Comment coproduire l’industrialisation de l’Afrique du Nord

Résultat de recherche d'images pour "IPEMED+Comment coproduire l’industrialisation de l’Afrique du Nord"Initiateur des petits-déjeuners de la Méditerranée et de l’Afrique, relancés mardi 4 octobre sur le thème de la coproduction euroméditerranéenne, en partenariat avec Bpifrance et La Tribune, Jean-Louis Guigou revient ici sur la formidable complémentarité des deux rives de la Méditerranée. 

Il plaide pour un partage de la chaîne de valeur, en la recentrant sur les circuits courts de l’échelle régionale (avec la contribution de Thibault Fabre, acien chargé de mission Entreprises et International à l’Ipemed).

Trois tendances lourdes permettent de retenir cette hypothèse comme réaliste, et même en cours de réalisation.

Au Nord, dans les pays de l'OCDE, on observe, depuis la crise de 2008, une profonde transformation des échanges internationaux qui donne toutes ses chances au développement industriel de la rive sud. C'est le retour de l'importance de la proximité géographique. Pour des raisons de coût, de transport, d'insécurité et de contrôle de la qualité des produits intermédiaires, les entreprises reviennent sur la segmentation et la fragmentation tout azimut des chaînes de valeur. Elles privilégient la régionalisation à la mondialisation. Elles privilégient le compactage des chaînes de valeur à leur éclatement : « le commerce extérieur est de plus en plus tourné vers les partenaires les plus proches ».


À cela s'ajoute le découplage de l'économie avec, pour les entreprises, un pied dans un pays mature, souvent vieillissant mais technologiquement avancé (USA, Europe, Japon, Chine) et un pied dans les pays émergeants les plus proches (Mexique et Colombie pour les Etats-Unis, la Turquie et les Pays d'Europe Centrale et Orientale (PECO) pour l'Allemagne, les pays du sud-est asiatique pour la Chine...), riches en matières premières, en main d'œuvre qualifiée et en énergie. Voilà pourquoi l'Europe, vieillissante, saturée et évoluant inexorablement vers la tertiarisation de son économie, à tout intérêt à coproduire avec son Sud. Le capital a déjà anticipé cette évolution.

La montée en gamme industrielle des pays non exportateurs de pétrole

Au Sud, dans les Pays du Sud et de l'Est de la Méditerranée (PSEM), la transition industrielle s'opère à grande vitesse. Dans les exportations du Maroc, de Tunisie, d'Égypte, du Liban, de Turquie et de Jordanie, les produits manufacturés, machineries et équipements de transport progressent alors que les vêtements, les textiles et les produits agricoles régressent. Ainsi, les exportations de produits manufacturiers représentent plus de 30% du total en Égypte et au Maroc et près de 40% en Tunisie. La même évolution a eu lieu en Jordanie, au Liban et en Turquie où les produits manufacturiers représentent 40%, voire plus, des exportations.

On observe également la montée progressive des industries à plus forte valeur ajoutée (chimie/pharmacie/électronique, etc.) même si leur contribution aux exportations reste modeste (environ 5% pour le Maroc et l'Egypte et 10% pour la Tunisie). Ces pays ont entamé la substitution de la production intérieure aux importations et deviennent même exportateurs. Cette montée en gamme de l'économie des PSEM s'est souvent appuyée sur des partenariats de coproduction avec les pays européens, à l'image du développement des filières automobiles et aéronautiques en Tunisie et au Maroc.

Nature des exportations depuis 1980 et parts des exportations par type de produit


À l'inverse, les pays producteurs de pétrole que sont l'Algérie et la Libye, sans oublier l'Arabie Saoudite, n'ont pas connu de poussée industrielle ; les exportations d'hydrocarbure représentant entre 80% et 98% du total. Mis en difficulté par la baisse du cours du pétrole et confrontés à la nécessité de créer des emplois, ces pays ont pris conscience de la nécessité de diversifier leur économie en passant, notamment, par un développement de leur activité industrielle.



L'évolution du modèle chinois favorisera l'Afrique

À cela s'ajoute, la transformation du modèle chinois qui privilégie désormais la consommation intérieure, favorisée par la hausse des revenus des classes moyennes, sur les exportations industrielles de masse à bas coût. Cette évolution conduit inévitablement à des délocalisations massives d'activités du fait de la hausse des coûts de production. Ce mouvement de délocalisation, voire de relocalisation, devrait concerner près de 85 millions d'emplois manufacturiers, selon la Banque Mondiale, qui considère que l'Afrique devrait capter une grande partie de ces emplois.

Proche géographiquement et culturellement de l'Europe, le Nord de l'Afrique pourrait alors bénéficier de l'évolution du modèle chinois et ainsi favoriser la création d'une vaste zone industrielle à la porte du grand marché commun européen. Autant de raisons qui expliquent la présence de la Chine en Méditerranée.

Un projet historique liant énergie et industrialisation

Jouissant d'une position géographique de carrefour entre l'Europe et l'Afrique, disposant d'une main-d'œuvre jeune, qualifiée et enthousiaste et possédant des avantages comparatifs en terme d'énergies conventionnelles et renouvelables, les PSEM, et en particulier les pays du Nord de l'Afrique, devraient connaître un fort développement de leurs activités industrielles. En s'associant avec les pays européens et en développant des opérations de coproduction entre entreprises des deux rives, le Sud de la Méditerranée pourrait accélérer cette montée en gamme et ainsi devenir la « Ruhr de l'Europe ».

Au même titre que la France et l'Allemagne se sont retrouvées, dans les années 1950, sur un projet industriel de grande envergure mettant en commun leur énergie avec la CECA, les pays du Nord et du Sud de la Méditerranée pourraient se retrouver sur un projet historique liant l'énergie et l'industrialisation et ainsi offrir des emplois, une vision et une ambition pour les jeunes des deux rives.

Par Jean-Louis Guigou et Thibault Fabre - Source de l'article La Tribune

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