Avenir de l’Europe : rien ne se fera sans ambition méditerranéenne

Discours du député représentant les français de l'étranger Monsieur Pouria AMIRSHAHI le 3 octobre à l'Assemblé Nationale.

« Monsieur le Président,
Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur le Ministre aux Affaires européennes,
Mes chers collègues,
La crise de l’Europe est d’abord le résultat d’un renoncement politique, qui a vu la démocratie, les démocraties européennes, plonger dans une servitude - une servitude volontaire comme le disait La Boétie - à l’égard des marchés financiers. Comme le disait le Président de la République, cette finance-là n’a pas de visage. Mais elle reste un adversaire redoutable.
Ce n’est pas la première fois depuis 1789 que notre République prend toute sa part dans la bataille face aux puissances de quelques-uns en Europe. Et nous pouvons relever le défi d’une Europe démocratique et prospère.
Face à tous les libéraux et les conservateurs, ligués en Europe, la France, désormais, porte une autre voix. Cette voix était attendue. Non seulement par d’autres gouvernements confrontés à des asphyxies budgétaires insoutenables - je pense notamment à ceux d’Espagne, du Portugal et bien sûr de la Grèce - mais aussi par les peuples d’Europe.
Oui, au-delà des différences d’approche sur le Traité que nous lègue hélas la précédente Mandature, la stratégie européenne de la France est désormais tournée vers un nouveau modèle de Développement, une autre croissance, la solidarité contre les spéculations financières et l’intégration économique conditionnée à plus de démocratie. Oui, je suis fier de voir qu’enfin, après des années de mobilisation de citoyens dans toute l’Europe, la France a inscrit désormais à l’agenda européen la taxation sur les transactions financières ; oui, je suis fier que l’Europe se soit engagé vers la supervision bancaire, c’est-à-dire vers le contrôle de banques qui se croient tout permis au détriment du bien-être de tous et de notre santé économique ; oui, je suis fier d’un pacte dit de croissance qui renoue avec la logique vertueuse des fonds structurels, tournant ainsi le dos aux logiques destructrices de concurrence sociale et fiscale.
Bien entendu, le chemin est long. Et je veux m’adresser ici à tous ceux qui, comme moi, rejettent les logiques d’austérité, pour que nous inscrivions notre nouvelle stratégie européenne dans le temps de l’action continue. Nous avons désormais des alliés. Et les premiers effets de la réorientation du continent se font déjà sentir. Il n’’y à qu’à regarder les décisions récentes de la Banque centrale européenne en matière de rachat de la dette. Si nous tenons bon, si nous nous servons de ces premiers acquis comme des tremplins, nous pourrons inverser durablement le cycle libéral de ces dernières décennies, et dont, mesdames et messieurs de l’opposition, vous avez une lourde responsabilité.
Nos prochaines batailles sont devant nous :
- la reconquête de la souveraineté monétaire de la zone euro encore menacée par les spéculations ;
- le renforcement des coopérations renforcées pour renouer avec l’esprit des grands travaux d’infrastructures, d’équipement et en particulier dans le domaine énergétique ;
- la protection de l’Europe, de ses salariés d’aujourd’hui et de demain. Non, on ne peut indéfiniment accepter des produits venus de pays émergents qui trichent sur leur monnaie ; on ne peut plus accepter des produits qui sont fabriqués au mépris de toutes les règles écologiques ou des normes du Bureau International du Travail, en particulier en ce qui concerne le travail des enfants. Enfin, nous devrons nous engager pour faire respecter le principe de réciprocité commerciale. C’est là la grande bataille pour construire les règles d’un juste échange.
- la question démocratique, enfin, qui reste la mal aimée de la construction européenne. C’est d’ailleurs pourquoi je soutiendrai de toutes mes forces la proposition de Christophe Caresche en faveur de l’ancrage démocratique du gouvernement économique européen. Vous l’avez dit, Monsieur le Premier Ministre, vous porterez le fer sur toutes ces questions. Je vous le dit, Monsieur le Premier Ministre, nous vous apporterons un soutien sans faille dans cette nouvelle orientation.
Mais, mesdames et messieurs les parlementaires, permettez-moi, en cet instant, de vous dire à quel point notre prisme européen est déformant. Pour être clair : la sortie de crise de la France ne reposera pas sur sa seule vision européenne, mais aussi par l’affirmation d’une nouvelle grande ambition méditerranéenne.
