne ne cesse de pointer une situation de « polycrise », tant les problèmes s’amoncèlent. Finances, dérives nationalistes ou populistes, Brexit, tensions migratoires, inconnues stratégiques dans le voisinage de l’Europe... Le président français ne saurait ignorer ces enjeux. Mais pour les traiter avec discernement, faut-il sombrer dans le pessimisme et préconiser la paralysie ? L’Europe s’est construite dans des moments de crise ou lorsque les virages de l’Histoire l’ont poussée vers l’avant. Afin de redonner de l’élan collectif, il importe pour la France d’avoir un dialogue constructif avec Berlin. C’est en agissant de concert que les deux pays pourront convaincre les autres États membres, à travers une approche fondée sur le dialogue et la recherche de solutions.
Pour rassurer les opinions sur le rôle de l’Europe et pour montrer que la protection des populations est plus grande à l’échelle européenne, il faut des actes concrets rendus possibles par des projets de long-terme. Cesser de changer les règles et les politiques si souvent, fédérer sur des secteurs clefs, raviver l’esprit de la construction européenne pour en faire l’horizon mobilisateur : ces chantiers sont complexes mais sans aucun doute essentiels si l’Europe veut retrouver du souffle. Dans le dossier du Brexit par exemple, Londres doit-elle seule fixer le tempo ? Dans celui de la défense européenne, faut-il attendre les annonces de Washington pour bâtir un système moins dépendant de la puissance américaine ? Et puis, autre exemple, n’est-il pas opportun d’explorer davantage les avantages d’un scénario où l’Europe ne ferait pas tout, opérant donc uniquement sur des questions stratégiques continentales et sans chercher à normer certains détails de la vie ordinaire des populations ? Quand les procédures et le court-termisme dominent le paysage au détriment des idées et des stratégies, l’Europe ne construit pas : elle avance à reculons comme une écrevisse. Tout objectif de refondation passe nécessairement par une projection de long-terme. Pour se remettre en mouvement, l’Europe doit savoir où se diriger. Emmanuel Macron doit contribuer à réorienter cette boussole rouillée.
La Méditerranée, la seconde marche
La priorité de politique étrangère de la France, c’est l’Europe. Et celle-ci doit d’abord et avant tout se concentrer sur sa cohésion, sa construction et son projet intérieur. Mais l’Europe ne saurait tourner le dos à la Méditerranée. Ce voisinage méridional s’avère prioritaire sur tout autre région du monde : les défis y sont immenses, connus et imbriqués. Cessons de ne pas vouloir regarder les réalités en face : une Méditerranée turbulente constitue un handicap majeur sur le parcours de la refondation européenne. Mais les dénouements ne sont ni dans la fermeture avec des murs, ni dans le vœu pieux d’une union de la Méditerranée. Dix ans après le sommet de Paris qui en avait formulé l’hypothèse, le panorama régional s’est profondément transformé. Pire, il s’est dégradé. Le multilatéralisme en Méditerranée ne fonctionne que sur des initiatives concrètes, adaptées aux besoins réels des populations ou capables de rassembler les États riverains sur des enjeux devenus si complexes que seules des réponses collectives pèsent véritablement. Dans ce registre se trouvent notamment les questions du climat, de l’eau, de la sécurité alimentaire, des infrastructures, sans oublier l’emploi, notamment des jeunes. Ils sont de plus en plus nombreux à vouloir déserter les rivages méditerranéens, du Sud comme du Nord, à la recherche d’un avenir meilleur.
L’Europe, dans sa politique de voisinage en direction de la Méditerranée, va devoir faire des choix thématiques et ne plus chercher à tout traiter. Les ressources budgétaires sont limitées. Par ailleurs, certains dossiers ne peuvent être appréhendés sans tenir compte des jeux de puissance qui dépassent de loin les acteurs européens. Sur la guerre en Syrie, dans le conflit israélo-palestinien ou la gestion des instabilités au Sahel, l’Europe, et encore moins la France, ne peuvent agir isolément. Mais elles doivent prendre part à cette responsabilité collective qui consiste à trouver des solutions pour faire baisser la température au thermomètre des tensions qui traversent cette vaste région. Cela ne signifie pas pour autant un suivisme aveuglant sur les politiques américaines. L’Europe et la France, comme cela avait été fait dans la décennie 1990, ont vraisemblablement des atouts à faire valoir pour différencier leur stratégie dans la zone des autres grandes puissances et apparaître comme des partenaires crédibles aux yeux des pays nord-africains et proche-orientaux.
