D'après dix documents confidentiels de la Commission européenne révélés par le site d'information français Mediapart (accès abonnés), l'UE souhaite voir la Tunisie modifier son droit pour se mettre au diapason européen.
Ces documents, qui servent de base aux négociations entre la Commission européenne et la Tunisie en vue de conclure un traité de libre-échange, sont datés du 27 juillet dernier, et "ont été soumis aux négociateurs tunisiens lors du premier round de négociations qui s'est tenu à Tunis en octobre 2015", précise Mediapart.
Bruxelles souhaite notamment voir la Tunisie renoncer aux aides d'État. Le texte soumis à la négociation prévoit ainsi que "toute aide publique qui fausse ou menace de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions " est incompatible avec l'accord.
Pour ce faire, le texte prévoit donc que la Tunisie prenne des mesures afin de se mettre en conformité avec ces dispositions:
"La Tunisie adopte une législation nationale en matière d'aides d'État pour la mise en œuvre pleine et entière de l'Article XX.1 (2) (d). Cette législation entrera en vigueur dans [les XX ans] qui suivent la date de conclusion du présent accord. Dans [les XX ans] qui suivent la conclusion du présent accord, la Tunisie institue une autorité indépendante du point de vue de son fonctionnement, disposant de ressources suffisantes et dotée des pouvoirs nécessaires à l'application pleine et entière de l'Article XX.1 (2) (d). Cette autorité doit disposer, notamment, du pouvoir d'autoriser des régimes d'aides d'État et des aides individuelles conformément aux critères visés à l'Article XX.1 (3), et d'exiger la récupération des aides d'État illégalement attribuées. Dans un délai de [XX ans] à compter de la date d'institution de ladite autorité, toute aide nouvelle octroyée en Tunisie doit être conforme aux dispositions de l'Article XX.1 (3)."
Les délais de mise en œuvre semblent encore laissés à la marge des négociateurs, et même la possibilité de dérogation, mais cette possibilité, encadrée par "l'article XX. 3" prévoit que "toute pratique contraire au présent article est évaluée sur la base des critères découlant de l'application des règles prévues aux Articles 101, 102, 106, 107 et 93 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, y compris la jurisprudence correspondante de la Cour de justice de l'Union européenne, ainsi que le droit dérivé, les cadres réglementaires, les orientations et les autres actes administratifs pertinents en vigueur dans l'Union".
L'accord de libre échange en cours de négociations entre la Tunisie et la Commission européenne cherche donc à introduire le droit européen dans la vie économique tunisienne.
De fait, le processus semble avoir déjà commencé, car le régime des aides publiques aux entreprises en difficulté a été modifié en 1995, lorsque la Tunisie avait signé l'accord d'association avec l'Union européenne, rappelle dans les colonnes de l'hebdomadaire Réalités Sadok Dhaou Bejja, directeur général de la promotion des PME et président de la commission de suivi des entreprises économiques.
Dans un autre de ces documents confidentiels de la Commission européenne, relatif aux obstacles techniques au commerce, il est prévu que Tunis adopte progressivement le droit européen:
"La Tunisie transpose progressivement le corpus de normes européennes (EN) en tant que normes nationales, y compris les normes européennes harmonisées dont l'application non obligatoire confère une présomption de conformité à la législation visée à l'annexe
I. Parallèlement à cette transposition, la Tunisie révoque toute norme nationale contradictoire aux normes européennes et cesse de les appliquer sur son territoire."
Même chose dans le chapitre relatif à la législation relative à l'énergie:
"Dans la mise en œuvre de ce chapitre, la Tunisie veille à rendre progressivement ses législations existantes et futures dans ce domaine compatibles avec l'acquis de l'UE quand nécessaire et approprié."
Ou en matière de propriété intellectuelle:
"Sans préjudice des autres obligations du présent Chapitre, la République de Tunisie veillera à aligner progressivement sa législation en matière de propriété intellectuelle sur l'acquis de l'UE notamment en ce qui concerne la législation en vigueur dans l'UE reprise à l'annexe XX".
et dans le domaine de la législation douanière:
"La Tunisie procède, conformément aux dispositions de l'annexe XX du présent accord, au rapprochement progressif de sa législation douanière avec la législation douanière de l'UE".
Pour rendre ces aménagements législatifs et juridiques motivants, la Commission européenne assure même à la Tunisie qu'elle peut prétendre à une adhésion à l'Union européenne.
En réaction à ces révélations, un collectif de 29 ONGs, dont 21 tunisiennes, ont signé un manifeste pour protester contre les termes de ces négociations, dans lequel "les ONGs signataires tiennent à souligner que la non prise en compte de ces recommandations sur l'ALECA entre la Tunisie et l’UE peut mettre en péril la souveraineté du pays".
Mais au-delà du risque de voir l'accord de libre-échange déboucher sur une ingérence européenne dans le droit national tunisien, elles s'inquiètent de voir cet accord mettre en concurrence déséquilibrée les entreprises tunisiennes et européennes.
Par Antony Drugeon - Source de l'article Huffpostmaghreb
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