Pour
les acteurs économiques tunisiens, la révolution a créé de nombreuses attentes
qui tardent à être satisfaites. Principal frein, la situation politique qui ne
permet pas d'établir un cadre stable pour attirer les investisseurs.
Au
moment où les autorités en Tunisie s'apprêtent à célébrer le deuxième
anniversaire de la Révolution de jasmin, marquée par le départ précipité le 14
janvier du président Ben Ali, l'heure est aussi venue de faire un bilan. Sur le
plan économique, il est en demi-teinte.
Si
la croissance a réussi à progresser de 3,5 % - les prévisions pour 2013 tablent
sur un taux de 4,5 % - et si le pays a obtenu en novembre dernier le statut de
partenaire privilégié avec l'Union européenne, le moral des entreprises n'en est
pas moins en berne.
"Pas d'amélioration de l'économie
avant cinq ans"
Riche
d'enseignements, le Baromètre publié fin 2012 par Ernst&Young Tunisie
révèle une détérioration par rapport à l'état d'esprit des mêmes chefs
d'entreprises interrogés en mai 2011, quelques mois après la révolution. Pour
80% d'entre eux la situation économique est mauvaise, et plus de la moitié
pense qu'elle va continuer à se détériorer en 2013. « L'espoir soulevé par la
Révolution était formidable, à l'époque les entrepreneurs s'attendaient à un
retour à la normale dans les deux ans, explique Boutheina Guidara, senior
manager chez Ernst&Young. Aujourd'hui, ils ne voient pas d'amélioration
avant cinq ans. »
Ils
mettent notamment en cause la situation politique. Deux ans après la
révolution, et plus d'un an après l'élection d'une assemblée constituante, le
texte fondamental n'a pas été adopté, le calendrier est flou, tout comme la
date des prochaines élections. « La situation politique ne suscitait pas
d'appréhension en 2011, maintenant : oui », poursuit Boutheina Guidara. En
2012, 75% des entrepreneurs interrogés estiment qu'elle aura un impact sur la
situation économique, et la placent même dans leurs priorités avant la
situation sociale (57%).
Fin des prébendes
La
chute de l'ancien régime et l'avènement d'un Etat de droit ont évidemment
entraîné la fin des prébendes dont jouissaient les proches du pouvoir dans des
secteurs clés de l'économie, davantage de transparence et une meilleure
gouvernance, reconnaissent des acteurs clés de l'économie. Pour Leila
Belkhiria-Jaber, vice-présidente de la Chambre nationale des femmes chefs
d'entreprise de l'organisation patronale, « les familles Ben Ali et Trabelsi
monopolisaient des secteurs lucratifs de l'économie, si on n'appartenait pas à
leurs réseaux on ne pouvait y investir. Rien n'était pas clair, la corruption
était importante. »
Pourtant,
elle reconnaît aussi que la transition de régime pèse lourdement sur
l'activité, notamment sous la forme de conflits sociaux et d'un climat d'insécurité,
qui s'ajoutent au développement de marchés parallèles. « L'octroi d'assurance
crédit est plus difficile pour les fournisseurs étrangers, les turbulences
freinent les investissements locaux, il y a une forte demande d'adoption d'un
cadre juridique clair et dont l'exécution soit respectée », explique Leila
Belkhiria-Jaber.
Un code d'investissement bientôt adopté
Un
code de l'investissement qui simplifie les procédures, ouvre certains secteurs
et comporte des incitations fiscales devrait être adopté d'ici deux à trois
mois, espère Noureddine Zekri, directeur général de l'Agence de promotion de
l'Investissement extérieur. Il se réjouit du maintien des investissements
étrangers, 2012 devrait dépasser 2011 de plus de la moitié et même être
légèrement supérieur à 2010, avant la révolution, « mais l'adoption d'une
nouvelle législation pour les partenariats public-privés constitue aussi une
importante attente», précise-t-il.
Des régions oubliées
En
jeu, les investissements dans les régions défavorisées, un des moteurs du
mécontentement qui a déclenché la "Révolution de jasmin". La plupart
affichent des taux de chômage allant de 20% (Siliana) à 50% (Tataouine).
L'année 2012 a
été émaillée de conflits parfois violents dans ces régions en attente de
développement où les entreprises ne s'implantent pas. « Les investissements
étrangers dans ces régions seront motivés par des raisons de compétitivité et
non pas par des bons sentiments, juge Nouredine Zekri. Cela nécessite de
construire des infrastructures pour améliorer l'attractivité de ces zones, si
les investisseurs peuvent produire et exporter avec une logistique
satisfaisante, ils viendront. »
Du
côté des entreprises tunisiennes, l'enthousiasme des débuts a été douché. « 65%
ne souhaitent pas investir dans ces régions de l'intérieur, constate Boutheina
Guidara pour Ernst&Young, c'est une différence notable par rapport à 2011.
»
Vers une amélioration du climat social
Le
climat social pourrait en revanche s'améliorer en 2013, c'est ce qu'espèrent
les autorités et les partenaires sociaux avec l'adoption du Pacte social dont
la signature est toute symboliquement prévus ce 14 janvier. La centrale
syndicale UGTT et l'organisation patronale UTICA adopteront ainsi après des
mois de négociations un cadre solide pour le dialogue social. « C'est une
véritable avancée, reconnaît Leila Belkhiria-Jaber, membre de l'UTICA après la
révolution il y a eu un rapprochement avec l'UGTT, qui n'était pas possible
avant. La négociation est transparente et le dialogue se fait sans influence
politique, il en va de l'intérêt du pays. »
Par
Stéphanie Wenger – Source de l’article LaTribune
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