«Libération» a eu accès au rapport de MedTrends sur les exploitations pétrolière et gazière offshore qui menacent un écosystème déjà très fragilisé.
C’est la ruée vers l’or noir en Méditerranée. Façon Far West. Sans réel cadre, sans guère de contraintes, sans vision ni coordination. Cette «mer au milieu des terres» tient du dernier espace à coloniser pour notre développement économique. Tourisme, navigation, aquaculture, biotechnologies, énergies renouvelables, câbles, transport maritime, activités portuaires, extraction du sable… Et, surtout, une exploitation pétrolière et gazière en mer sans précédent, qui menace un écosystème déjà très fragilisé par les usines chimiques côtières, le ruissellement agricole ou les différentes formes de pollution. C’est ce que dénonce le rapport MedTrends intitulé «Méditerranée : la croissance bleue face au bon état écologique», que dévoile Libération.
Pendant un an, le WWF France et sept partenaires couvrant huit pays de l’UE (Croatie, Chypre, France, Italie, Grèce, Malte, Slovénie et Espagne) ont cartographié les scénarios les plus probables de croissance économique marine dans les quinze ans à venir. Hormis la pêche traditionnelle, en perte de vitesse en raison de «la surexploitation de plus de 90 % des stocks de poisson», rappelle le WWF, tous les secteurs sont en plein essor. La production aquacole ? Un bond de 112 % est attendu d’ici à 2030 par rapport à 2010 dans les huit pays européens. Les touristes ? Leur nombre passerait de 300 millions en 2015 à 500 millions dans quinze ans. Et pas moins de 5 000 kilomètres de littoral devraient par ailleurs être artificialisés d’ici dix ans par rapport à 2005.
«Risques sismiques».Mais c’est surtout les industries pétrolière et gazière qui inquiètent les défenseurs de l’environnement. Et qu’importe si le prix du baril est, à 30 dollars, au plus bas depuis plus de dix ans. Avec un prix situé entre 50 et 60 dollars, forer en Méditerranée redevient rentable, affirment les experts. Et «s’ils couvraient en avril 2015 plus de 20 % du Bassin méditerranéen, de nouveaux contrats potentiels sont à prévoir pour couvrir 20 % supplémentaires de la surface maritime de la région à court terme, indique Pascal Canfin, directeur général du WWF France.Enorme, quand on connaît les risques sismiques de la région.»
La production d’hydrocarbures en Méditerranée occupe une place modeste dans le paysage mondial. En 2011, la production pétrolière et gazière offshore totale de la région était estimée à 87 millions de TEP (tonnes d’équivalent pétrole), dont 19 millions de pétrole brut et 68 millions de gaz naturel, note le rapport. Une production européenne qui se concentre avant tout en Italie et, dans une moindre mesure, en Espagne.
Cependant, les réserves méditerranéennes de pétrole sont estimées à quelque 9,4 milliards de TEP, soit 4,6 % des réserves planétaires. «La production pétrolière en mer pourrait progresser de 60 % entre 2010 et 2020 dans la région méditerranéenne. La production gazière en mer, elle, pourrait être multipliée par cinq entre 2010 et 2030», estime le rapport.
Avec sa surface d’environ 2,5 millions de kilomètres carrés (soit cinq fois la France), la Méditerranée couvre moins de 1 % de la surface totale des mers et des océans (360 700 000 km2). Mais elle «concentre 10 % de la biodiversité marine mondiale et elle est sur le chemin du burn-out,s’alarme Canfin. C’est l’intérêt de l’étude, dont la vision d’ensemble doit sonner comme une alarme car elle met en avant des données non publiques, traditionnellement à disposition des industries.»
«Maîtrise aléatoire».Cette pression supplémentaire sur la mer semi-fermée la plus grande du monde contribue à multiplier les risques. D’abord environnementaux :«Une marée noire y serait une catastrophe considérable, dénonçait en juillet 2012 dans Mediapart l’eurodéputée EE-LV Michèle Rivasi.Certains forages seraient réalisés en eau profonde, à plus de 1 500 mètres, dans des zones sismiques importantes. Or, le niveau de maîtrise technique est encore aléatoire. Souvenons-nous de l’ampleur du désastre lors de l’accident de la plateforme BP dans le golfe du Mexique en avril 2010, avec plus de 800 millions de litres d’hydrocarbures déversés dans l’océan, mais aussi de la marée noire causée par une plateforme de la Shell en 2011 dans le golfe de Guinée.»Multiplier les plateformes ira forcément à l’encontre de l’essor touristique ou de la préservation d’espaces maritimes classés, comme leshot spots.
Risques sécuritaires, aussi, rappelle Canfin. «Nous ne pourrons éviter l’implosion, soutenir nos économies nationales et promouvoir une croissance bleue qu’à travers une gestion intégrée de l’espace marin»,estime le rapport. Certes, la Commission européenne a bien adopté en 2007 un «livre bleu» dans lequel elle préconise une «politique intégrée», et une directive, en 2014, sur la planification de l’espace maritime afin d’encadrer «la croissance durable» dans cinq secteurs clés (aquaculture, tourisme, biotechnologies et énergie marines et exploitation minière des fonds marins).
Mais alors que 10 % des eaux de l’UE devaient être sanctuarisées et protégées d’ici à 2020, en 2015 seules 3,27 % l’avaient été. «Il faut arriver au plus vite à 10 %, surtout en Méditerranée», dit Canfin. Histoire d’être cohérent avec l’accord de Paris sur le climat qui entend parvenir à zéro émission net de gaz à effet de serre dans la seconde moitié du siècle. Et cela passe évidemment par l’investissement dans les énergies renouvelables et le désinvestissement dans les énergies fossiles… Et non l’inverse.
Par Christian Losson et BIG, Infographie - Source de l'article Libération
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