La France, attendue comme locomotive dans les initiatives de l’Europe en Méditerranée, serait fort inspirée de préparer ces prochains mois un agenda post-2020 pour concentrer les actions de la décennie à venir autour de quelques sujets phares. Cela passe par plus de cohésion dans les positions européennes en direction de la région et plus de synergies entre le déclamatoire et l’action. Un seul exemple de cohérence à trouver : maximiser le soutien aux pays qui réforment et qui progressent en matière de transition démocratique. Pour se refonder, l’Europe doit espérer des progrès en matière de stabilité, de croissance et de dialogue respectueux dans son voisinage méditerranéen. Emmanuel Macron doit contribuer à donner de la visibilité et des moyens à tous ceux qui, de la société civile aux institutions, en passant par les entreprises et les scientifiques, œuvrent pour une Méditerranée positive et ouverte.
L’Afrique, la troisième marche
Après la priorité européenne et la nécessité méditerranéenne, comment ne pas se projeter sur le défi africain ? C’est la troisième marche de cet escalier géopolitique que le président de la République peut gravir tout au long de ce quinquennat. En se rendant au Mali pour son premier voyage extra-communautaire, Emmanuel Macron n’a pas simplement rappelé que la France était engagée militairement dans les affaires sahélo-sahariennes pour contrer la menace djihadiste. Le message est aussi celui d’une perspective stratégique dans laquelle le prisme sécuritaire est à considérer à l’aune des enjeux de développement sur le continent. « Les Afriques » sont en ébullition : beaucoup de zones en difficulté, peu d’espaces de prospérité et de stabilité. La révolution démographique tarde dans certains pays à se mettre en œuvre. Ce sont deux milliards d’habitants qui sont attendus en 2050, soit un décuplement de la population depuis 1950 ! La croissance économique est disparate et insuffisante. Produire plus mais mieux : les pays africains, sur de nombreux secteurs - à commencer par l’agriculture -, doivent à la fois augmenter leurs rendements, veiller aux empreintes sur l’environnement et adopter les nouveaux outils numériques. Quatre révolutions simultanées à mener donc, pour proposer des trajectoires de développement propices à la sécurité, à l’emploi et à la viabilité sur le continent.
Dans une communication récente (avril 2017), l’Europe a défini les grands axes pour donner un « nouvel élan » au partenariat avec l’Afrique. Peu commenté, ce document mérite l’attention. Il est intéressant d’observer notamment l’évolution du curseur sur la question migratoire. Pour atténuer les mobilités de détresse vers l’Europe, l’approche n’est pas de barricader le Vieux-continent aux flux de migrants qui traversent la Méditerranée (quand bien même l’idée n’est pas non plus d’ouvrir toutes grandes les portes !) ; mais d’investir sur les territoires ruraux, les secteurs agricoles et halieutiques, la formation professionnelle, l’organisation des filières de production à même de créer de la valeur ajoutée sur place et donc de l’emploi… Pour renforcer la résilience sociétale en Afrique, comme en Méditerranée, l’Europe et la France seraient en effet bien mieux inspirées de miser sur ces enjeux de développement local que d’axer la coopération sécuritaire sous le seul angle militaire. Il en faut, mais cela doit se conjuguer avec des initiatives en faveur de la sécurité humaine. D’ailleurs, ce sont aussi ces éléments qui nourrissent de plus en plus les réflexions stratégiques de l’Allemagne vis-à-vis du continent africain, comme cela est actuellement exprimé dans le cadre de leur présidence du G20.
Pour se refonder, l’Europe doit penser à l’Afrique en termes de risques et d’opportunités. Ne pas nier les problématiques et les vulnérabilités, mais ne pas non plus ignorer la responsabilité de contribuer à apporter plus de stabilité et plus de perspectives d’avenir à ces populations africaines, dont le destin géopolitique ne saurait être celui de la migration forcée. D’innombrables initiatives en Afrique émergent. D’immenses progrès se réalisent. Des talents multiples s’activent pour développer le continent. Ces dynamiques positives doivent être soutenues pour cesser de regarder l’Afrique avec l’unique crainte de la voir exploser.
Par Sébastien Abis - Source de l'article IRIS
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