Pour penser la Méditerranée comme un espace commun, il faut de l'audace, une révolution copernicienne politique et la capacité d'avancer par petits pas.
A l'heure où elle devient une source d'inquiétudes et de peurs, il faut avoir le courage de regarder ce défi comme une source d'opportunités pour le Nord comme pour le Sud et non comme une menace. La Méditerranée constitue un prolongement naturel pour la France comme l'Europe de l'Est pour l'Allemagne.
L'Union pour la Méditerranée (UpM) doit rester le cadre institutionnel général, l'aire de référence. D'ailleurs, l'UpM elle-même préconise une approche à géométrie variable pour être plus opérationnelle et pragmatique dans sa démarche plutôt que d'avoir une vision trop étendue au risque de s'étioler. Ainsi, concentrons-nous à très court terme sur la partie occidentale de la Méditerranée dans le cadre d'une coopération régionale renforcée.
La COP22, qui se tiendra cette année à Marrakech, pourrait être le moment opportun pour le lancement de la Communauté euro-méditerranéenne pour la transition énergétique (CEMTER). Cette structure pourrait être composée, dans un premier temps, de l'Espagne, de la France et de l'Italie pour le Nord, de l'Algérie, du Maroc et de la Tunisie pour le Sud sans exclure tous les pays qui voudraient intégrer ce noyau dur. Une organisation Nord-Sud en format restreint dans un ensemble géopolitique et géographique cohérent.
L'Europe ne s'est jamais pensée avec un élargissement vers le Sud. La politique européenne de voisinage Sud ne peut se satisfaire d'être uniquement cette zone tampon entre l'Afrique et nous.
On constate un foisonnement d'initiatives, d'organisations et de structures (forums et associations en tous genres, rencontres, clubs etc.), les collectivités locales se mobilisent, mais un projet structurant multiplierait les synergies.
En s'appuyant sur ces structures existantes dans une logique de mutualisation des expériences acquises, le grand chantier auquel pourrait s'atteler la CEMTER serait avant tout la réalisation d'un partenariat économique et scientifique puissant autour d'un projet commun comme a pu l'être la CECA pour l'Union européenne: une union énergétique, celle du 21ème siècle. Pour que les Etats du Sud acceptent de travailler ensemble, il faut un intérêt important, tangible et mobilisateur.
Le parallèle avec la CECA est parlant. Un projet commun sur l'énergie avait été la première étape vers un projet européen plus global et plus politique. L'énergie est en effet le domaine par excellence pour concilier stratégie économique et vision d'avenir. En se concentrant sur les énergies renouvelables, ce projet illustrerait le chemin parcouru en quelques années dans le sens de la transition énergétique et le fait que les pays des deux rives de la Méditerranée ont la même légitimité et la même détermination à la mener. Il donnerait aux conclusions de la COP22 une visibilité concrète.
Cet espace pourrait devenir le premier espace de recherche et de production d'énergie renouvelable dans le monde avec une exploitation et une distribution coréalisée entre les pays du Nord et ceux du Sud. Pour les débouchés de distribution, nous pourrons compter autant sur l'Europe que sur l'Afrique. La CEMTER s'inscrirait ainsi dans la construction positive du monde de demain en mutualisant les moyens et les investissements massifs sur les énergies solaires dans un premier temps, puis évidemment éolienne (terre et mer), mais encore hydraulique avec les énergies marines, la biomasse et la géothermie...
Selon le dernier rapport de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (Irena), la baisse des coûts de l’énergie solaire photovoltaïque (PV) ouvre de vastes horizons énergétiques en Afrique. Aujourd’hui 700 millions d’Africains n’ont pas d’accès à l’énergie. L’Afrique passera de 1,2 à 2,2 milliards d’habitants d’ici 30 ans. Chaque année, c’est plus de 10 millions d’Africains en plus qui n’ont pas d’accès à l’énergie. Récemment, 54 Chefs d’Etat et de Gouvernement africains ont décidé unanimement la création d’un Fonds spécial doté de 3 milliards d’euros par an dans le cadre d’un nouveau partenariat avec l’Europe.
De multiples exemples d'axes de travail concrets pourront être imaginés par ailleurs. L'idée dans un premier temps, est de capitaliser sur l'immensité saharienne pour exploiter cette ressource inépuisable qu'est le soleil. En imaginant une exploitation de seulement 10% de la surface de ce territoire, combien de millions d'individus pourront être éclairés de manière propre demain?
Aujourd'hui, le bilan de 50 années de non-Méditerranée est sous nos yeux: immigration clandestine dramatique (plusieurs milliers de jeunes morts engloutis par la mer), conflits larvés depuis 40 ans, terrorisme qui frappe partout et, aujourd'hui, un État au bord de la sécession qu'est devenue la Libye. Si nous ne faisons rien, demain, nous vivrons dans une zone qui n'aurait d'autres choix que de se militariser à outrance pour se "protéger". Une zone d'où les pires menaces sont à craindre. Alors qu'elle peut encore devenir une zone d'opportunités et de culture commune avec une porte ouverte sur l'Afrique.
Le processus peut être lancé rapidement si la volonté politique rejoint la nécessité que ressentent aujourd'hui nos concitoyens de former une communauté unie autour de projets positifs partagés. Des millions de femmes et d'hommes, des liens historiques, des attaches familiales, professionnelles et culturelles, une jeunesse pleine d'énergie, représentent des atouts essentiels pour réussir ce beau défi.
Ce grand dessein, au-delà de l'espoir qu'il suscitera, est aussi et surtout un enjeu de réalisme géopolitique, d'intérêt économique, social et écologique, de stabilité, en un mot: c'est un véritable projet de civilisation.
Voir les premiers signataires ici.
Par M'Jid El Guerrab (Président du think tank Med Spring) - Source de l'article Huffpostmaghreb
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