L’élection d’Emmanuel Macron porte l’espoir d’un projet historique, collectif et ambitieux associant l’Europe, la Méditerranée et l’Afrique. Concernant la référence à l’espace, la campagne du candidat Macron fut éclairante sur l’idée qu’il se fait de la place de la géographie et celle de la France dans le monde.
Le débat n’est donc plus entre une ouverture mondiale débridée où « les excès du capitalisme » ont fait trop de dégâts, suscitant la colère des peuples (délocalisation, désindustrialisation, surexploitation de la planète…) et entre la fermeture sur le territoire national comme le préconisent Donald Trump et les partisans du Brexit. Avec Macron, la voie à suivre, c’est la régionalisation de l’économie internationale parce que « La géographie s’est singulièrement rétrécie. Mais le temps s’est accéléré ».
Ce projet collectif historique a été précisé lors de son discours à Marseille, le 1er avril : « Nous allons refonder, non pas, une nouvelle politique de la Méditerranée simplement, nous allons refonder une route de la liberté et de la responsabilité qui va de l’autre rive de la Méditerranée et qui traversera toute l’Afrique ». Fini l’espace euro-méditerranéen, fondé sur des rapports dominants-dominés, centre-périphérie.
Dans son projet, la Méditerranée n’est plus la zone marginale, mais redevient centrale. C’est la vision Méditerranée-Monde de Fernand Braudel et c’est aussi celle sur laquelle l’IPEMED que j’ai fondé, travaille depuis 10 ans. Ainsi se dessine la Grande région, Europe-Méditerranée-Afrique : ce grand « quartier d’orange » est à comparer avec celui constitué par les deux Amériques et par celui organisé par la Chine et le Japon, associés aux pays du Sud-est asiatique.
En quoi la création d’une association entre l’Afrique, la Méditerranée et l’Europe, est-elle bénéfique pour les trois espaces ?
Pour les Européens il s’agit de ne pas tomber dans la stagnation séculaire promise par le vieillissement. Cela suppose de trouver des relais de croissance : or ils existent, à proximité. En 2050, la grande région Afrique-Méditerranée-Europe comptera 3 milliards de personnes : 2 milliards en Afrique subsaharienne où les classes moyennes explosent, 500 millions dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, et 500 millions en Europe. C’est un marché gigantesque, car, il faut le répéter, la croissance est au Sud. En outre, seule une intégration réussie de cette région apportera un terme au radicalisme et à l’insécurité. Les barbelés n’arrêteront pas les miséreux ni les migrants climatiques. Cette grande région peut apporter aux Européens la prospérité et la sécurité. La place de l’Europe dans le monde passe par la réussite de l’intégration avec son Sud.
Pour les Africains
Il s’agit de transformer sur place les immenses richesses du continent, afin de répondre au défi de l’emploi lié à l’explosion démographique. Par ailleurs l’accès à la sécurité constitue un enjeu bien plus important encore que pour les Européens, car ce sont surtout des Africains qui meurent du mal développement et du terrorisme. L’intérêt de l’Afrique n’est pas tant de faire du commerce que de se développer à travers une économie productive soutenue par la technologie européenne et par l’innovation locale.
Pour les sud-Méditerranéens
Il s’agit de valoriser l’abondance des réserves énergétiques, au Maghreb mais aussi en Méditerranée orientale depuis les récentes découvertes d’hydrocarbures au large de l’Égypte, de Chypre et d’Israël, et dans tout le bassin méditerranéen demain grâce au solaire, pour nourrir l’ambition d’une grande filière énergétique. L’intérêt de ces pays est aussi de tordre le cou à la dérive fascisante de l’Islam radical. L’ancrage à l’Europe constitue une légitime ambition pour s’éloigner du modèle promu par les Salafistes saoudiens. L’ancrage économique à l’Afrique constitue une légitime ambition pour élargir leurs marchés. Les ports égyptiens doivent redevenir le débouché de tout le bassin du Nil, Tanger Med doit réussir son pari productif pour viser les marchés africains – autrement dit réaliser la Méditerranée telle que Fernand Braudel l’avait décrite.
Une intégration en profondeur est nécessaire
On décrit souvent cette région comme la concentration de tous les problèmes. On oublie de dire qu’elle recèle aussi toutes les solutions pour faire face aux transitions démographiques, économique, technologique, énergétique et climatique. La condition, c’est de réussir ensemble une intégration régionale « en profondeur », et non pas superficielle c’est-à-dire par le seul libre-échange commercial. Une intégration en profondeur suppose le redéploiement de l’appareil de production, le partage de la chaîne de valeur, la fin du surplomb du Nord sur le Sud, des normes convergentes, des régulations communes.
Pour construire ce grand projet, le président français pourra s’appuyer sur ses alliés Allemands qui, eux aussi, veulent, pour des raisons de sécurité et de co-développement, investir profondément dans le continent africain. Tel est le sens du G20 à Hambourg des 6 et 7 juillet prochains, qui sera précédé par la conférence des chefs d’Etat fixée les 2 et 3 juillet à Berlin.
Nous sommes devant une volonté claire et affirmée du chef de l’Etat de construire une grande région Europe-Méditerranée-Afrique qui pèsera dans le monde, face aux deux autres régions intercontinentales. Emmanuel Macron nous invite à aller vers la Méditerranée et l’Afrique -mais cette fois-ci, non pas avec un esprit de conquête, mais avec un esprit de partage, donnant à nos jeunesses européennes, arabes et africaines des raisons d’espérer et de se retrouver dans la fraternité.
En faisant le choix de l’Europe et de l’Afrique, Emmanuel Macron renoue avec la vision de François Mitterrand qui affirmait en 1956 « la France, sans l’Afrique, n’aura pas sa place dans le XXIe siècle ». Le sommet Afrique-Europe de fin novembre 2017, à Abidjan, devrait consacrer cette nouvelle relation entre les Européens et les Africains et décider de créer cette fondation que nous voulons, La Verticale Afrique-Méditerranée-Europe, creuset de ce « partenariat ambitieux ».
Par Jean-Louis Guigou, président de l’IPEMED -Source de l'article La Croix
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire