Au Liban, le grand gâchis de l’eau

Potentiel. Le pays regorge de ressources hydriques, sans pour autant parvenir à satisfaire ses besoins.


Pourtant béni des dieux en matière de ressources hydriques, le Liban ne parvient toujours pas à satisfaire les besoins en eau de sa population. Son climat tempéré, ses montagnes enneigées en hiver, ses 2 000 sources et ses 40 cours d’eau, qui lui ont valu le surnom de “château d’eau du Moyen-Orient”, devraient pourtant suffire à alimenter la consommation, l’irrigation et l’industrie. Mais ce potentiel hydrique reste inexploité et les ressources en eau du pays ne sont utilisées qu’à 10 %, avec un taux de perte qui avoisine les 40 %.

Immersion des déchets solides, manque d’installations de stockage des eaux en surface et réseaux d’adduction déficients : les contraintes affectant les ressources hydriques sont nombreuses. “Et la situation devrait même empirer dans les années à venir”, prévient Fadi Georges Comair, président honoraire du Réseau méditerranéen des organismes de bassin (Remob). “La balance hydrologique du pays (écart entre les besoins et les ressources renouvelables) pourrait atteindre 1,7 milliard de mètres cubes par an à l’horizon 2040, contre 300 millions aujourd’hui, si une gestion intégrée des ressources et des investissements n’est pas mise en œuvre.”

Par ailleurs, selon Fadi Comair, aux difficultés structurelles du secteur vient s’ajouter le réchauffement climatique, qui affecte directement la disponibilité et l’utilisation de l’eau et l’énergie. “Les conséquences les plus graves pour le Liban concerneront l’approvisionnement en eau, qui dépend principalement de la fonte des neiges.”Sur les 2,7 millions disponibles par an, 1,2 million de mètres cubes d’eau sont rejetés dans la Méditerranée sans avoir été utilisés, indique Fadi Comair, et sur les 1,5 million de mètres cubes consommés 70 à 80 % le sont par le secteur agricole.

Pour faire face à ces problèmes, le gouvernement a mis en place une stratégie décennale comportant cinq objectifs. “Le premier est d’assurer des ressources additionnelles en eau, explique Fadi Comair, en améliorant les infrastructures de stockage et de recharge de la nappe phréatique. Il s’agit ensuite d’accroître l’efficacité des réseaux d’eau potable et la desserte des régions en réduisant les fuites, qui constituent 50 % des pertes, d’assurer la sécurité alimentaire des Libanais par l’extension de périmètres agricoles et de mettre en place des projets d’irrigation et d’alignement des rivières.”Selon Sélim Catafago, expert en matière de ressources hydriques, on est en train de mettre la charrue avant les bœufs. Pour la construction des 18 barrages prévus par le plan se pose la question de la faisabilité économique et technique. 

“En effet, dans certaines régions, la nature du sol exclut toute construction”,
 explique-t-il. Wajdi Najem, directeur du Centre régional de l’eau et de l’environnement (Creen), est encore plus pessimiste.“Depuis quarante ans, il n’y a pas eu de réelle mise en œuvre d’infrastructures. Depuis les années 1970, on parle d’acheminer l’eau du Litani à Beyrouth. Il s’agit d’un projet qui, comme tous les autres, demeure malheureusement en suspens”, déplore-t-il.Wajdi Najem considère que la mauvaise gestion de l’eau est un frein économique majeur, mais surtout social. Selon lui, il serait possible de satisfaire les besoins en eau de la population en quinze ans si un projet de développement était mis en place.

“Le pays ne peut pas vivre éternellement sur ses citernes. C’est l’ensemble de l’économie libanaise qui est directement affecté par la mauvaise gestion des ressources hydriques. Un touriste consomme en moyenne 500 litres d’eau par jour, comment le Liban va-t-il attirer des visiteurs sans un réseau d’eau potable adéquat ? Cela aura des conséquences néfastes sur la capacité de développement touristique du pays.”Ce n’est pas normal qu’une ville comme Beyrouth, entourée de fleuves et longée par le littoral, ne soit pas capable de satisfaire les besoins en eau de sa population. “On ne peut pas laisser partir une eau si convoitée. C’est une question de survie”, conclut le spécialiste. Alors que l’accès à l’eau a été officiellement reconnu par l’ONU comme un droit humain, il est plus qu’urgent que le Liban utilise rationnellement cette ressource, au risque de se heurter à une guerre pour l’or bleu.

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