D’après des informations rapportées mardi dernier par l’agence de presse Reuters qui s’appuie sur des sources américaines et égyptiennes, Moscou aurait déployé des forces spéciales à Sidi Barrani et Marsa Matrouh, à l’ouest de l'Égypte, non loin de la frontière libyenne.
Une information démentie par le ministre de la Défense russe, mais que les politologues jugent probable dans la mesure où Moscou tente de s’impliquer toujours plus dans le dossier libyen. Le ministre des Affaires étrangères russes, Sergueï Lavrov, a notamment reçu, au début du mois de mars, le premier ministre libyen Fayez Al-Sarraj qui peine à faire reconnaître l'autorité de son gouvernement d’union nationale (GNA) basé à Tripoli.
Appui au général Haftar
Moscou semblait ces derniers temps privilégier ses rapports avec le général Khalifa Haftar, prôche de l'autre pouvoir à Tobrouk. Le nouvel "homme fort" de la Libye, qui dénie toute légitimité au GNA, est aujourd'hui à la tête de l'Armée nationale libyenne (ALN) et mène son propre combat contre l'extrémisme islamiste dans sa région natale du Cyrénaïque (nord). Les opérations militaires de son armée à l’est de la Libye, l’ont rendu maître de la région stratégique du "croissant pétrolier". “Il est possible que les forces déployées par Moscou aient été mobilisées pour mettre en place un point d’entrée pour des armes livrées par la Russie à Haftar à partir de l’Égypte”, explique le directeur-adjoint de l’Observatoire franco-russe à Moscou, Igor Delanoë. Il s’agirait d’“appuyer les opérations du général contre les brigades de Benghazi [milices extrémistes djihadistes] qui étaient parvenues à prendre le contrôle de terminaux pétroliers”. Le 14 mars dernier, les forces du général ont finalement repris les deux ports de Ras Lanouf et Sidra (nord).
La Russie soutiendrait toutefois déjà le général Haftar sur le sol libyen. Depuis plusieurs mois, des instructeurs russes sont responsables de la formation de ses forces et de l’entretien du matériel de l’armée à Tobrouk. Le déploiement de forces en Égypte servirait donc un nouvel objectif selon Igor Delanoë: “envoyer un signal aux différents acteurs concernés par le dossier libyen afin de leur signifier que la Russie est prête à, s’il le faut, muscler son dispositif dans la région à partir de l’Égypte. Mais je ne vois pas, aujourd’hui, la Russie se lancer dans une opération en Libye de l’envergure de ce qu’elle réalise en Syrie. Elle courrait le risque de se mettre en difficulté sur le champ de bataille syrien”, précise le spécialiste. Le porte parole du Kremlin, Dimitri Peskov, a déclaré qu'une intervention excessive de la Russie serait "improbable et inopportune".
Discussions ouvertes
Si le rapprochement de Moscou avec le général Haftar peut, à priori, apparaître comme une initiative à contre-courant de celle des Nations-Unies qui soutiennent le gouvernement d’union nationale de Fayez al-Sarraj, les discussions sont plus ouvertes qu’il n’y paraît. “L’insertion de la Russie sur le dossier libyen est une donnée nouvelle pour les Européens et les Américains, mais ces derniers appuient aussi discrètement Haftar. Ceci met en lumière les convergences qui peuvent exister entre la Russie, les États-Unis et l’UE sur la lutte contre le terrorisme en Libye”, commente toujours Igor Delanoë.
Le parti pris de Moscou pour le général Haftar ne serait pas non plus immuable et tranché. Le porte-parole du Kremlin a déclaré que le Russie était intéressée à ce que la Libye ait un pouvoir fort et énergique, mais aussi qu'elle avait des contacts avec tous les parties nécessaires. La Russie chercherait donc, avant tout, à se poser comme un médiateur de poids et à dialoguer avec l'ensemble des parties au conflit. "Le Kremlin suit attentivement le rapport de forces sur le terrain et agit en conséquence. Il est certain, cependant, que le profil du général plaît à Moscou : un profil de militaire passé à la politique – comme Al Sissi –, d’apparence loyale donc contrôlable, d’autant qu’il a effectué une partie de sa formation militaire en Union soviétique”, commente Julien Nocetti, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI). C'est donc sur la question du règlement politique du conflit que pourraient, comme en Syrie, éclater au grand jour les divergences d’intérêts entre la Russie et les Occidentaux.
S'affirmer toujours et encore sur la scène internationale
Le soutien militaire russe au général Haftar est aussi un pari sur l'avenir. Si les Occidentaux voient d'un mauvais œil l’influence croissante de la Russie en Libye, Moscou pourrait une nouvelle fois sortir grandi de son rôle de médiateur incontournable. "Il s’agit d’un dossier de première importance pour les Européens à cause de la question des migrants et du potentiel terroriste qui existe sur place. La Russie cherche donc à acquérir une carte à utiliser dans son rapport avec les Européens qui sont, à ce stade, des spectateurs du dossier syrien mais acteurs de la crise libyenne", souligne Igor Delanoë. Une analyse partagée par Julien Nocetti qui voit dans le "retour de la Russie en Libye une sorte de pied de nez aux Occidentaux qui, selon Moscou, ont répandu le chaos dans le pays en renversant Kadhafi".
Un pari sur l'avenir qui a aussi son versant économique. La Russie compte bien conclure des contrats pour ses industriels dans le cadre de la reconstruction à venir du pays. D'autant que Moscou peut se prévaloir d'une relation économique ancienne avec la Libye, et particulièrement importante sous le régime de Mouammar Kadhafi avec lequel elle a conclu des contrats d'armement et de projets d'infrastructures estimés à plusieurs milliards de dollars. Des investissements balayés par l'intervention de l'Otan en 2011, ce que n'aura sans doute pas oublié Moscou alors que cette dernière replace ses pions en Libye et en Égypte, et même, sur le long terme, dans l'ensemble de l'Afrique où elle était également très présente avant l'effondrement de l'URSS.
Par Aglaé Watrin-HerpinSource de l'article La Libre Belgique
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