L'aide au développement de l'Afrique ne peut plus ignorer les religions. Dov Zerah, directeur général de l'Agence française de développement (AFD)


La prise en compte du religieux dans les politiques de développement en faveur de l'Afrique et de la rive sud de la Méditerranée a été mise en débat à l'occasion d'un colloque organisé le 5 décembre 2012 par l'Agence française de développement et le Collège des Bernardins, à Paris. 
Cette interrogation trouve une résonance particulière en France, attachée à la laïcité, à la neutralité des actions publiques, à l'égalité entre les femmes et les hommes, au respect de toutes les croyances et convictions qui ne sont pas attentatoires à nos valeurs démocratiques.
Alors que les défis pour réussir le développement économique et social des pays de ces deux zones géographiques sont immenses, le fait religieux se pose à tous les développeurs pour au moins trois raisons : l'importance accordée à la religion et à la foi par les populations de ces pays ; la présence ancienne, et durable, des acteurs religieux et confessionnels sur le terrain ; la prégnance de certaines prescriptions émises par les autorités religieuses dans des domaines essentiels pour le développement (contrôle des naissances, finance, environnement…).
Quand moins d'un quart des Européens jugent la religion très importante dans leur vie, ce chiffre dépasse 80 % en Afrique du Nord et 90 % en Afrique subsaharienne. Ces régions ne sont certes pas réductibles à la seule lecture religieuse, mais tout acteur du développement se doit de tenir compte de cette dimension dans la confection des projets. C'est même indispensable si nous voulons appuyer la structuration des sociétés civiles ou proposer des politiques publiques adaptées aux contextes locaux. Nous ne pouvons ignorer l'attachement des populations à leur religion et l'importance qu'elle a dans leur quotidien.
En bien des endroits, les organisations confessionnelles sont des acteurs capables de fournir des services de base aux plus démunis. En Afrique, jusqu'à 60 % des soins sont assurés par des structures confessionnelles ou religieuses ; sur l'ensemble du continent, plus du tiers des personnes affectées par le VIH/sida sont prises en charge par les structures de l'Église catholique ; souvent, les meilleures écoles sont gérées par des congrégations. Le développement humain de l'Afrique est une priorité pour la France. Nous ne pouvons dès lors ignorer ces acteurs, leurs méthodes, leurs principes d'action, leurs stratégies et la manière dont ils s'articulent avec les politiques nationales et les établissements publics de santé et d'éducation.
L'Afrique subsaharienne devrait voir doubler sa population d'ici à 2050, qui passerait de 850 millions à 1,8 milliard d'habitants. Cette évolution illustre l'absence de toute maîtrise des naissances, et aussi, il faut s'en réjouir, les progrès de la médecine et de la santé publique. Cette nouvelle population, principalement urbaine, devra se nourrir, se loger, trouver un emploi, accéder à l'éducation et aux soins, à la terre et à l'eau… Pour cela, nous ne pouvons ignorer les préceptes religieux ou la capacité de conviction des clercs. S'associer à des imams pour diffuser une communication en faveur de la maîtrise des naissances au Niger, voilà la modernité qui a été présentée lors du colloque du 5 décembre.
De même, nous ne pouvons passer outre les réticences de certains à travailler avec des institutions financières qui ne seraient pas conformes aux lois religieuses. La microfinance islamique constitue une réponse opportune pour ces populations. Nous, développeurs, devons écouter, innover et nous adapter, sinon, nous prendrions le risque de laisser sur le bord de la route de la croissance certaines personnes parmi les plus démunies.
Parce que nous sommes forts de nos idéaux, parce que nous voulons défendre nos principes de laïcité, de respect des droits de la femme, nous devons oser nous confronter à ces réalités omniprésentes en Afrique et dans le monde arabe. C'est en écoutant les autres dans le respect de leur différence que nous pourrons faire mieux connaître nos valeurs de tolérance, de respect et de progrès partagé.
Nous ne pouvons ignorer les religions. Le fait que certains conflits ou tensions s'appuient sur des dissensions religieuses ne peut occulter le rôle positif qu'elles jouent un peu partout. C'est un des défis pour le monde du développement.
Par Cov ZERAH - Source LaCroix

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