Sécuriser l’eau, une priorité en Méditerranée


Comment gérer une ressource qui peut faire défaut et comment les pays méditerranéens y font face, chacun avec leurs problématiques ?

C'était le thème du Colloque international Eau Métropole organisé à Marseille début octobre. Parce que le sujet est d'importance et surtout qu'il est adressé de différentes façons.

Un double défi

En Méditerranée, les problématiques ce n'est pas ce qui manque. "Les pays du Sud et de l'Est ont eu à répondre à plusieurs tensions : l'exode, la construction de méga-villes, ce qui a engendré un retard au niveau des infrastructures de base, relatives à l'eau potable, à l'assainissement. 
On se retrouve face à un double défi, puisque la sécurisation de l'eau passe déjà par la gestion de l'offre, ou la mobilisation de la ressource disponible. Une difficulté prégnante : sur la rive Sud, il n'y a pas de château d'eau, comme c'est le cas en France, dans les Alpes notamment. 
Mais il y a aussi l'aspect gestion de la demande, qui vise à économiser la ressource", dresse Hachmi Kennou, directeur exécutif de l'Institut Méditerranéen de l'Eau. Challenge il y a, en effet : dans certains pays de l'Est, l'eau n'est sécurisée que deux jours par mois... "En plus des tensions géo-climatiques, il y a un choix à faire, à qui donner majoritairement ces ressources ? Dans les pays du Sud et de l'Est, plus de 70 % de ces dernières sont allouées à l'agriculture, 20 % à l'usage urbain. Et pour ces 20 % attribués à l'usage urbain, il faut aussi compter avec tout l'effort à fournir pour potabiliser l'eau"...

Un échange de savoir-faire

Ces problématiques sont donc délicates, et de fait, l'échange d'expériences et de compétences primordial entre acteurs de la gestion de l'eau. Exemple de coopération entre les deux rives, la société des Eaux de Marseille a collaboré avec la Régie autonome de l'eau et de l'électricité de Fès (Radeef) au Maroc et contribué à mettre en place le système de la télé-relève, une expérience pilote. "Une opération très importante pour nous, difficile à installer ailleurs qu'à Marseille pour des raisons techniques, technologiques et sociales". Pari réussi, puisque le progiciel Wat.erp (solution digitale visant à gérer la chaîne de la gestion clientèle pour les distributeurs d'eau et d'énergie ainsi que les opérateurs d'assainissement) orchestre désormais cette phase aval à Fès. "Mais œuvrer au-delà des frontières, c'est aussi un échange. 
Nous avons beaucoup appris du Maroc dans la façon de gérer l'énergie, nous avons dû adapter en fonction notre solution informatique". Le maître mot, tenir compte des attentes du pays en question. "Le but, ce n'est pas seulement la performance, même si nous avons su améliorer le rendement de notre réseau. Il s'agit aussi de préserver les ressources, c'est un de nos défis majeurs pour l'avenir", martèle à son tour Youssef Laklalech, directeur général de la Radeef. "C'est en ce sens que s'est construit le partenariat entre la Radeef, la Somei (Société méditerranéenne d'études et d'informatique, filiale de la Société des Eaux de Marseille, NDLR) et la Société des Eaux de Marseille, en 1990. Ensemble, nous avons mis en place un outil de gestion clientèle, un outil technique de modélisation du réseau et un système de comptage intelligent. Ce qui permet de comprendre par exemple dans le détail pourquoi certains clients ont une consommation normale, et d'autres une plus excessive".

La clé, économiser

Ainsi on le comprend, en matière de sécurisation, l'aspect gestion de la demande concentre l'attention des acteurs outre-Méditerranée. "Dans ce domaine, tout est focalisé aujourd'hui sur les mesures d'économie de l'eau, à l'instar de la lutte contre les fuites, le comptage intelligent pour maîtriser la consommation d'eau, la tarification progressive afin d'inciter à être plus parcimonieux. En agriculture, cela veut dire aussi l'utilisation du goutte-à-goutte... On remarque par ailleurs un effet nouveau, impulsé notamment par les territoires de la rive Sud de l'Espagne : le recours aux eaux non conventionnelles, telles les eaux usées réutilisées à plus de 90 %. Certains autres pays ont pris conscience de cette possibilité. C'est le cas de la Jordanie, qui la réutilise également à plus de 80 %", reprend Hachmi Kennou. La Jordanie qui voit peu à peu le gap se résorber, en termes de sécurisation... Tout comme le Liban, qui a eu recours aux services des Eaux de Marseille en matière de recherche de fuites. A Beyrouth, les équipes de la Société des Eaux de Marseille, spécialistes de la question, ont balayé pas moins de 300 km de conduites au total et participé à la formation de leurs homologues locaux de la société des Eaux de Beyrouth et du mont Liban (EBML). Davantage positionnés sur l'aspect gestion de l'offre, "certains pays se lancent dans d'autres technologies, comme le dessalement, toutefois plus énergivore, choisi par l'Algérie. Celle-ci connaît encore une grande problématique de sécurisation..." Tandis que le Maroc a su considérer les enjeux gravitant autour de l'eau plus en amont. "Des villes comme Fès ou Marrakech sont des exemples". Egalement bon élève, la Tunisie se prévaut aujourd'hui d'une couverture en eau potable dépassant les 90 %.

Cap aussi sur le disruptif

Cependant gérer la demande, cela passe également par le biais de solutions disruptives. C'est ce qu'appelle de ses vœux Mamadou Dia, président de la Sénégalaise des eaux. "Ce qu'on recherche aussi, c'est l'efficacité. Soit comment mettre en place des process innovants, via par exemple la digitalisation des services, pour répondre aux attentes du client". Et penser disruption, ce n'est pas plus irréaliste de ce côté-ci de la Méditerranée que sur la rive Nord. "L'Afrique a réalisé un grand pas technologique pour ce qui est des télécommunications, on doit faire de même dans le domaine de l'eau, de l'assainissement, de l'énergie en s'appuyant sur ces nouvelles avancées numériques", conclut Alain Meyssonnier.

Par Carole Payrau - Source de l'article La Tribune

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