Paris s’est alarmée de l’impact négatif des attentats sur son activité touristique, Amman se bat pour ne pas toucher le fond. Dans le mois qui a suivi les attentats du 13 novembre, les tours opérateurs français ont comptabilisé une chute d’environ 15% des réservations vers l’Hexagone.
Une baisse de fréquentation comparable dans ce pays du Moyen Orient, mais qui s’installe depuis déjà un an. Victime collatérale des conflits meurtriers qui agitent ses voisins syriens, irakiens et égyptiens, le tourisme jordanien bât de l’aile alors qu’un pan entier de l’économie du royaume ne repose que sur lui.
A 10h, un matin de décembre, tandis que la haute saison touche seulement à sa fin, la cité millénaire de Pétra semble endormie. Seules quelques silhouettes arpentent le Siq, ce célèbre canyon de grès qui mène tout droit à la ville nabatéenne. Les échoppes sont désespérément vides, les dromadaires n'ont personne sur le dos et les guides tournent en rond. Le site le plus visité du Moyen Orient jusqu'à il y a encore un an, a vu sa fréquentation passer d'un million à moins de 600.000 visiteurs par an entre 2011 et 2015.
Lieu clé pour le tourisme jordanien, classé parmi les sept merveilles du monde, Pétra est aujourd'hui en train de dépérir, entraînant toute une région dans la torpeur. Près de dix hôtels ont déjà mis la clé sous la porte. "Nous sommes les seuls clients de tout l'établissement!" s'étonne un couple d'Américains. A la réception, le gérant du Petra Gate Hotel se morfond derrière son comptoir. "Je n'ai jamais vu ça en 20 ans! Plus de dix annulations sur une semaine... Même les Japonais -pourtant fidèles- ne viennent plus" s'inquiète Naser Farajat.
Les rivages de la mer Morte réputées pour leurs propriétés curatives n'accueillent plus que de rares baigneurs et le désert du Wadi Rum d'habitude sillonné par les 4X4 est désormais littéralement désertique.
Le tourisme, pétrole de la Jordanie
Alors qu'il contribue à hauteur de 14% au PIB jordanien et représente la deuxième source de devises pour le pays, le tourisme broie du noir. Au Jordan Tourism Board, organisme rattaché au Ministère du Tourisme, Adel Amin fait les comptes :
"En 2015, tous nos marchés sont dans le rouge. 23% de Français en moins, 40% d'Italiens en moins, 8% d'Anglais en moins... Au total nous enregistrons déjà -10% de fréquentation touristique depuis le début de l'année, soit 500 000 visiteurs de moins que l'an passée, sachant qu'elle n'était déjà pas très bonne...".
Une chute de la fréquentation qui pèse sur les recettes du pays. Sur les quatre premiers mois de l'année 2015, elles ne représentaient plus que 1,5 milliards de dollars, en baisse de 15% selon le ministre du Tourisme, Nayef Al Fayez. Et les répercussions se font sentir dans la société jordanienne, qui dépend pour beaucoup de ce secteur. Au contraire d'une destination à bas coût comme Charm el Cheick en Egypte, le royaume Hachémite ne mise pas sur le tourisme de masse. L'activité est donc plus "annualisée" que saisonnière, ce qui rend l'impact d'autant plus difficile à absorber pour les professionnels, qui ne vivent que de cette ressource.
"Craintes injustifiées"
L'origine de ses maux, la Jordanie peut difficilement en venir à bout. Sans surprise, c'est la situation sécuritaire dans les pays voisins qui décourage les visiteurs de s'aventurer dans la région. "Le royaume fait face à un problème de perception par les Occidentaux" résume Ruth Gomez, en charge de la communication à l'Organisation mondiale du tourisme. Car si les guerres en Syrie et en Irak ont fait des centaines de milliers de morts, la dernière attaque sur le sol jordanien remonte à 2005, lorsqu'une attentat terroriste dans des hôtels d'Amman avait fait 56 morts. Difficile cependant d'agir sur des peurs très ancrées, en particulier dans la société française.
"La désaffection que subie cette destination, dans le climat anxiogène que la France traverse, est basée sur un sentiment irrationnel de crainte, malgré l'absence d'évènements dissuasifs sur son territoire comme des soulèvements ou des attentats" analyse Richard Soubielle, vice-président du Syndicat national des agences de voyage (SNAV). Un problème d'autant plus grand que l'Hexagone est un marché clé pour la Jordanie. Troisième plus important d'Europe après le Royaume Uni et l'Allemagne, il est cette année tombé à seulement 26.000 visiteurs contre environ 50.000 il y a 5 ans.
La France, marché à reconquérir
"Nous comprenons que les gens soient prudents, mais nous vivons cette désaffection comme une injustice. Les réactions de peur sont exagérées" regrette Sireen Awwad, responsable France au Jordan Tourism Board.
Mais comment rassurer les occidentaux dans un contexte régional agité par la guerre et le terrorisme? Le ministère du Tourisme a mis en place un véritable plan de bataille pour inverser la courbe de fréquentation. Avec un budget en nette hausse en 2015, une vaste campagne de promotion a été lancée notamment en France avec de l'affichage sur les taxis parisiens, dans le métro et la mise en place du Jordan Pass, un coupon touristique pour accéder plus facilement à tous les sites en réduisant le prix du visa.
"Nous voulons prouver indirectement que la Jordanie est un pays sûr en montrant tous ses lieux magiques. Se construire une image bien à part pour éviter l'amalgame avec les pays voisins" détaille Adel Amin. Cette politique volontariste passe aussi par l'ouverture vers des marchés encore émergents comme l'Asie et le renforcement des séjours "bibliques", très prisés par les pays catholiques de l'Est de l'Europe. "La tombe de Moïse, le lieu de baptême du Christ, tous ces sites de foi sont chez nous!" renchérit Sireen Awwad.
Des efforts pour se diversifier salués par l'Organisation mondiale du tourisme, qui ne perd pas espoir pour ce pays du Moyen Orient. "Nous prévoyons à long terme une augmentation de 4,6% de la fréquentation touristique étrangère dans la région d'ici 2030" indique Ruth Gomez. D'ici là, la Jordanie devra tenir le coup et rester habilement en dehors des conflits.
Par Tiphaine Honoré - Source de l'article La Tribune
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