Kader Abderrahim : « Tant que les Européens n’auront pas stabilisé
la Libye, ce sera comme jeter de l’eau sur le sable » -
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Combien de déboutés du droit d'asile les Européens voudraient-ils renvoyer en Tunisie ?
Tout le monde triche avec les chiffres. Les Européens ont intérêt à gonfler le nombre de personnes à renvoyer, les Tunisiens à le minorer. Sur les deux mois de décembre et de janvier, on a parlé de 1.500 personnes. On voit bien que ce ne sont pas des millions. Parmi les pays à vouloir renvoyer des déboutés du droit d'asile, ce sont surtout la France et l'Allemagne. L'Italie a accru les contrôles et se retrouve désormais moins en première ligne. Des accords de réadmission ont bien été signés avec l'Italie et avec la France. Mais c'était dans les années 1970. Il faut donc les renégocier, les paradigmes économiques et politiques ont, il est vrai, complètement changé.
Pourquoi la Tunisie comme les autres pays du Maghreb se montrent-ils si réticents ?
Tout le monde a peur de l'instabilité. La situation en Tunisie reste précaire, les touristes sont partis, l'économie est sous perfusion, le marché du travail est dégradé, ce qui favorise une émigration conséquente. Dans le sens inverse, on comprend facilement pourquoi le pays ne peut accepter le retour ni ne souhaite ériger sur son sol des centres d'accueil. La population ne le comprendrait pas, car cela reviendrait à imposer à des Tunisiens une restriction de leur droit de circulation. Et puis nul ne sait qui financera. Tant que les Européens n'auront pas stabilisé la Libye, toute initiative sera mal adaptée. Ce sera comme jeter de l'eau sur le sable. Il faut à un moment traiter les causes en premier et non pas les conséquences. Or la frontière avec la Libye demeure à ce jour perméable et la menace terroriste très présente. Pour le Premier ministre tunisien, le sujet du retour des migrants est tout simplement explosif. Car il ne peut pas lutter en interne. Il n'a ni les solutions économiques ni la capacité de rendre la frontière étanche avec la Libye.
Est-ce que l'opinion publique ne constitue pas aussi un frein au retour des migrants ?
Effectivement, le retour des déboutés du droit d'asile n'est pas vu d'un bon oeil. Déjà, parce que ceux qui reviennent se retrouvent à leur point de départ, alors qu'ils étaient partis chercher une meilleure situation. Et ensuite parce qu'une fois rentrés, ils n'envoient plus d'argent aux familles et ne les aident par conséquent plus du tout.
Par Michel de Grandi - Source de l'article Les Echos
(*) Kader Abderrahim auteur de « Daech, histoire, enjeux et pratiques de l'Organisation de l'Etat Islamique », Editions Eyrolles, octobre 2016.
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