Ou, plus exactement, la réorientation nécessaire du projet européen devra passer par une reformulation de nos rapports avec les pays méditerranéens. C’est précisément ce que le président de la République a affirmé à l’occasion de la XXème Conférence des Ambassadeurs, en nous engageant vers une « Méditerranée de projets ». Après la crise financière, les suites des transitions au Maghreb constituent le principal défi pour l’Union européenne. Et je suis convaincu que le gouvernement de Jean-Marc Ayrault saura faire entendre la voix de la France pour que l’ambition méditerranéenne de l’Europe se concrétise.
Cette vision est indispensable : des deux côtés, nos pays vivent des basculements dont les conséquences seront déterminantes. Des deux côtés, nous assistons à des montées des nationalismes ou à des replis identitaires, tous deux parfois violents et sectaires. Mais en même temps, jamais nos sociétés n’ont eu autant de possibilité de construire, par des partenariats économiques, industriels et culturels, un nouveau modèle de développement tourné vers la démocratie et la prospérité.
Ce qui se joue de l’autre côté de la Mer, dans une Histoire immédiate dont personne ne connait encore l’issue, ce n’est pas seulement le destin des sociétés civiles en mouvement, c’est aussi l’avenir des Européens. Les changements en Méditerranée sont aussi porteurs de solutions pour l’Union. Si nous voulons aider nos amis du Sud, qui se battent sur le terrain pour faire émerger la Démocratie, alors, plutôt que de donner le sentiment de savoir mieux que les autres, mettons sur la table des perspectives nouvelles et surtout concrètes de partenariat.
Il nous faut sans plus tarder nouer un solide partenariat avec le Maghreb au service d’une meilleure complémentarité économique entre les deux rives de la Méditerranée.
Les opportunités sont nombreuses. Déjà, environ deux tiers des échanges commerciaux des pays du Maghreb se font avec l’Union européenne. La France y est le premier fournisseur et investisseur. Prenons cependant garde à ne pas ne pas nous reposer sur nos acquis. La situation n’est pas figée ! Il faut que nous sortions de notre torpeur car d’autres occuperont l’espace. Sur le pourtour méditerranéen, l’Union fait face à la concurrence de pays qui ne voient dans notre Méditerranée commune, celle qui a brassé tant de nos cultures, qu’un marché de consommateurs.
Réfléchissons à une organisation intelligente de la production, et ce aux bénéfices des travailleurs des deux rives. Finissons-en avec la concurrence exacerbée et destructrice et mettons en œuvre avec les entreprises des stratégies de multi-localisations. Je me réjouis d’ailleurs que Madame la Ministre Nicole Bricq a récemment défendu cette position lors de nos récents déplacements en Algérie et au Maroc.
Cette nouvelle ambition méditerranéenne doit aussi se traduire par une autre approche de la mobilité des personnes. Il faut en particulier permettre aux chefs d’entreprises, aux étudiants, aux scientifiques, aux chercheurs, aux artistes d’effectuer des allers et retours dans le cadre de projets professionnels, éducatifs ou culturels, en particulier francophones.
Autrement dit, il s’agit de ne plus recommencer les deux écueils que nous avons si souvent rencontrés : d’un côté, la fermeture sèche des frontières et de l’autre le pillage des cerveaux. Bref, tandis que nous tenons la barre d’une autre politique européenne, adressons aussi des signes concrets à nos amis de Tunisie, d’Algérie et du Maroc. Comprenons enfin qu’au-delà de la diplomatie, les ponts que nous saurons construire entre les sociétés civiles elles-mêmes seront les meilleures garanties d’un développement partagé.
Je veux terminer mon intervention par un hommage appuyé à nos amis Tunisiens, au peuple tunisien. Avec fracas et panache, ce dernier a amorcé le retour de peuples méditerranéens sur la scène de l’histoire immédiate. Le premier, il a renversé un des régimes autocratiques et kleptocrates qui ont trop longtemps caractérisé la rive Sud de la Méditerranée. Que nos voisins et amis du Sud soient rassurés. Désormais, la France tourne le dos au paternalisme, voire à la complicité, pour s’engager dans une vraie culture de partenariats ! De cette nouvelle ambition méditerranéenne aussi, notre Europe à beaucoup à gagner. »

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