Interview
- L'écrivain-diplomate Daniel Rondeau, ex-ambassadeur à Malte, qui représente
actuellement la France auprès de l'Unesco, analyse la tenue, vendredi et samedi
à La Valette, du sommet 5+5 auquel participe François Hollande.
LE FIGARO - Ce «format» réunissant cinq pays de l'UE
(France, Italie, Espagne, Portugal, Malte et cinq du Maghreb (Tunisie, Libye,
Algérie Maroc, Mauritanie) est-il, selon vous, le plus approprié pour relancer
le dialogue euro-méditerranéen?
DANIEL RONDEAU - François Hollande a raison de se rendre à ce sommet
5+5. Le dialogue euro-méditerranéen a été mis en veilleuse par les évènements
récents. Il est urgent de renouer des fils et de tout remettre à plat avec les
nouveaux dirigeants, je pense à la Tunisie et à la Libye.Ce sommet a lieu à
Malte, d'une certaine façon un endroit idéal pour ce genre de rencontre parce
que, comme disait Fernand Braudel, cette île est à la fois un morceau d'Afrique
et une terre européenne. Les Maltais ont depuis longtemps inventé un principe,
qu'aimait rappeler l'ancien président maltais Guido de Marco: «Pas de sécurité
en Europe sans sécurité en Méditerranée.» Ce principe est plus que jamais à
l'ordre du jour.
Bien
sûr, ce sommet est d'une certaine façon une rencontre de nations pour la
plupart convalescentes, qui cherchent encore un chemin, soit pour la liberté de
leur peuple, soit pour sortir de la crise économique. Mais je trouve assez
rassurant que tous ces pays, engagés, comme l'Espagne ou la Tunisie par exemple,
dans de terribles efforts quotidiens pour gagner la bataille de leur
métamorphose économique ou démocratique, continuent d'avoir le souci de
préparer l'avenir ensemble.
Tous
les formats qui permettent de continuer le dialogue me paraissent évidemment appropriés.
Le format 5+5 a fait
ses preuves, dans de nombreux domaines, depuis longtemps (1990).
N'a-t-on tout de même pas été contraint
de «réduire la voilure» après l'échec de l'Union pour la Méditerranée?
Naturellement
l'on est loin du projet de Nicolas Sarkozy. L'UPM correspondait à une ambition
majeure. N'oublions pas que l'Histoire a donné à notre pays une expérience de
la Méditerranée assez unique. Ce projet a d'abord été victime des divisions et
des impuissances de l'Europe, puis a été paralysé par les révolutions arabes.
Il est évident, hélas, que tant que nous n'aurons pas réussi à créer
véritablement une Europe puissance, avec les quelques nations européennes qui
pourraient partager nos ambitions, nous ne pourrons pas nous tourner généreusement
vers la Méditerranée.
Aujourd'hui
l'Europe, je veux dire la bureaucratie européenne, dévore ses propres enfants
avec leurs projets. Il faut construire sur les bases existantes une nouvelle
Europe qui donnera aux Européens la place qu'il leur revient dans le monde.
Nous n'avons pas le choix. Le traité européen, dans ces conditions, est
bienvenu. Ensuite viendra, peut être, la construction d'un véritable ensemble
euro-méditerranéen. Pour l'instant, nous n'en sommes pas là. Mais on a le droit
(ou le devoir) de rêver. Hier, la Méditerranée a enfanté l'Europe et sa
civilisation chatoyante a irradié le monde entier. Demain, l'Euro-Méditerranée
peut représenter une force politique, économique, intellectuelle, culturelle,
unique au monde.
Le
pari de l'UPM était de nouer des projets concrets pour enclencher à terme des
rapprochements politiques. Croyez-vous à cette démarche? Le problème central du
conflit israélo-palestinien peut-il être soluble dans le dialogue
euro-méditerranéen ?
L'Histoire
est toujours surprenante. Les peuples se rapprochent parce qu'ils sont guidés
par leurs dirigeants vers un idéal de réconciliation, mais aussi tout
simplement par esprit pratique. Les projets concrets restent souvent les plus
mobilisateurs. Quand j'avais organisé à l'Unesco en mai dernier, avec Catherine
Bréchignac et l'Académie des Sciences, des rencontres entre chercheurs
israéliens et palestiniens de haut niveau, il était apparu évident que tous ces
gens séparés par des murs avaient réellement besoin de travailler ensemble pour
changer la vie quotidienne de leurs contemporains. Et ils le faisaient.
Problèmes de l'eau, questions sismiques, prévention des tsunamis, etc… Ces
petites portes pour la paix peuvent s'ouvrir tout à coup sur des rapprochements
politiques plus vastes. En tout cas, la Méditerranée ne manque pas de projets
concrets. Beaucoup ont été initiés par les réunions 5+5.
Dans
quels domaines ?
Je
pense en premier lieu à la sécurité et à la défense. La prolifération des
trafics illicites (et notamment les trafics d'armes), la montée en puissance du
terrorisme fondamentaliste nous menacent directement. Les réunions 5+5
permettent d'envisager des ripostes collectives et méditerranéennes dans tous
les secteurs, y compris celui du contrôle de l'immigration et de l'éducation,
secteur fondamental dans les pays arabes en voie de démocratisation. Le combat
engagé est un combat contre la haine et l'ignorance. L'éducation, les échanges
entre étudiants et professeurs dans l'espace 5+5, à l'image de ce qui se fait
dans l'espace Schengen, des accords interuniversitaires, la préservation des
sites historiques menacés, le redémarrage du tourisme (certains avaient même
envisagé un label de qualité 5+5), mais aussi des plans de santé, tout cela
relève de ce type de rencontres. Il y a urgence à travailler tous ensemble des
deux cotés de la Mer. Les rencontres 5+5 sont pour nous tous un outil qui est
peut-être imparfait, il n'est pas le seul, mais il se décline dans des secteurs
essentiels, et il a le mérite d'exister. Le format est simple, souple, et ça
marche quand le reste a tendance à patiner. Utilisons au mieux cet espace de
concertation.
Par
Alain Barluet
Source
de l’article LeFigaro
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