La Méditerranée : 20 ans pour réussir. Tel était le titre d'un rapport de l'Institut de la Méditerranée publié en 2000. Il indiquait qu'en l'absence d'un véritable décollage économique, la croissance démographique des pays du Sud constituait une bombe à retardement géopolitique. Nous y sommes.
La mer Méditerranée est toujours la frontière la plus inégale au monde : le PIB combiné des pays de la rive sud (Egypte, Maroc, Tunisie, Liban, Turquie, Israël et Palestine) est équivalent de celui de l'Espagne. Si l'on enlève de cette liste la Turquie et Israël, le PIB obtenu est inférieur à celui de la Belgique. Les populations du Sud vivent comme une stigmatisation le fait d'être exclues du processus de développement que leur renvoie l'Occident. En même temps, de manière négative et fondamentaliste certes, il y a aussi une contestation de ce modèle fondé sur l'avoir et peu soucieux de la situation des plus démunis ou défavorisés.
Cela est renforcé par la situation démographique, qui rend la situation explosive. Au sud de la Méditerranée, où 100 millions de nouveaux chercheurs d'emploi sont attendus d'ici à 2020, un taux de croissance moyen de 10 % par an serait nécessaire pour stabiliser le marché du travail.
De plus, la Méditerranée est l'une des régions au monde les plus exposées aux conséquences du dérèglement climatique. Si celui-ci se poursuit au rythme actuel, les experts anticipent des pertes pouvant aller jusqu'à un sixième du revenu national des pays du Sud.
Cette exposition nous oblige alors à questionner non seulement la situation actuelle mais aussi les « solutions » à apporter. Les défis sont considérables. La Méditerranée, avec le reste du monde, est au bord du gouffre.
Les gouvernements européens ont démontré une foi excessive dans les modèles économiques abstraits. Et on a souffert d'un manque de regards critiques sur le poids de l'histoire et des modèles de développement proposés, en oubliant que le contexte méditerranéen était radicalement différent, ne serait-ce que par l'absence de droits démocratiques fondamentaux.
Quatre ans après les révolutions arabes, les pays concernés sont toujours aux prises avec d'importants problèmes institutionnels et politiques. Le chômage des jeunes reste extraordinairement élevé, et, dans plusieurs pays, une reprise inquiétante de l'inflation menace le niveau de vie des plus vulnérables. Il serait donc erroné d'attribuer l'essor du terrorisme aux erreurs diplomatiques des Occidentaux (notamment à la politique américaine des années 2000) ou à un prétendu « choc des civilisations ». Le djihadisme doit une grande partie de son succès à sa capacité à canaliser la frustration économique et politique d'une minorité de la jeunesse, et pas seulement arabe, en lui proposant une pseudo-alternative mythique (le « Califat »). Mais il doit aussi son succès au vide moral et éthique que laisse le paradigme financier occidental comme seul cadre d'action pour atteindre le bien-être social.
L'Union européenne doit donc se hisser à la hauteur des enjeux et offrir rapidement une perspective économique et politique claire aux pays du sud de la Méditerranée, en tirant les leçons des échecs passés et en traitant en priorité les problèmes du chômage des jeunes et du dérèglement climatique. Elle devra avoir l'audace de sortir de l'impasse austéritaire en proposant des modes de financement innovants, au service de politiques volontaristes en direction du Sud. Mais les « simples » mesures économiques ne suffiront pas. Il faut aussi donner aux populations confiance dans leur propre responsabilité en leur proposant des outils de coordination adéquats.
Par Thomas Lagoarde-Segot et Bernard Paranque (Professeurs à Kedge Business School ) - Source de l'article Les Echos
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