Le Maghreb peine à attirer les investisseurs


La cinquième conférence régionale du Maghreb s'est ouverte aujourd'hui. Objectif : identifier les mesures de nature à attirer davantage les investissements et à promouvoir le développement régional.

Le Maghreb - DR
Les investisseurs du monde entier ne se bousculent pas au portillon des cinq pays du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie, Libye, Mauritanie), c'est le moins qu'on puisse dire. Les chiffres cités aujourd'hui à l'ouverture de la cinquième conférence régionale du Maghreb, à Nouakchott, sont assez décourageants de ce point de vue. 
Les investissements directs étrangers (IDE) n'ont pas dépassé 6,5 milliards de dollars en 2011, dernière année où un chiffre est connu. C'est moins de 2 % du PIB, une misère en comparaison par exemple avec les pays européens de l'ex bloc soviétique.
Pourtant, les cinq pays maghrébins sont riches en ressources minières et énergétiques et disposent d'une population totale de 90 millions d'habitants. Les IDE en Mauritanie (3 millions d'habitants) sont proches de zéro, tandis que le Maroc et la Tunisie, les deux pays au coude à coude pour le titre de pays attirant le plus d'IDE en Afrique du nord, ne dépassent pas 2,5 milliards de dollars. Dix fois moins que la Pologne. Le flux a nettement baissé depuis le déclenchement de la crise financière en 2008 où il avait frôlé les 3 % du PIB, pas de quoi pavoiser à l'époque pour autant.
Les IDE demeurent très concentrés sur les secteurs clés de l'énergie (l'Algérie est un des principaux exportateurs mondiaux de gaz, la Libye ne subissait plus de sanctions internationales lors des dernières années de Kadhafi), des mines (Maroc, Algérie, Mauritanie) ou des télécoms et du tourisme (Maroc et Tunisie). Mais à peu près personne n'investit dans l'industrie manufacturière, qui représente à peine 10 % des flux entrants. 
On peine à identifier ne serait-ce qu'une seule entreprise maghrébine de taille significative pour la production de biens industriels et aucun pays maghrébins ne figure parmi les 45 principales puissances manufacturières de la planète. Le Boston Consulting group a toutefois identifié l'an dernier dix entreprises maghrébines parmi les quarante « nouvelles multinationales africaines », un gage d'espoir même si pour l'instant leur chiffre d'affaires demeure très faible par rapport à leurs homologues occidentales.
Sans surprise, les pays du Maghreb, jadis colonies françaises ou italienne (Libye), tirent leurs investissements de l'Union européenne, à hauteur des deux tiers environ. Les pays du Golfe persique commencent à s'intéresser prudemment à la région.

Soubresauts politiques et sociaux qui effarouchent les investisseurs
Une situation qui ne s'améliore guère ; le printemps arabe peut éventuellement déboucher sur une amélioration institutionnelle et du climat des affaires, à long terme, mais pour l'heure il s'accompagne de soubresauts politiques et sociaux qui effarouchent les investisseurs. La Tunisie et la Libye, les deux seuls pays du Maghreb où le printemps arabe s'est accompagné d'un changement de régime, ont vu leurs flux d'IDE chuter de 40 et de 75 % respectivement en 2011. 
Le rapport World Investment and Political risk ne pronostique pas de redressement avant la fin 2013, d'autant plus que la concurrence est rude de la part de pays d'Amérique latine ou d'Asie qui bénéficient, eux, de main d'oeuvre bien formée et d'une base industrielle solide. En outre, constate le Fonds monétaire international en ouverture de la Conférence de Nouakchott, les IDE privilégient les pays à population importante et revenu élevé ou « moyens + ». Ce n'est pas le cas du Maghreb, où le PIB par habitant oscille entre 1 100 euros (Mauritanie) et 5 500 euros (Algérie et Libye). 
L'éducation des jeunes demeure en outre un gros point noir, même si le taux de scolarisation dans le primaire a nettement progressé ces dernières années, sans qu'on sache bien si les compétences et connaissances des élèves s'en soient améliorées à due proportion. La durée moyenne de scolarisation ne dépasse pas six ans, contre dix dans les pays riches. En revanche, note le FMI, la politique budgétaire prudente des pays de la région, qui n'ont pas laissé déraper leurs comptes publics sauf en 2011, année du déclenchement du printemps arabe, est de nature à rassurer les multinationales.
La Conférence de Nouakchott doit être l'occasion d'identifier les mesures de nature à attirer d'avantage les IDE et, plus généralement, à promouvoir le développement régional. L'accent est mis sur la nécessité de favoriser l'intégration régionale et le commerce intra-maghrébin, ce qui ne coule pas de source puisque les pays du Maghreb, dénués d'industrie manufacturière et richement dotés en ressources du sous-sol (phosphate, fer, gaz, etc) destinées aux pays occidentaux, ont peu de choses à se vendre les uns les autres, comme l'illustre un flux d'IDE intra-régional dérisoire. Le commerce intra régional ne représente, pour sa part, que 2 % du commerce total de ces pays. En outre, les deux ténors de la région, l'Algérie et le Maroc ne commercent pas entre eux en raison pour raison politique.
Pourtant, estime Drombas Thiam, ministre mauritanien des finances, « l'intégration est absolument primordiale, car seuls les grands ensembles s'en sortent bien dans la crise actuelle ». 
L'Amérique latine, l'Asie du sud est, l'Afrique de l'est, en sus d'une Union européenne unie depuis longtemps, se sont lancés dans un mouvement d'intégration régionale, l'Afrique du nord n'a aucune raison de rester à l'écart de ce genre de mouvement. Il faudrait pour cela baisser les barrières douanières, qui demeurent non négligeables (il n'y a pas d'équivalent de la préférence communautaire de l'Union européenne parmi les pays du Maghreb) et harmoniser les systèmes fiscaux. Sid Ahmed Ould Raiss, gouverneur de la banque centrale de Mauritanie, note ainsi que la TVA de son pays s'élève à 14 %, congre 20 % au Maroc et le taux d'impôt sur les bénéfices à 25 % contre 38 % au Maroc.
Cette intégration se fait toutefois à très petit pas sur le plan même institutionnel. La Banque Maghrébine d'investissement et de commerce extérieur (BMICE), dont la création a été annoncé il y a plusieurs années, n'est toujours pas opérationnelle. Toutefois, la conférence devrait être l'occasion, demain, d'annoncer sa relance, avec le déblocage de son capital de 100 millions d'euros souscrit à part égale par les cinq pays de la région. Un embryon d'intégration financière.
Par Yves Bourdillon   -   Source Les Echos

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